En quoi la polémique autour de l’islamologue Djabelkheir concerne tous les Algériens ?
Par Youcef Benzatat – La polémique qui a éclaté sur la question de l’obligation ou non du jeûne pendant le Ramadhan est de fait une polémique islamo-musulmane. Obligatoire ou non, le jeûne du Ramadhan est une question qui concerne en premier lieu les musulmans et ne peut être tenue pour une polémique qui concerne tout le monde. Car ceux qui ne sont pas musulmans, pratiquants d’une autre croyance ou non croyants tout simplement, ne se sentent nullement concernés par les préceptes d’une religion à laquelle ils n’adhèrent pas.
Si cette polémique a pris une dimension nationale sur un plan strictement théologique, en confondant toute la société dans ce système de valeurs religieuses, la faute revient à l’ambiguïté de la Constitution et les contradictions qui la caractérisent. Car, si malgré sa bonne volonté elle garantit la liberté de culte, la liberté de conscience et la liberté d’expression à tous les citoyens sans distinction, dans son article 2 elle est catégorique : l’islam est la religion de l’Etat.
De ce fait, la polémique s’est cantonnée dans un plan strictement théologique et n’a pu traverser les limites de l’interprétation mythologique vers le rationnel. Se contentant de condamner ou d’approuver l’interprétation coranique du jeûne par Saïd Djabelkheir et son argument d’exemplarité en la personne des compagnons du Prophète qui ne se soumettaient pas à l’observation de ce dogme.
Alors qu’en traversant la frontière entre mythe et raison – entendue en tant qu’approche scientifique du phénomène religieux, notamment par les études archéologiques de la genèse de ses rituels, de ses narrations, de ses symboles, de ses dispositions de lois canons, etc. –, la polémique aurait pu confronter ces deux lectures du fait religieux en séparant ce qui relève du mythe et ce qui est le propre de la raison. En attribuant le choix de ne pas jeûner à une liberté de conscience assumée, au lieu de s’aventurer dans un réformisme voué prématurément à l’échec devant une religion irréformable. Telle a été d’ailleurs la conclusion des tentatives des réformistes du XIXe siècle. En d’autres termes, rendre à César ce qui appartient à César et laisser les musulmans pratiquer les préceptes de leur religion dans la conviction de leur foi, sans leur faire ressentir un quelconque sentiment de provocation, ni d’atteinte à leur orgueil de croyants.
Quant à l’incident que cette polémique avait provoqué, par la menace de mort de son auteur et son lynchage verbal sur les réseaux sociaux, c’est un fait qui interpelle toute la société, y compris les non-musulmans. Car il s’agit de la préservation de la liberté d’expression et la prévention de la paix civile. Qu’un citoyen émette une opinion qui fait l’objet d’un choix libre contre la croyance religieuse admise du grand nombre de ses compatriotes ne mérite pas pour autant la sentence de mort et un tel lynchage verbal et médiatique. Qu’en est-il dans ce cas d’un croyant qui commet une diabolisation ou une méprise envers un non-croyant parmi ses compatriotes qui ne se reconnaît pas dans les valeurs de son système religieux ? Car il y va de la préservation du vivre-ensemble où chacun doit être respecté dans ses convictions et ses croyances.
La nouvelle République qui se profile en perspective des manifestations massives de la population et son désir d’édification d’une société nouvelle, libre et démocratique, sur les ruines d’une société conservatrice et totalitaire, aura fort affaire à libérer l’espace public, le système éducatif et de se doter d’une Constitution qui garantit toutes les libertés aux citoyens. De ces garanties dépendra la réussite de la transition vers une société nouvelle dynamique et épanouie.
Y. B.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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