Le mélodramisme des jeunes artistes algériens contemporains
Par Dr Ilias Boukhemoucha – L’Algérie est en train de franchir une impasse difficile de son histoire, avec la conscience des uns et, malheureusement, l’inconscience des autres, ces «autres» pseudo-cultivés, pseudo-académiques, et même des pseudo-autodidactes de la culture, je vise la culture par ce qu’elle représente la zone neutre, là où il y a les débats ouverts sans censure ou suivie.
La culture représente ce que nous sommes vraiment, et la culture indique vers quel chemin nous allons, mais l’absence de l’analyse profonde avec un souci permanent de notre avenir ensemble, unis sans un négationnisme égoïste irréfléchi, puis la réalité doit être au-dessus des impressions et des préjugés; le réel est loin de notre idéalisme romantique depuis l’indépendance à ce jour, nous vivons l’âge du mélodrame par excellence, qu’est-ce que le mélodrame ? c’est l’exagération dans la recherche du pathétique et de l’image léchée, il suffit de faire un petit tour sur Google pour comprendre le mélodrame dans le théâtre, la littérature, la peinture et le cinéma, il a eu une évolution remarquable dans la télévision et le clip musical, on peut distinguer trois phases du mélodrame, il commence par présenter le réel avec un idéalisme farouche, puis il redéfinit le bien et le mal par une banalité irréelle, la deuxième phase c’est quand il commence à chercher l’exagération poussée dans la présentation du réel; dans le théâtre et le cinéma c’est plus clair par ce que le sur-jeux des comédiens devient une marque de fabrique récurrente, la troisième phase c’est la recherche du pathétique qui devient de plus en plus dominant sur la présentation réaliste du réel, avec l’exploitation massive de la musique dans les scènes de drame et de tragédie tel que les soap opera mexicains et turques, une approche antinaturaliste, basée sur l’exagération qui ne laisse pas au spectateur le recul pour analyser rationnellement les choses, le mélodrame classique démesuré est réactionnaire par nature, il ne permet pas une éventuelle révolte à cause du pathétique dominant, avec un romantisme écartant l’analyse et la prise de position, serte il y a de petites exceptions dans l’histoire telle que le mélodrame présenté par Lars von Trier dans le cinéma par exemple, ce mélodrame mélancolique avec un objectif au-delà du pathétique, et bien loin de l’histoire classique du bien et du mal, tandis que le cinéma nous a aussi révélé une pratique que je considère comme une catastrophe artistique, c’est le phénomène Titanic de James Francis Cameron, premièrement c’est un blockbuster hollywoodien, alors un produit multinational reflète la domination des pays du nord sur les pays du sud, en plus c’est une dose de drogue dur nommée l’américanisation mondialiste globaliste, imaginer avec moi un autre scénario du film, imaginer la scène du dîner de cons avec les bourgeois Jack Leonardo DiCaprio devient un avatar de l’Emir Abdelkader ou Marx, il déclenche une lutte des classes cruelle, dans la table Jack dénonce le système féodal capitaliste réactionnaire au lieu de répliquer les maudites paroles qu’il a éjaculé dans sa réponse aux capitalistes qui ont critiqué son mode de vie prolétaire patriotique, imaginer avec moi le film qui dénonce la présence de deux classes, il annonce une révolte au lieu de faire danser les deux protagonistes amoureux sur la table vide des pauvres de dessous, il fallait danser sur la table plaine des bourgeois, pour que Jack devient Karl Marx ou Larbi Ben M’hidi et Rose devient Friedrich Engels ou Benbadis.
Titanic c’est pour moi le modèle ultime du mélodrame réactionnaire admiré par tous les pauvres qui ont goûté cet opium du peuple, l’art est devenu l’opium des peuples actuels, l’usine d’Hollywood fabrique les doses les plus dures du marché mondial, et je ne suis pas surpris que même l’académie algérienne laisse passer des thèses de doctorat sur Titanic et compagnie sans une approche critique sévère, pour un éveil contre les superflus dominants.
Je poursuis les événements, et je dévoile les jeunes artistes algériens drogués par Titanic, chez nous on fait les choses à l’extrême, on a basculé vers ce que j’ai appelé le mélodramisme, qui est basé sur une exagération abusée et inconsciente des pseudo-autodidactes dans la recherche du pathétique comme objectif ultime de «l’œuvre», avec une approche artificielle transcendantale, qui regarde notre réalité sociopolitique «algérienne et maghrébine» d’en haut,
Et qui s’est permis de donner à un jeune prolétaire algérien une voiture Porsche ou Ferrari, dans une fiction scénarisée par un manque de maturité idéologique et d’engagement sociopolitique, et avec un manque d’une vision profonde de notre existence, et un écart de l’étude approfondie de l’art qu’ils pratiquent dans toute son universalité, une fiction subventionnée par une bourgeoisie algérienne bédouine moderne, composé d’une oligarchie, soumise peut être à une volonté pro-étrangère, et une idiotie romantique mondialiste inconsciente, il suffit de revoir sur internet les feuilletons du Ramadan 2019 dans les chaînes TV étatiques et privées ou consulter les courts métrages de jeunes réalisateurs algériens populaires dans leur médiocrité pour dévoiler un modèle d’identification d’une jeunesse nourri par le mélodrame Titanic, il faut écouter l’hymne officielle de ce que vous appelez El Hirak pour comprendre que le mélodrame algérien est une source de faiblesse et indicateur de détournement réactionnaire, le mélodramisme des clips vidéo populaires du Hirak rend le thème abordé et l’histoire racontée une toile de fond pour le pathétique du moment, tandis que le pathétique doit être une toile de fond pour tramer une narration permettant le traitement sincère des thèmes abordés, dans la fiction mélodramatique mesurée bien sûr.
Je suis conscient que toute présence du mélodramisme romantique algérien brouille la réflexion profonde sur les thèmes abordés, et ne permet pas de trouver la meilleure façon de narrer ; et la forme artistique choisie comme médium pour présenter le contenu ne peut être défini, je dénonce le travail critique absent pour guider les jeunes créateurs vers un éveil artistique et littéraire et poétique mesuré, si on veut réaliser un chantier de civilisation immense comme l’Algérie, on doit être au-dessus de l’immensité même des révolutionnaires qui ont mené à bien la révolution algérienne jusqu’au 5 juillet 1962.
E. B.
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