Affaire Anadarko : y avait-il un accord secret entre Total et Ould Kaddour ?
Par Hocine-Nasser Bouabsa(*) – En raison de son apport dominant au financement du budget de l’Etat et des réserves en devises, Sonatrach est de loin le plus important acteur de la vie économique nationale. Bonnes ou mauvaises, sa gestion et ses décisions ont des répercussions directes et existentielles sur l’ensemble de la communauté, dans les court, moyen et long terme. Si ses décisions sont dans leur grande majorité rendues publiques, certaines sont, en revanche, gardées secrètes pour des raisons qui ne sont pas toujours dans l’intérêt du pays. Au contraire.
Les réactions agressives et intempestives de certains milieux français – à la suite des déclarations du ministère algérien de l’Energie concernant l’éventuelle valorisation du droit de préemption pour acheter les actifs d’Anadarko en Algérie – d’une part, représentent un indice fort sur l’existence d’un accord secret conclu entre les Bouteflika et certaines parties françaises, et, d’autre part, confirment l’esprit colonialiste qui sévit encore toujours au sein de l’élite parisienne.
Une transaction de presque neuf milliards de dollars dans le domaine des hydrocarbures n’est pas le fruit d’une nuit de discussions mais celui d’un long processus d’échanges, d’analyses et de négociations qui peuvent s’étaler sur des dizaines de mois. L’Algérie étant concernée fondamentalement par cette transaction, il est donc improbable que le premier groupe pétrolier français se soit aventuré dans une affaire si importante sans assurer ses arrières. L’accord de Total-Oxy (Occidental Petroleum) sur l’achat de tous les actifs d’Anadarko en Afrique – dont ceux situés en Algérie représentent pour le moment le noyau dur – a donc dû être conclu après concertation avec l’ex-PDG de Sonatrach, Abdelmoumène Ould Kaddour, mandaté par l’ex-clan présidentiel, dont il était le courtier loyal et qui aurait probablement donné son feu vert, sans pour autant informer toutes les institutions concernées.
Simple hasard, conséquence logique du collapse d’un pouvoir autocratique en fin de cycle ou jalon stratégique programmé par la baraka divine ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Mais une chose est sûre : la révolution du 22 Février est venue à temps pour chambouler l’échiquier des rapports de force et pour bouleverser les plans malhonnêtes de beaucoup de prédateurs. Parmi ces plans, on pourrait probablement compter l’acquisition des actifs d’Anadarko en Algérie par Total. En effet, le management de Total, tout comme le gouvernement français, connaît la loi algérienne et la sensibilité des Algériens dans tout ce qui touche à leurs ressources hydrocarbures. Mais le groupe français a préféré négocier secrètement – comme il a l’habitude de le faire ailleurs en Afrique – avec un clan illégitime et vacillant, prêt à brader les richesses nationales afin de s’assurer un soutien éphémère au cinquième mandat. C’est ce qui explique, en partie, pourquoi l’opinion nationale algérienne n’a pris connaissance de l’intention de Total que lorsqu’Oxy a publié son communiqué obligatoire il y a quatre semaines.
Si Total voulait aujourd’hui se référer à un éventuel accord avec Ould Kaddour, l’Etat algérien devrait lui opposer un rejet catégorique, car s’il y avait vraiment accord. Celui-ci est à placer dans le chapitre «compromission, corruption et atteinte à la sécurité nationale». N’ayant jamais été validé par les autorités et institutions compétentes, un éventuel accord secret n’a ni effet contractuel ni valeur juridique et ne peut engager que la personne de l’ancien détenu de la prison de Blida ou ses parrains. Le sujet mérite, en tout cas, l’attention de la justice et des services de sécurité, car il germe en lui un énorme préjudice au Trésor public.
Que Total, après des décennies d’absence et d’embargo, veuille revenir en grande force pour concurrencer Sonatrach sur son propre terrain en prenant le contrôle sur 30% de la production nationale de pétrole, c’est de bonne guerre. Mais, pour l’Algérie, la transaction Oxy-Total ne sera que le cheval de Troie. Elle est dangereuse et doit être stoppée sans tergiversation. La France est aujourd’hui un client secondaire pour le gaz et le pétrole algériens. Elle investit des sommes colossales dans le domaine hors-hydrocarbures au Maroc en se détournant de l’Algérie, alors que cette dernière lui ouvrait toutes les portes. C’est elle qui a saboté le mégaprojet solaire Desertec. Et c’est encore elle qui soutient le Makhzen dans sa politique belliqueuse contre l’Algérie. Nous sommes donc loin de l’amitié que nous ressassent constamment ses présidents et ministres.
Garder les portes ouvertes à des négociations avec un pays, avec lequel nous partageons beaucoup de choses, c’est nécessaire et même souhaitable, mais il faut néanmoins tout mettre sur la table, inclus les dossiers de la Libye, du Sahel et du Sahara Occidental. Et, surtout, il faut négocier en partant du principe que les intérêts de la nation sont au-dessus de tout, comme le fait la France et tous les autres pays. C’est dans cette optique que le peuple algérien doit exiger du pouvoir actuel de faire valoir le droit de préemption pour permettre à Sonatrach d’acheter les actifs d’Anadarko. Une telle transaction serait bénéfique et pertinente pour plusieurs raisons sur lesquelles nous reviendrons dans une prochaine contribution.
H. N.-B.
(*) PhD, chef d’entreprise et analyste
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