Blanchiment d’argent : doit-on croire aux nouvelles révélations de l’OCCRP ?
Par Célia Schmidt – Trois ans après le scandale d’évasion fiscale des «Panama Papers», les journalistes continuent à analyser ces révélations qui ont fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs enquêtes sont désormais ouvertes, mais les autorités panaméennes sont réticentes à fournir les informations aux services de sécurité des pays concernés. Bien que la publication des documents ait entraîné des conséquences en matière de la lutte contre les sociétés offshore, la plupart des accusations faites par le Projet de reportage sur le crime organisé et la corruption (OCCRP), un collectif de journalistes qui avait été à l’origine des «Panama Papers», n’ont pas connu un développement. Mais quel était donc le réel objectif de cette vaste et coûteuse campagne d’information ?
Qui se cache derrière la fuite et sa médiatisation ?
Encore en 2016, Julian Assange a déclaré que la fuite des documents panaméens avait été orchestrée par les Etats-Unis dont les résidents n’y figuraient pas. La cible principale de l’enquête était bien la Russie et le président Poutine, disait-on alors. C’est lui et les comptes offshore de ses proches qui ont fait l’objet des articles les plus éclatants.
Fait significatif, quelques mois avant la publication des documents panaméens, en juin 2015, il y a eu une rencontre à huis clos entre des officiels du département d’Etat américain, le financier américain d’origine britannique Bill Browder et le milliardaire américain George Soros. Etrange coïncidence. Soros et Browder sont les plus grands financiers qui ont perdu de grosses sommes d’argent en Russie à l’époque. Il n’est pas étonnant qu’ils veuillent se voir indemniser, mais leurs méthodes suscitent de l’inquiétude.
Grâce aux liaisons et capacités de gros financiers, l’appareil d’Etat et le monde des affaires se sont très rapprochés en Amérique. Désormais, le Congrès, le département d’Etat et le ministère des Finances servent les intérêts de Soros et Browder. La fuite des échanges entre le fonctionnaire de la Maison-Blanche Robert Otto et le représentant de Browder au Congrès, Kyle Parker, en est un bel exemple. Or, les «Panama Papers» sont une commande des hommes d’affaires profitant du soutien de l’administration et des services spéciaux américains. Des projets comme celui-là sont d’habitude réalisés par les institutions «indépendantes», telles que le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et l’OCCRP. Elles ne cachent pas que leur activité est financée par USAID, dit le département d’Etat, le fonds de Soros, Browder et d’autres parrains américains. Ce fait explique également l’absence des officiels américains dans les documents panaméens.
Bientôt de nouvelles pseudo-enquêtes
Malgré la médiatisation des «Panama Papers», cette attaque d’information n’a pas provoqué les effets que ses sponsors attendaient. Bill Browder avait prédit à l’époque de nombreux mandats d’arrêt basés sur les documents panaméens. Pourtant, aucune preuve solide pour ouvrir une affaire criminelle n’a été présentée. Presque tous les hauts fonctionnaires impliqués ont gardé leurs postes.
Deux ans après, en janvier 2018, le Trésor américain a rendu public le «Rapport du Kremlin», une liste de 114 personnalités politiques et 96 hommes d’affaires dont plusieurs figurent également dans l’investigation de l’ICIJ basée sur les «Panama Papers». Une fois encore, une cible ratée. On dirait que Washington a tout simplement copié l’annuaire des abonnés du Kremlin, plaisantaient les Russes. Mais la campagne anti-Poutine se poursuit et il est fort probable que l’on témoigne une nouvelle intox, ce que plusieurs facteurs l’indiquent.
