L’impérative transition générationnelle
Par Mourad Hamdan – «A l’ère de la guerre cybernétique et de l’information massive, et à l’aube de la révolution de l’intelligence artificielle (IA), il serait irresponsable et même dangereux pour la souveraineté nationale, la survie de l’Etat et la sécurité du peuple de mettre aujourd’hui les rênes de la transition politique ou les structures sensibles de la nouvelle République entre les mains d’hommes de plus de 70 ans.
L’ère nouvelle et déterminante que nous vivons, aussi prometteuse que dangereuse, est marquée par l’IA ou la capacité des machines à apprendre automatiquement et à simuler les activités intellectuelles humaines les plus sophistiquées. La capacité des ordinateurs à créer, analyser, manipuler et diffuser rapidement une information massive avec une intervention minimale de l’être humain va changer notre façon de vivre, travailler, communiquer, maintenir une économie, gouverner et aussi faire la guerre.
L’IA se retrouve implémentée dans un nombre grandissant de domaines d’application. Les projections de l’intelligence artificielle jusqu’à 2025 se déclinent en différentes applications :
– la reconnaissance d’images statiques, leur classification et marquage ;
– l’utilisation d’algorithme de trading pour améliorer les performances financières ;
– le traitement des données médicales de patients ;
– la maintenance prédictive en informatique comme dans le secteur industriel ;
– l’identification, la détection et le suivi d’objet ;
– l’identification d’images par la requête textuelle ;
– la détection automatique de caractéristiques géophysiques (pour prévenir au plus vite des séismes, tsunamis…) ;
– la distribution de contenus sur les réseaux sociaux ;
– la détection et la classification d’objets pour éviter les collisions et la navigation ;
– la prévention contre les attaques liées à la cybersécurité.
L’évolution exponentielle des applications de l’intelligence artificielle va dépasser de loin la capacité d’adaptation des gouvernements à travers le monde. L’atout central dans cette adaptation réside dans l’exploitation intelligente et continue du renouvellement générationnel. Mettre une jeunesse éduquée et dynamique aux différents centres névralgiques de décision devient un élément vital pour construire et maintenir un Etat viable.
Pour gérer une information massive, automatisée et décentralisée, la nouvelle République algérienne aura plus que jamais besoin de la nouvelle génération seule à même de faire preuve de réactivité et de proactivité car saisissant les nouvelles tendances technologiques :
– la démocratisation de l’IA ;
– la numérisation des écosystèmes (passage des infrastructures techniques compartimentées à des plateformes d’écosystèmes donnant lieu à la conception de modèles de gestion entièrement nouveaux qui feront le pont entre les humains et la technologie) ;
– la bio-informatique libre (biohacking).
– les expériences immersives transparentes (brouillant ainsi les frontières qui séparent les gens, les entreprises et les objets et favorisant une expérience de vie et de travail plus intelligente) ;
– les infrastructures omniprésentes (favorisant l’accès illimité et ininterrompu à une infrastructure informatique).» (Abdennour Abbas, professeur à l’Université du Minnesota, Etats-Unis)
Hirak et statu quo
Dans sa livraison du 16 juin 2019, le quotidien El-Watan a fait écho de la conférence nationale de la société civile sous le titre «La société civile adopte son initiative consensuelle : quatre étapes pour sortir de l’impasse actuelle». Cette rencontre a été qualifiée d’«historique» par les organisateurs qui se félicitent d’avoir adopté d’une feuille de route commune pour sortir de la crise actuelle. Le premier fait intéressant est que les signataires se soient accordés sur l’installation d’un gouvernement de compétences nationales pour gérer les affaires courantes. Le second est que cette feuille de route s’adresse au pouvoir réel (incarné par le chef d’état-major de l’armée nationale) qui en a cependant une autre en contradiction, il est vrai, avec celle qui a été adoptée.
La société civile est donc confrontée à un problème complexe, sans frontière apparente, caractérisé par l’incertitude et l’urgence et où de nombreux acteurs (aux valeurs concurrentes) interviennent.
Le hirak (mouvement populaire pour le changement radical du système) doit impérativement savoir que les gouvernements ont un parti pris pour le statu quo. Sa mission consiste donc à éliminer une partie du risque associé au changement radical qu’il réclame et de le transférer, de façon appropriée, au statu quo. Il s’agira de convaincre le gouvernement actuel des possibilités de mieux définir les problèmes et de générer des solutions plus créatives, en optant pour un certain degré d’ouverture. A tout le moins, envisager une voie d’entrée plus ou moins passive pour les idées et les rétroactions pouvant aider le gouvernement à comprendre la nature des changements proposés et à lui éviter les pièges, écueils et embûches.
Citoyenneté
«On ne peut pas réformer un pays sans son peuple. Il est donc indispensable de réconcilier la démocratie représentative avec la démocratie participative.» Des mots formulés par le député (Agir-Droite constructive) Olivier Becht à la tribune de l’Assemblée nationale comme un écho aux demandes citoyennes de ces derniers mois. Mais qui auraient pu être ceux des citoyens.
