Quand la Constitution met le pays dans une situation embarrassante
Par Nazim Maiza – Ce soir, la République algérienne entre dans une situation embarrassante du fait qu’aucune candidature sérieuse n’est venue justifier la consultation électorale prévue le 4 juillet prochain. De ce fait, l’Algérie pénètre dans les méandres du vide constitutionnel.
Même les pseudos partis politiques qui finassaient vainement pour pouvoir jouer un rôle dans la prorogation du système se sont retirés, tout bonnement, et rejoignent discrètement l’abstention populaire.
Un mal pour un bien, avec ce renoncement collectif de ces «figurants» politiques qui s’ajoutent au lot FLN, TAJ et RND. Le haut commandement militaire peut se réjouir de s’être débarrassé des «boulets» encombrants qui narguent effrontément le hirak.
La question du vide constitutionnel peut s’expliquer, en partie, par l’omission des rédacteurs de la Constitution algérienne à prévoir ce scénario rarissime qui est l’impossibilité d’organiser une élection pour cause d’absence de candidat ou, autrement dit, la limite maximale de l’article 102. Concrètement, il est maintenant inutile de rester dans une optique de «légalité constitutionnelle» alors qu’elle (la Constitution) est vraisemblablement inemployable.
Il faut reconnaître que le commandement de l’armée, incarné par le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd-Salah, est dans une position inespérée, géopolitiquement parlant. Cette fois-ci, l’ANP peut ouvertement assumer son rôle de pouvoir de transition sans se soucier d’être «taxée» de «dictature militaire» par n’importe qu’elle ONG ou autres gouvernements de pays «démocratiques».
En effet, la situation dans laquelle se retrouve l’Algérie, en cette année 2019, n’est pas un cas isolé comme le prétendent certains analystes politiques sur les plateaux des chaînes de télévisions. L’histoire nous apprend que beaucoup de nations ont dû se débrouiller avec les moyens du bord pour «rassoir» le pouvoir de l’Etat de manière légitime. Dans des pays qui étaient dans des circonstances pires que les nôtres, les dispositions spéciales adoptées par ces derniers n’ont pas provoqué un «tollé» dans la communauté internationale ou chez les gardiens autoproclamés du «droit-de-l’hommisme» dans sa version d’autodéterminations des peuples.
Il n’en demeure pas moins que l’idéal aurait été de voir la Cour suprême ou le Conseil constitutionnel être en porte-à-faux avec la décision d’annulation de l’élection d’avril dernier par l’ancien président Bouteflika. Nous ne pouvons pas revenir en arrière ; à vrai dire, le mal est fait.
Ces instances hautement qualifiées en matière de droit constitutionnel auraient pu légiférer de manière «unilatérale» pour nous éviter de vivre les affres du vide constitutionnel dans lequel nous sommes présentement. Elles auraient pu réagir comme ce fut le cas aux Etats-Unis, en 1935, où le pouvoir judiciaire de la Cour suprême s’est substitué au pouvoir politique contre le «new deal» du président Roosevelt. Depuis, la notion de «gouvernement des juges» était apparue et elle perdure jusqu’à aujourd’hui.
Devant le «laisser-faire» de ces hautes instances juridiques, l’Algérie se retrouve, bien malgré elle, dans une disposition de rupture avec la légalité constitutionnelle.
Ipso facto, nous devons considérer sérieusement le renouvellement de l’Etat sans lequel la notion de stabilité deviendra un vague souvenir. Il ne faudrait surtout pas confondre cette obligation de renouvellement impérieuse qui a pour but la survie de l’Etat algérien avec le renouvellement d’un système inique clairement honni par le peuple. Cette urgence que revêt le «renouvellement» peut être pratiquée lorsqu’un Etat retrouve son indépendance comme ce fut le cas en 1962.
En vérité, cela dépend des particularités des conjonctures. En ce qui nous concerne, il serait prompt d’opter simplement pour une nécessité impulsée par la révolution populaire du 22 Février.
L’état de confusion dans lequel se retrouve le pays, depuis hier à minuit, n’est nullement une fatalité. les Algériens, en tant que peuple souverain, doivent savoir que de nouvelles Constitutions ont été adoptées dans le passé par des nations dans des conditions bien plus compliquées que la nôtre aujourd’hui.
En postulant que l’armée algérienne reste la seule institution hautement structurée, il est important de prendre en compte qu’en ce moment, aucune règle constitutionnelle ne l’oblige (l’ANP) à choisir une voie plutôt qu’une autre pour sortir de cette impasse législative.
Cependant, les exemples de renouvellement du pouvoir (non pas du système) sont nombreux dans le monde. Vu la proximité géographique ou historique, nous pourrions citer le cas de la France en 1789, 1814, 1848 et 1870, du Portugal en 1976 ou encore ceux de l’Espagne en 1978, des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin et, enfin, celui de la Russie en 1917.
Rien ne doit paraître impossible pour la pérennité de l’Algérie en tant que nation. Les divergences politiques ou idéologiques des uns et des autres doivent être transcendées pour pouvoir surpasser cette épreuve. Les différences auront bien le temps de s’exprimer dans l’Algérie de demain.
Une chose est désormais certaine pour nous autres Algériens : nous avons contribué, chacun à sa manière, à la déliquescence des principes fondamentaux qui font le citoyen. A force d’ignorer notre pouvoir en tant que peuple, nous voilà au croisement des chemins où deux options s’imposent à nous : soit nous réussissons collectivement à instaurer un Etat de droit, soit nous payerons individuellement le prix du chaos politique.
En Ukraine, Volodymyr Zelensky, un jeune acteur humoriste, est aujourd’hui élu Président. Il a déclaré lors de son discours d’investiture : «Je ne veux surtout pas que mes portraits soient accrochés dans vos bureaux, car le Président n’est pas une icône, pas une idole, il n’est pas un portrait, accrochez plutôt des photos de vos enfants et regardez-les avant de prendre chaque décision !».
Voilà, in fine, comment de l’humour jaillit la sagesse dans un pays qui n’existait pas quand l’Algérie resplendissait dans le monde.
N. M.
Comment (19)