D’abord, en mars 2019, le Congrès américain a approuvé le projet de loi qui ordonnait au directeur du renseignement national, Dan Coats, en accord avec le ministre des Finances et le secrétaire d’Etat, de déposer un rapport sur les avoirs légaux et illégaux de Poutine et ses proches auprès de la Chambre des représentants. Autrement dit, composer un fichier compromettant sur l’ennemi numéro un des Etats-Unis. Il est facile d’imaginer l’ampleur de la pression que le Congrès a mise sur Coats. Quand un objectif est assigné sous forme de loi, les services spéciaux doivent creuser la terre pour pouvoir présenter de tels éléments compromettants.
Ensuite, le département d’Etat a déclaré l’intention d’attribuer un budget de plus de 661 millions de dollars pour contrer l’influence russe dans l’espace médiatique. Le texte évoque notamment la nécessité de doubler l’audience russe de Radio Liberty.
Troisièmement, le même mois, l’OCCRP a commencé à publier des investigations qui faisaient état des avoirs illégaux des oligarques et fonctionnaires russes proches du président, en baptisant ce projet «Troika Laundromat».
Quatrièmement, en avril, les journalistes de l’OCCRP ont annoncé la coopération avec DDoSecrets, Distributed Denial of Secrets, le nouveau site qui compile et relaie des données piratées. Un fait intéressant à noter est que la couverture médiatique de DDoSecret tournait autour des fichiers surnommés «The Dark Side of the Kremlin» (le côté obscur du Kremlin). Tout le monde s’attendait à des révélations sensationnelles, mais en vain. Rien de nouveau ou sensible n’a été publié.
Enfin, compte tenu de la montée des tensions dans le monde, Washington a besoin de nouveaux leviers de pression sur ses opposants principaux. La crise au Venezuela, des négociations échouées avec l’Iran et la Corée du Nord, des conflits prolongés en Syrie et Libye, etc. Pour régler ces questions, les Etats-Unis sont forcés de dialoguer avec les acteurs-clés dans ces régions, y compris avec la Russie. Or, le renseignement américain récupère des éléments compromettants sur les individus concernés afin d’avoir un atout dans la poche.
Quel est le rôle du Trésor américain ?
Dans le réseau d’influence des élites américaines, une place importante est accordée au Trésor. Le ministère ne cesse d’imposer de nouvelles sanctions contre la Russie, en ciblant plus particulièrement des fonctionnaires de l’Etat, des militaires et des oligarques proches du Kremlin, comme Oleg Deripaska, le «roi de l’aluminium» avec son groupe Rusal. Les sanctions contre le milliardaire sont une arme visant à accaparer le marché et à contrôler le secteur. Dans ce cas-là, le Trésor américain sert les intérêts du business américain.
Il est à noter que Soros a des liens de longue date avec le ministère des Finances. Au milieu de l’année 2003, le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, avec le soutien du milliardaire américain, a fondé SFM Capital Management. Soros y a investi un milliard de dollars. En 2008, en pleine crise financière, les financiers ont racheté aux enchères, avec des partenaires, la banque californienne en faillite IndyMac, ce qui leur a permis ensuite d’augmenter leur fortune. Alors qu’ils appartenaient à des camps rivaux, les deux hommes d’affaires ont gardé de bonnes relations. Soros a toujours une influence sur Mnuchin.
L’intox, comment ça marche
En général, l’affrontement dans l’espace informatique implique des pouvoirs et des hautes institutions. Le Congrès fixe l’objectif de recueillir des éléments compromettants et accorde le financement des projets associés. Le bureau du directeur du renseignement national supervise les activités des agents qui procurent des informations requises. Le Trésor attribue le budget et impose des sanctions.
Les données recueillies par le renseignement seront divulguées via les organismes engagés, tels que l’OCCRP ou l’ICIJ. Les réseaux de journalistes contrôlés par les financiers américains dans tous les coins du monde, y compris en France et Russie, seront chargés d’alimenter et médiatiser le sujet.
Quelque pertinente que la future publication de l’OCCRP serait, tout média indépendant se posera la question is fecit cui prodest ? et ne découvrira rien de sensationnel dans une opération d’information orchestrée et financée par Washington.
C. S.
Comment (3)