Comment l’argumentaire colonialiste du Makhzen s’est écroulé en une semaine
Par Tarek B. – L’étau se resserre autour de la diplomatie monothématique du Maroc qui, au bout d’une semaine, a vu s’écrouler tout l’édifice de son argumentaire colonialiste sur la question du Sahara Occidental. Après s’être vu obligé de reconnaître, sur le plan juridique interne, la réalité du territoire sahraoui au travers de la promulgation des lois portant adoption des accords de pêche UE-Maroc et de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), voici qu’un autre élément du rubicube marocain, portant cette-fois ci sur le recensement des réfugiés sahraouis, est battu en brèche, qui plus est depuis la capitale européenne et au plus haut niveau de responsabilité.
Le couperet est venu du commissaire européen en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises, Christos Stylianides. Dans une réponse écrite à une question d’eurodéputés l’interpellant sur la nécessité d’adapter à la hausse l’aide financière de l’UE aux réfugiés sahraouis, à la lumière des nouveaux chiffres officiels des Nations unies, Stylianides a clairement indiqué que l’Union européenne «est pleinement consciente des résultats du recensement de 2018 réalisé par le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur la population de réfugiés sahraouis vivant à Tindouf».
L’information relève toute son acuité lorsqu’on sait que le Maroc s’est démené pour étouffer ce rapport du HCR, intitulé «Sahrawi Refugees in Tindouf, Algeria : Total In-Camp Population», particulièrement à travers l’activisme fébrile de son ambassadeur à Genève, Omar Zniber, qui s’est échiné, des mois durant, pour bloquer sa publication, allant même jusqu’à recourir à la menace de ne plus contribuer au budget annuel de l’organisation.
Face à l’inéluctable, ce diplomate psychorigide a embrigadé certains pays arabes au sein du groupe dit de «soutien à l’intégrité territoriale du Maroc», dans le but de vampiriser, en vain, le document du HCR. Il a d’ailleurs, dans un droit de réponse exercé au nom de son pays, à la 41e session du Conseil des droits de l’Homme, au titre d’un débat général avec la Haut-Commissaire Michelle Bachelet, le 25 juin 2019, nié l’existence-même des nouveaux chiffres du HCR en déclarant : «Ce sont des chiffres tout à fait fictifs, il n’existe ni rapport du HCR, ni rapport du PAM qui corrobore ces chiffres.»
Une pitoyable opération de déni et de mystification qui intervient au moment où, paradoxalement, le Maroc multiplie les appels à l’enregistrement des réfugiés, sachant qu’il n’a aucune qualité pour agir, dans la mesure où il n’est ni pays hôte, ni pays d’origine et encore moins donateur, sans compter que cette question est éminemment politique et qu’elle est, surtout, en relation organique avec le plan de paix onusien et l’organisation du référendum d’autodétermination du peuple du Sahara Occidental qui était, et reste, l’objectif principal et la raison d’être de la Minurso.
La raison de cette attitude machiavélique est à rechercher dans le fait que le Maroc a toujours voulu exploiter le drame humain que vivent les réfugiés sahraouis depuis plus de quarante ans, dans le double objectif de saborder systématiquement, et de manière froidement préméditée, le processus de décolonisation mené par les Nations unies et de tenter d’asphyxier cette population vulnérable, en polémiquant de manière oiseuse sur des soi-disant «séquestrations» des Sahraouis et des «détournements» de l’aide humanitaire, ou encore en minimisant le nombre de réfugiés.
Adopté officiellement et transmis au secrétaire général de l’ONU en mars 2018, le rapport du HCR, auquel le commissaire européen a fait référence, a de dérangeant pour le Maroc qu’il actualise à la hausse (et pas qu’un peu) les chiffres de planification sur lesquels se base l’aide humanitaire, restés inchangés depuis 2007 malgré la croissance démographique. L’importance de ce rapport du HCR réside dans au moins trois niveaux : d’abord, au plan de son exhaustivité, il représente l’analyse la plus complète jamais réalisée depuis 2007 sur le sujet, de l’aveu du HCR. Ensuite, du point de vue de la valeur heuristique, ses conclusions sont le fruit d’une mission d’experts multisectorielle impliquant, en plus du HCR, des organisations de renom comme l’Unicef, le PAM et plusieurs ONG internationales.
Comme le spécifie bien le rapport en question, l’équipe de la mission d’experts a eu un «accès complet» aux sites et informations demandés qu’elle a triangulés de manière «indépendante». Il y a, également, la méthodologie rigoureuse de ce rapport, basée sur les conclusions du Groupe de travail sur les chiffres de la population (PFWG) et sur les normes internationales requises en matière de traitement des données statistiques (dites normes SOP’s), comparativement aux estimations de 2007.
A titre d’exemple, la rigueur de cette évaluation a amené la mission du HCR à exclure de ses statistiques les étudiants sahraouis de plus de 18 ans se trouvant en dehors des camps de réfugiés. Last but not least, les résultats de ce rapport sont sans appel : dans cinq des sept camps de réfugiés recensés, la population totale s’établit, au 31 décembre 2017, à 173 600 réfugiés sahraouis, soit une hausse de presque 40%. De manière très méthodique, ce rapport met un terme aux manipulations mensongères du Makhzen pour induire en erreur la communauté internationale sur le nombre des réfugiés sahraouis.
Le premier responsable de l’UE en matière d’aide humanitaire a également rappelé que le Programme alimentaire mondial (PAM) s’est déjà approprié les nouveaux chiffres du HCR, en citant le rapport que cette agence onusienne a établi, en août 2018, sur l’«évaluation de la sécurité alimentaire pour les réfugiés sahraouis», lequel renvoie à trois reprises au rapport du HCR et au chiffre actualisé des réfugiés sahraouis.
La réponse du commissaire européen aux manigances marocaines est d’autant plus cinglante qu’il dit suivre avec intérêt l’évaluation que mène actuellement le HCR sur la «vulnérabilité» de la population sahraouie et sa «sécurité alimentaire».
T. B.
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