Si la démocratie a besoin de repenser le lien avec ses citoyens, elle a aussi, tout particulièrement en Algérie, une occasion de repenser ce qu’est aujourd’hui la citoyenneté.
La citoyenneté, dans l’ordre politique, est présentée comme les devoirs de participation à la vie de la cité qui serait la contrepartie des droits à l’insertion. Le renforcement des relations entre un gouvernement et ses citoyens peut sembler être une priorité si évidente pour les démocraties qu’elle n’a guère besoin d’être rappelée. Pourtant, le reproche fait aux gouvernements est justement d’être trop distants des citoyens, de ne pas être suffisamment à leur écoute et de ne pas solliciter leur participation.
Ils sont sinon mis à l’index, du moins mis à l’amende par un public qui exerce une pression pour que la consultation et la participation soient étendues à tous les domaines de la politique publique, du budget à la politique étrangère.
En toile de fond de ces nouvelles exigences apparaît un monde globalisé en constante évolution et se caractérisant de plus en plus par des réseaux plutôt que par une hiérarchie. Internet a ouvert de nouvelles frontières dans la production et l’échange d’informations, se révélant un outil puissant de coordination pour les acteurs en tous points du globe.
Cette révolution, dont le fait marquant a été le passage au web 3.0 avec l’Internet des Objets, a apporté un changement de paradigme. On est passé du réactif au prédictif. La smart city que propose Google représente ainsi l’aboutissement de la ville intelligente intégralement connectée au service des usagers.
Les entreprises ont été parmi les premières à tirer profit de cette réalité nouvelle suivies de près par la société civile internationale, faut-il le remarquer. Les gouvernements, en revanche, ont mis du temps à exploiter une «approche réseau» de la bonne gouvernance et découvrent seulement maintenant l’intérêt d’impliquer les citoyens et les organisations de la société civile dans l’élaboration et l’application des politiques publiques.
Impliquer les citoyens permet aux gouvernements de puiser à de nouvelles sources d’idées, d’informations et de ressources pour de meilleures prises de décisions. Mais cette implication suppose une ouverture d’esprit, un sens de l’écoute, un art oratoire (au croisement de la rhétorique et de l’éloquence), un esprit de répartie et un art du dialogue et de l’argumentation, bref une communication fructueuse (en lieu et place de la langue de bois) et un débat contradictoire (à la place du monologue).
Il convient de noter que l’implication efficace des citoyens dans l’élaboration des politiques ne peut se réaliser que si les gouvernements consacrent suffisamment de temps et de ressources à la construction de cadres légaux, politiques et institutionnels (solides). Une fois l’édifice achevé, des outils appropriés devront être utilisés, des sondages d’opinion portant sur l’ensemble de la population devront être effectués et des conférences consensuelles avec de petits groupes de citoyens ordinaires devront être organisées en vue de tisser un lien avec les différentes franges sociales de la population.
Il convient également d’indiquer que les ingrédients clés d’une réussite de l’implication des citoyens dans la gestion de la cité, l’action publique et l’élaboration des décisions sont à portée de main. J’en cite trois qui me paraissent être les principaux : l’information, la consultation et la participation du public. Pour ce qui est de l’information fournie, elle doit être objective, complète, pertinente, facile d’accès et facile à comprendre. Il doit y avoir, en outre, égalité du droit d’accès à l’information et à la participation à la prise de décision.
Si de par le monde on assiste aujourd’hui à une généralisation des efforts en vue d’une plus grande accessibilité électronique de l’information gouvernementale et de l’ouverture d’espaces de consultation en ligne, il faut souligner que lorsqu’il s’agit d’intégrer les suggestions des citoyens dans le processus de décision, Internet ne suffit pas. Les rôles et responsabilités respectifs du gouvernement (prendre une décision pour laquelle il est tenu responsable et sur laquelle on peut le juger) et du citoyen (apporter sa contribution au processus de décision) doivent être clairs. Les citoyens ne sont pas le gouvernement, ils l’élisent et veulent être servis par lui.
En cette période troublée, il ne faut pas oublier que la force de la démocratie repose sur des citoyens actifs et informés. Les gouvernements ne peuvent plus se permettre de fournir une information incomplète ou de simplement demander à l’opinion publique son avis sur des faits accomplis. S’il faut réaffirmer l’importance de l’Etat, il faut aussi insister sur le fait qu’il ne servirait à rien de revenir aux anciens modèles d’institutions publiques, mystérieuses, opaques et impénétrables.
La transparence, la consultation et la participation du public sont plus importantes que jamais pour améliorer la conduite de la politique et renforcer la démocratie et la stabilité. Œuvrer à l’ouverture et à la transparence de l’Etat, tout en garantissant la sécurité, la vie privée et les libertés civiles est l’un des grands défis de notre temps.
M. H.
Extrait d’une analyse dédiée au hirak et intitulée «Pour un Etat décentralisé et un gouvernement ouvert et numérique».
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