L’autre match que les Algériens n’ont encore pas gagné
Par Kaddour Naïmi – Notre équipe nationale de football obtient une belle victoire, cependant après une vingtaine d’années d’effort, cependant félicitations à l’équipe ! Quelle liesse bien conquise ! Mais pourquoi ce «one, two, three, viva l’Algérie !» ? Trois mots en anglais, la langue des ex-coloniaux et des actuels néocoloniaux ; un mot en espagnol, celui d’une ex-oligarchie coloniale ; et, enfin, un mot français, de l’ex-oligarchie colonisatrice de l’Algérie. Mais, au contraire, aucun mot du peuple. Absolument aucun.
De par le monde, a-t-on vu un peuple chanter une victoire sportive en employant d’autres mots que ceux qu’ils parlent dans leur vie courante ? Voir des Algériens chanter l’Algérie mais pas dans leur langue quotidienne, est-ce normal ?
N’est-ce pas là une défaite linguistique ? Mais pourquoi pas «wahed, zouj, tlata, tahya el-jazaïr !» ? Cette expression est-elle méprisable ? Que des ex-colonisateurs ou nouveaux néo-colonisateurs le pensent, c’est dans leur infâme nature. Mais le peuple algérien peut-il tomber dans une telle aliénation néocoloniale, d’autant plus qu’il est légitimement fière de son algérianité ?
Un peuple doit employer sa langue maternelle, sa langue de communication quotidienne, pour fêter une victoire.
A qui la faute ? D’abord, aux intellectuels et aux politiciens algériens, partisans du français comme «butin de guerre», ou de l’arabe classique moyen-oriental comme «retour aux sources». A ce sujet, un essai a été publié, sans avoir eu absolument aucun écho (1). Combien d’intellectuels algériens savent que les langues anglaise, française et espagnole ont été littéralement créées par un groupe restreint d’intellectuels ? Ils eurent la liberté d’esprit, l’intelligence et le courage de renoncer à la langue oligarchique dominante de l’époque, le latin, et, s’intéressant uniquement aux langues vernaculaires respectives, ils démontrèrent à la caste des pharisiens de l’époque que les langues populaires sont susceptibles de développement jusqu’à devenir des langues à part entière. Ce qui se réalisa.
Dans le passé, j’eus la grande surprise de lire un très intéressant article. Parlant de «tentative de meurtre contre la culture populaire», il commençait ainsi : «Qu’aurait été l’Algérie si on avait osé institutionnaliser le dialecte algérien au lendemain de l’indépendance ? Peut-être une grande nation.» (2)
En effet, c’est ainsi que devinrent grandes les nations qui osèrent institutionnaliser leur dialecte national comme langue à part entière. Ainsi, ils montrèrent leur légitime fierté nationale, autrement dit, leur indépendance linguistique et le redevable respect de leur peuple.
Est-il encore possible de rêver à une victoire linguistique du peuple algérien ? Où est l’équipe d’intellectuels algériens qui osera offrir au peuple algérien cette victoire linguistique, nettement plus positive qu’une victoire sportive ?
K. N.
(1) Défense des langues populaires : le cas algérien, librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html
(2) Que l’auteur m’excuse, je n’ai pas retrouvé la référence concernant la citation.
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