Le facteur humain
Par Mouanis Bekari – Edifiant récit que celui que Madame Yasmina Chioukh, juriste à la Sonatrach, a livré dans Le Soir d’Algérie du 15 juillet. La recension des méfaits qu’elle dénonce tout au long de son récit laisse pantois et inflige au lecteur un saisissement proche de l’accablement. Rien de ce que le citoyen soupçonnait des mœurs des dirigeants, de tous ordres, qui dominent l’Algérie depuis 20 ans, ne peut atténuer le sentiment de consternation, de désespoir parfois, qui s’impose à la lecture de ce témoignage. Car aucun des forfaits qu’inspire la mise à sac d’une entreprise ne manque à l’appel.
Orgueil de l’Algérie en devenir et principal instrument de l’indépendance économique théorisée à partir du début des années 1970, Sonatrach a été le fleuron de l’économie algérienne et une prestigieuse école de formation pour les compétences qui manquaient tant à l’Algérie indépendante. Par le contexte qui a présidé à sa création, les combats qui s’ensuivirent, la part qu’elle a prise dans les victoires inespérées qui les couronnèrent, Sonatrach, fait partie intégrante des emblèmes du récit national.
Dans l’Algérie des années 1970, résolument laborieuse et consciente de la criticité des enjeux économiques, le patriotisme économique attisait le rêve d’une société équitable, pourvue d’institutions stables et d’une dignité préservée. Cette utopie prodigue et sobre à la fois était arc-boutée à la conviction qu’en préservant l’ardeur généreuse qui avait libéré le pays, la nation renaissante se prémunirait irrévocablement contre les affres de la sujétion. Une telle croyance, naïve et altière, n’allait pas sans déconvenues, mais elle avait la vertu inestimable d’entretenir dans les esprits de ceux qui aspiraient à participer au Grand Œuvre de l’Algérie prospère, la foi qu’elle requérait. Le témoignage de Mme Chioukh révèle que les truands qui ont fomenté la souricière instituée pendant 20 ans n’ont pas oublié le facteur humain dans leur entreprise de vivisection de l’Algérie.
Le remarquable travail de Maître N. Azouaou, publié dans la presse nationale, a montré comment, par touches successives, faites de forfaitures, de mutilations de la loi, de prétextes malintentionnés et d’atermoiements constants, on a minutieusement organisé la neutralisation des moyens de contrôle et annihilé les dispositions légales qui protégeaient les richesses nationales. Mais cette entreprise dévastatrice n’aurait pas prospéré, au point de mettre en péril l’intégrité de l’Algérie, si elle n’avait trouvé les relais humains pour en assurer le succès. Les instigateurs des exactions ont bien anticipé que leurs manigances avaient besoin d’une domesticité dépourvue de scrupules, docile et incompétente. Car, pour être érigée en système de gouvernance, la déprédation exige qu’aucune vertu ne soit tolérée, qu’aucune bonne action ne demeure impunie. C’est ce que le témoignage de Mme Chioukh, animée du simple amour de son pays, nous redit.
Quant aux intimidations qu’elle subit de la part de ceux qu’elle dénonce, elles soulignent une vérité sinistre et redoutable : la violence est le dernier refuge des incompétents.
M. B.
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