Le coup d’Etat pacifique
Par Loukmane Khiter – Ce qui se passe en Algérie depuis le 22 février 2019 peut se comprendre dans la répétition discontinue des révoltes populaires face à la tyrannie chronique des dominants au pouvoir, qu’ils soient nationaux, coloniaux, militaires, civils ou religieux. Un tel désordre créatif, artistique et culturel dans sa forme est éminemment politique. Un coup d’état pacifique. Cette innovation sociale nous confronte à une profonde mutation de la société algérienne face à la stratégie de neutralisation et d’annihilation du mouvement populaire.
Le pouvoir en place dispose de tous les leviers susceptibles de réduire au silence les revendications d’un peuple depuis très longtemps banni de la citoyenneté et de l’exercice démocratique. Les revendications manifestes d’émancipation, de liberté et de démocratie sont du côté du peuple. Le côté obscur, non dévoilé, des enjeux de pouvoir entre les différentes factions, les clans et leurs alliances de circonstance, sont du côté du pouvoir. L’ordre existant, dont le seul objectif est de perdurer pour maintenir ses privilèges au détriment de la masse, fait de la résistance. A défaut d’un compromis, il sera contraint d’activer, en rappel des années 90, ses sous-traitants, les janissaires de l’Algérie post-indépendance, tous issus du carnage de l’éducation nationale, de l’obscur objet du désir religieux, de la «systémie» de la corruption, de l’impunité et de l’incurie d’une administration vouée aux ordres.
Le «hirak» appartient déjà à l’histoire de l’Algérie, des Algériens et des Algériennes qu’il débouche ou non sur la revendication suprême du mouvement, le changement du système. Le changement, c’est-à-dire la rupture avec les passés récents de l’histoire contemporaine depuis la colonisation française et jusqu’à l’emprise de l’armée des frontières, au lendemain de l’indépendance en 1962 jusqu’à nos jours, de l’exercice politique, idéologique et religieux pour faire main basse sur tout un pays, y compris son peuple, en prorogeant le statut de l’indigénat sous couvert de légitimité révolutionnaire, historique et religieuse.
Ni l’Algérien ni l’Algérienne ne sont considérés comme des citoyens à part entière. Ils doivent se soumettre aux diktats du parti unique et de ses dérivés. Une escroquerie politique encore souveraine dans les pratiques comme dans les esprits. Les multiples facettes d’une combinaison vicieuse davantage qu’erronée du FLN (post-indépendance) au RND, du FIS au MSP et les multiples du même à l’identique sous couvert d’étiquettes folkloriques sur la route de l’infamie civilisationnelle, une réplique aux traumatismes de la colonisation plurielle, sur plusieurs siècles, jusqu’à l’indigestion et le vomissement de toutes les tares symboliques, culturelles, historiques et religieuses.
Que reste-t-il de l’Algérien fier, authentique et indépendant ? Quelques séquelles irréductibles, qui surgissent des entrailles de cette Algérie plusieurs fois millénaire. Lui, l’Algérien que toutes les colonisations confondues ont rêvé d’effacer de sa terre et de sa pensée. La rupture, c’est son ADN, le désordre, son pouvoir, la révolte, son combat contre l’oppression des impuissants, des incompétents, des escrocs, des corrompus, des falsificateurs, des charlatans, des faussaires et des trafiquants. A croire qu’ils se sont tous donné rendez-vous en Algérie mais sûrement pas pour le bien commun, de ce qui peut nous rassembler et nous aider à vivre ensemble.
Le «hirak», une révolte, que dis-je, une révolution, contre la tyrannie, l’injustice et la décadence d’un pouvoir aux abois. Il faut être un artiste pour gouverner l’Algérie. Les imposteurs, les intégristes et les terroristes ne sont pas les bienvenus dans le pays du rêve, de la bravoure et de l’honneur. Des frontières à l’intérieur, la fulgurance du peuple est toujours la même, un seul mot d’ordre, l’insurrection permanente. L’Algérien, l’homme du terroir, connaît le sens de l’histoire, celle qui le propulse bien au-delà des idéologies et des croyances importées d’où qu’elles viennent. C’est un homme libre par essence comme par définition, un Amazigh.
Le «hirak», c’est sa création, une irruption par effraction, un règlement de compte pacifique et civilisé à l’intérieur du pays, une modeste contribution à l’histoire contemporaine de l’humanité. La réconciliation nationale, ce n’était pas avec les terroristes mais avec l’histoire tumultueuse d’un peuple brave et courageux que le monde entier découvre dans sa plénitude, sa fécondité, sa maturité et sa créativité.
L. K.
(Aix en Provence)
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