La deuxième République, an zéro
Par Abdelkader Rafed – Rien ne sera comme avant ! En ces moments d’euphorie révolutionnaire, le rêve s’invite chez la réalité et fait vibrer les esprits et battre les cœurs de tout un peuple, il faut se donner le temps de la réflexion pour que les lendemains ne déchantent pas.
Pour ce faire, on se doit de faire un constat, fut-il amer, de ce qui a prévalu et lui opposer une démarche et une construction qui soient à la hauteur des espoirs suscités. La deuxième République aura comme moteur le droit et la justice pour instaurer tout équilibre, qu’il soit institutionnel, politique, économique, social ou culturel.
Depuis le 22 février 2019, tout semble nouveau, sensation enivrante que procurent une délivrance, un espoir, un changement, un lendemain meilleur. Le peuple, soudain réveillé, se découvre et se met à rêver en reprenant son destin en main, après avoir été mené des décennies durant par un pouvoir qui le traitait en mineur, juste capable de consommer et se contenter de ce qu’on lui présente comme menu, sans autre choix possible.
La sagesse populaire, toujours en veille, jamais endormie, relevait cependant les inepties d’une marche à pas forcés, à travers des appréciations puisées dans sa culture, pour qualifier une situation souvent ubuesque dans le fonctionnement de l’Etat et de la société. «Errekba mayla» (la monture est penchée), «Dawlet Mickey», et j’en passe. Humour qui verse dans l’autodérision, révélateur de la perte d’une confiance.
Aujourd’hui, s’offre l’occasion de repartir sur de nouvelles bases saines, en scellant bien la monture Algérie, et lui offrir un cavalier digne de ses qualités et de ses potentielles performances afin de la guider vers les sentiers du progrès, de la justice et de la démocratie. Plus qu’un changement de génération, ce sont les fondements mêmes de la société qui sont à revoir si on veut vivre dans l’harmonie, l’unité et prendre sa place dans un monde qui bouge et nous observe nous débattre avec nos tabous et nos contradictions multiples alors que nous avons toutes les chances, matérielles et humaines, de réussir et de vivre heureux.
C’est cela le sens du cri lancé par les manifestants et que le pouvoir ne semble pas capter, ni comprendre. La continuité «constitutionnelle» à laquelle certains appellent, au nom de la stabilité, est la source même de l’instabilité que nous vivons actuellement. Le «système» est lié aux hommes qui ont incarné toute cette période depuis l’indépendance et qui a abouti à cette impasse politique et institutionnelle que sous-tend une crise morale dans la conduite des affaires de la nation.
Aujourd’hui, les générations qui se sont succédé sont suffisamment conscientes pour ne plus céder au chantage d’une classe finissante, et en complet décalage avec les nouvelles réalités où le retard du pays est devenu insoutenable face au reste du monde. Plus gravement, la situation économique à laquelle a mené une gestion chaotique, dénuée de toute vision stratégique et donc de bon sens et de logique systémique, met le pays en danger réel de récession et de possibles soulèvements difficiles à contrôler et à maîtriser.
Le mode de gouvernance qui a prévalu jusqu’ à présent est révolu et doit faire place à plus de pragmatisme, de transparence, de justice et de partage des responsabilités et des richesses, basées sur l’effort et l’engagement citoyen. La gestion des affaires de l’Etat doit faire l’objet d’une constante communication à tous les niveaux et à tout moment afin que le contrôle soit systématique et la restitution automatique, dans le but d’évaluer toute action et en rectifier les éventuelles erreurs.
Pour ce faire, des instruments existent, ou sont à mettre en place, afin d’imprimer à l’action de l’Etat une rigueur nécessaire où la règle de droit se doit d’être son credo car nous sommes devenus un pays qui dicte des lois pour ne pas les appliquer ! L’exemple le plus frappant est celui de la loi suprême, la Constitution dont le manque de respect est à l’origine des turpitudes constatées ces derniers temps.
Ce fil conducteur qui guide toute nation a de fait été souvent rompu ou ignoré, d’où les dérives observées, notamment dans le domaine du respect de l’humain, de ses droits fondamentaux et des libertés. La conséquence, c’est qu’on a affiché des slogans sur le fronton de la République pour ensuite les bafouer. On se dit démocratiques mais on n’accepte aucun avis contradictoire, donc pas d’opposition, pas de débats, pas d’enquêtes, pas de contrôle et pas de sanction, si ce n’est contre les opposants. On se dit populaires mais on centralise à outrance jusqu’à créer un Etat squelettique qui s’arrête au wali, en dessous duquel il y a «walou». On se dit républicains mais le culte du «zaïmisme» est devenu religion, jusqu’à imposer des préséances et des révérences qui rappellent plutôt une monarchie absolue…
Enfin, alors que nous ambitionnions dans les années soixante-dix de se mettre au niveau de certaines nations européennes, nous voilà en deçà de standards à la mesure de notre rang et de notre histoire. Après une glorieuse révolution qui a libéré, y compris d’autres peuples et à l’ombre de laquelle nous avons vécu toutes ces années, son aura s’est estompée au fil des années parce que le régime et ses sbires l’ont utilisée à outrance comme fonds de commerce pour en tirer tous les avantages possibles et imaginables, au détriment du mérite, de l’effort et de la compétence.
Face à ce constat amer, quid de la suite maintenant que nous avons bousculé cet ordre injuste dont la fin est loin d’être actée ?
A. R.
Président de l’Alliance nationale des associations algériennes de France (Anaaf).
Ancien membre du Cnes, président du groupe communauté à l’étranger.
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