Faire face à l’instabilité institutionnelle et au vide constitutionnel
Par le colonel Abdelkhalek Soufi – Le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire, en considération de l’évolution de la situation tant du point de vue constitutionnel que politique, a appelé dans son dernier discours à Tamanrasset à un dialogue sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant pour la sortie de crise, toute en insistant sur le fait que cette sortie gagnerait, autant que possible, à s’inscrire dans un cadre constitutionnel.
La position du vice-ministre de la Défense nationale participe d’une appréciation objective de l’évolution de la situation dans le pays, notamment l’impossibilité de la tenue de l’élection présidentielle du 4 juillet 2019.
Il est à rappeler, dans ce cadre, que Abdelkader Bensalah a officiellement pris ses fonctions de chef de l’Etat le mardi 9 avril 2019, pour une durée de quatre-vingt-dix jours au maximum, conformément aux dispositions de l’article 102 de la Constitution. Il a immédiatement convoqué le corps électoral pour l’élection présidentielle fixée au 4 juillet 2019. Il a également invité les partis politiques et la société civile à un dialogue, qui a été sans conteste un échec.
De notre point de vue, la démarche du chef de l’Etat n’était ni judicieuse ni opportune et l’opposition en a saisi l’occasion, s’appuyant en cela sur une large frange du hirak pour exercer davantage de pression sur le pouvoir pour faire échec à la tenue des élections présidentielles du 4 juillet 2019 et, par voie de conséquence, concrétiser leur objectif d’instituer une période transitoire en dehors de toute légitimité constitutionnelle, malgré les risques que présente cette démarche sur la stabilité du pays et de ses institutions, ainsi que sur la cohésion nationale.
Pour prévenir que ne survienne une telle situation synonyme de désordre politique, institutionnel et social, il est estimé urgent de prendre des mesures, selon un calendrier déterminé, et de les accompagner d’une large opération explicative, par le biais de tous les canaux et supports médiatiques disponibles, tout en s’assurant le concours de cadres qualifiés et convaincants pour mener une campagne explicative cohérente et rationnelle.
Les propositions suivantes ont pour but d’inscrire le processus suggéré dans le cadre général de la Constitution.
Charger un groupe restreint, composé de cadres des ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et de la justice, du SGG et, le cas échéant, du MDN d’élaborer, dans un délai maximum de dix jours, un avant-projet de loi portant mission, composition, organisation et mode de fonctionnement de la haute instance d’organisation, de surveillance et de supervision des élections.
Dès finalisation de cet avant-projet de loi, il sera communiqué par le chef de l’Etat aux partis politiques, associations nationales et personnalités nationales, pour enrichissement sous quinzaine. Cet avant-projet de loi gagnerait à être diffusé par voie de presse et via les réseaux sociaux à l’attention de l’ensemble des citoyens, à charge pour eux de faire part de leurs éventuels avis, via une adresse électronique à mettre en place.
Le groupe chargé de l’élaboration du projet de loi, renforcé par des cadres qualifiés de divers ministères et du SGG, aura à exploiter, au fur et à mesure de leur réception, les avis et propositions reçus.
Le projet de loi enrichi sera soumis pour un ultime examen aux partis politiques et personnalités nationales, sous huitaine. A l’issue, soit après un mois et demi environ depuis le début du processus, le projet de loi est finalisé dans sa forme définitive.
En parallèle, il est de notre point de vue opportun d’inviter le Premier ministre à présenter la démission de son gouvernement, l’intéressé étant majoritairement rejeté par le hirak et les partis de l’opposition. Dès acceptation de sa démission, désigner un gouvernement parmi les compétences nationales connues pour leur probité et n’ayant pas exercé de fonctions gouvernementales ou un mandat électif national.
Compléter la composition du Conseil de la nation par la désignation des membres restants au titre du tiers présidentiel parmi les compétences et personnalités nationales bénéficiant de la confiance du peuple et connus pour leur honorabilité et respectabilité.
Du fait que l’adoption de la loi relative à la haute instance indépendante chargée de l’organisation, de la surveillance et de la supervision des élections, y compris la proclamation des résultats provisoires, tel que revendiqué par le hirak, requiert l’amendement de l’article 194 de la Constitution, il est suggéré la convocation du Parlement en congrès.
La préconisation de cette démarche participe du souci de réduire les délais d’examen et d’adoption des projets de loi qui prennent en temps normal, et à titre exceptionnel, une durée d’un à deux mois.
Des voix pourraient s’élever pour souligner que le chef de l’Etat au sens des dispositions de l’article 104 de la Constitution ne peut pas proposer une révision constitutionnelle ; il y a lieu à cet égard de leur préciser que l’institution de la haute instance précitée ne peut être envisagée en dehors de la révision de la Constitution.
La réunion consacrée à l’adoption du projet de loi relatif à la haute instance chargée de l’organisation, de la surveillance et de la supervision des élections, peut être mise à profit pour compléter la Constitution par une disposition transitoire sous forme d’article 102 bis ou 216 bis rédigé comme suit : «Lorsque pour des considérations objectives, les élections présidentielles ne peuvent être tenues dans le délai des quatre-vingt-dix jours fixé à l’article 102 ci-dessus, le Parlement réuni en congrès, présidé par le membre du Conseil de la nation le plus âgé, décide soit la prorogation du mandat du chef de l’Etat jusqu’à la tenue desdites élections et l’investiture du président de la République élu, soit l’élection parmi les membres du Conseil de la nation d’un candidat pour assurer la fonction de chef de l’Etat jusqu’à l’élection du président de la République et sa prise de fonction».
Les suggestions ci-dessus constituent, de notre point de vue, une issue tant politique que «juridique» de sortie de crise, empreinte également de pragmatisme, le pays ne pouvant se permettre d’entrer dans une zone d’incertitudes, d’instabilité institutionnelle et de vide constitutionnel.
A. S.
Colonel à la retraite, ancien cadre au ministère de la Défense nationale
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