Le peuple algérien transfiguré
Par Mesloub Khider – Après plus de quatre mois de manifestations titanesques exigeant le départ du «système», marquées par la participation hebdomadaire de millions d’Algériens de tous âges et de toutes conditions sociales, indubitablement, on ne note aucun changement politique notable.
Excepté le congédiement forcé du président Bouteflika, ordonné par le général Ahmed Gaïd-Salah intervenu sous la pression menaçante du soulèvement populaire, et aussi l’incarcération de quelques cacochymes corrompus du régime et de certains affairistes mafieux enrichis avec les deniers publics, le «système» trône toujours souverainement au pouvoir. L’oligarchie règne toujours en maîtresse absolue du pays. Elle détient encore royalement les leviers de l’Etat.
De fait, depuis la destitution de Bouteflika, l’état-major de l’armée, émanation du régime bouteflikien, assure l’intérim de la présidence de la République. Son président autoproclamé gère le pays comme une caserne : avec autorité. Il dirige le pays d’une main de fer dans un gant de velours.
L’institution militaire démontre qu’elle demeure la fraction dominante du pouvoir. Elle prouve qu’elle est la seule instance «politique» à assurer la pérennité du régime, à garantir la sécurité des intérêts généraux des structures étatiques algériennes, menacées d’éclatement.
De fait, semaine après semaine, dans ses déclarations alternant l’éloquence bienveillante et la rhétorique comminatoire, le général Ahmed Gaïd-Salah s’impose comme l’homme fort de l’immuable pouvoir superficiellement purgé. Lentement mais sûrement, l’état-major de l’armée intronise son hégémonie sur l’Exécutif. Dans ses Conseils des ministres ambulatoires constitués de sa seule personne, le chef d’état-major souffle le chaud et le froid. Il étreint le peuple, puis il éreinte le peuple. Il le hausse à la dignité d’entité mâture respectable, puis s’adresse à lui comme à un enfant soumis au devoir d’obéissance. Feignant ignorer que le peuple algérien est entré depuis le 22 février dans sa phase d’émancipation politique, le généralissime persiste à le traiter comme un éternel mineur.
A l’évidence, l’enlisement de la situation politique algérienne n’augure rien de bon. En effet, depuis plusieurs mois maintenant, un bras de fer entre le nouveau peuple algérien moderne, conscient de sa mission historique émancipatrice, et le régime grabataire à l’agonie, cristallisé par son chef d’état-major, désespérément accroché à ses réflexes de «despotisme électoraliste éclairé», est engagé.
Aujourd’hui, pour asseoir son autorité moribonde, imposer sa feuille de route transitoirement militarisée, l’exsangue régime fantomatique en sursis, dirigé ostensiblement par le chef d’état-major, tente sous divers prétextes d’étouffer, même au prix d’une répression tous azimuts, toutes les voix dissidentes, même les plus «démocratiques», particulièrement celle du peuple, l’unique voix (voie) légitime.
De fait, actuellement, l’Algérie est ballottée entre la tentation du script caporalisé égyptien à la Sissi et le parachèvement du scénario civil «révolutionnaire» écrit, réalisé et joué par l’ensemble du peuple libre algérien.
Quelle que soit l’issue de la crise, le peuple algérien est incontestablement transfiguré. Il arbore fièrement un nouveau visage rayonnant d’assurance en son avenir démocratique et progressiste, en rupture avec l’ancien système.
Assurément, depuis le 22 février 2019, date symbolisant sa «nouvelle indépendance», tout le pays s’est métamorphosé en kermesse festive. L’espace public, mué en agora permanente. Dans une effervescence politique sans précédent, le peuple algérien a pris possession de la rue mais, surtout, de son destin. Il a élu domicile dans la rue, métamorphosée en espace public de liberté, transformée en Assemblée populaire délibérative.
Cet événement hautement symbolique marque l’avènement d’un Algérien moderne sur la scène historique politique, l’essor d’une nouvelle génération d’agents sociopolitiques, l’éclosion d’une subjectivité politique exceptionnelle, l’éveil d’une mentalité «révolutionnaire» prodigieuse, la naissance d’un renversement du rapport psychologique entre gouvernés et gouvernants, l’annihilation de toutes les inhibitions inhérentes à une société algérienne sclérosée, soumise durant des siècles à la colonisation étrangère et intérieure, l’étiolement de toutes les frustrations, l’effondrement de toutes les hiérarchies, l’éclatement du conformisme culturel et communautaire, l’affirmation de l’autonomie individuelle, le déclin des transcendances terrestres et célestes, la désacralisation de l’autorité, la délégitimation de toute souveraineté despotique, la libération réelle de la femme, l’aube de l’égalité des sexes, le crépuscule du patriarcat, le début de la sécularisation de la société algérienne, la restauration de l’authentique identité culturelle algérienne expurgée de ses pestilentielles excroissances orientales moyenâgeuses, le renouement avec l’humour et l’esprit de dérision longtemps cultivés par les Algériens, l’épanouissement de la culture de l’espoir, vecteur d’une vie meilleure et de la volonté de la transformation sociale hic et nunc, l’extinction de la culture de la résignation et du fatalisme.
L’Algérie peut se targuer d’avoir accompli sa mutation «anthropologique», culturelle, mentale, psychologique, intellectuelle, politique. L’Algérie aura vécu une expérience collective emblématique, gravée dans toutes les rues du pays, occupées durant des mois par le peuple algérien, viscéralement épris de liberté et d’égalité sociale.
Le grandiose mouvement du 22 Février, enfant légitime du monumental Novembre 54, constitue la répétition générale de la future Révolution victorieuse !
M. K.
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