Il faut libérer l’acte d’investir !
Par Mohamed Sayoud(*) – Le constat est indéniable et unanime : les investissements étrangers en Algérie (IDE) (hors secteur énergétique) sont insignifiants au regard des potentialités que recèle ce pays continent. La totale dépendance de l’économie nationale à l’égard des recettes issues des hydrocarbures interpelle tous les observateurs et analystes. La part des exportations hors hydrocarbures est dérisoire et l’apport des investissements étrangers à notre balance des paiements l’est tout autant. Au moment où nos réserves en devises s’amenuisent à un rythme accéléré, un diagnostic des causes qui ont conduit à cette impasse s’impose.
En tant qu’acteur et observateur de la scène économique nationale, notre verdict est implacable : l’investissement étranger en Algérie (IDE) ne décolle pas faute d’une volonté claire et manifeste des autorités algériennes. Pour notre part, notre implication dans la prise en charge et le suivi des dossiers des investisseurs étrangers nous conduit à désigner et identifier les origines du mal.
Au premier chef, figurent le manque de professionnalisme et les lenteurs bureaucratiques des administrations impliquées dans la prise en charge des dossiers. L’exemple le plus frappant, illustrant parfaitement l’incurie de l’administration algérienne, est l’échec du projet gigantesque de la société Allemande Desertec dans le domaine de l’énergie solaire.
Des blocages avérés
Confirmation de ces blocages avérés, l’actualité nationale est aujourd’hui secouée par la révélation des nombreuses malversations des responsables qui, officiellement, claironnaient les slogans de la diversification de l’économie nationale, de la promotion des exportations hors hydrocarbures et de l’amélioration du climat d’investissement. La réalité est malheureusement tout autre et, aujourd’hui, la diversification de l’économie nationale demeure à l’état de vœu pieux.
Pour illustrer ce triste état des lieux, un bref rappel. En 2018, le CNI (Conseil national d’investissement), présidé par Ouyahia, n’a donné aucun aval pour des investisseurs étrangers, sauf pour de gros investissements conclus dans des conditions douteuses (assemblage auto, téléphonie, etc.). Pour le reste, le bilan est accablant. Les investisseurs étrangers attendent pendant plusieurs mois l’aboutissement de leur dossier, d’abord pour sa formalisation auprès de l’Andi, puis pour décrocher l’accord du CNI qui, finalement, ne vient pas.
A la lumière d’expériences vécues, on peut ainsi affirmer que le CNI est un frein majeur. De notre point de vue, on ne devrait lui soumettre que les projets stratégiques pour le secteur énergétique et peut-être les projets qui dépassent un certain seuil (plus 20 millions d’USD). Autre exemple de blocage, l’accès au foncier industriel relève aussi de la mission impossible. Il y a environ 30 000 dossiers d’investissements en instance auprès de l’ex-Calpiref (Comité d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de régulation foncière) qui attendent depuis un à cinq ans l’attribution d’un terrain, en vain. Ceci est également intolérable !
Investir, un vrai parcours du combattant
Le lancement d’un projet est, à vrai dire, un vrai parcours du combattant. Les chanceux ou ceux qui, par le bais de connaissances, obtiennent un terrain souvent non viabilisé, doivent se lancer dans d’interminables démarches. Après avoir rassemblé tous les documents exigés par les domaines et autres administrations, l’investisseur doit effectuer une étude pour le ministère de l’Environnement qui peut durer jusqu’à six mois, puis réaliser une autre étude pour avoir le permis de construire qui peut également durer six mois. Le porteur de projet doit également présenter une étude économique et financière pour l’obtention d’un crédit. Le délai pour la décision du crédit peut aller jusqu’à deux ans, sans aucune garantie d’accord, même si le demandeur fournit un apport personnel de 30% du montant total du projet.
A l’issue de toutes ces étapes, l’investisseur peut commencer à produire après un délai de près de cinq ans. A l’issue de cette longue période, beaucoup d’éléments de l’étude technico-économique deviennent obsolètes, notamment par rapport au coût des équipements importés et à la dévaluation du dinar.
Créer des zones industrielles clés en main
De notre point de vue, pour passer à une vitesse supérieure, on doit créer des zones industrielles clés en main, comme l’ont fait tous les pays développés et les nouveaux pays émergents comme la Somalie, l’Ethiopie, le Vietnam, le Rwanda (un pays qui a connu une guerre civile).
Le plan Marshall pour l’Algérie, c’est de créer des zones industrielles clés en main, c’est-à-dire construire des hangars de production de différentes dimensions et les louer à des prix raisonnables pour les investisseurs. L’investisseur choisit la surface du hangar en fonction de l’ampleur de son projet et n’a qu’à placer ses machines ou lignes de production pour commencer de suite à produire.
L’investisseur ne mendie pas
Désabusés et désorientés, les investisseurs, mus par les meilleures intentions, se découragent.
Une parenthèse ici pour dire que l’attente s’est imposée comme un mode de vie en Algérie : on attend pour investir, on attend pour avoir un logement… Cette politique de l’attente doit être bannie si l’on veut avoir une économie forte et un dinar fort et, pourquoi pas, aller vers la convertibilité de notre monnaie. Il faut bien comprendre que l’investisseur étranger n’est pas un mendiant qui demande de la charité mais, bien au contraire, un bienfaiteur pour l’économie nationale car il va créer des emplois, de la richesse et transférer une technologie.
Au surplus, l’homme d’affaires étranger n’a pas la culture d’attendre et de patienter. La règle dans le milieu du business est que «time is money (le temps c’est de l’argent)».
Dès à présent, il convient de supprimer toutes ces entraves. Pour cela, on doit commencer à travailler sérieusement à œuvrer pour le bien de notre pays et de notre peuple qui a souffert, et qui souffre encore. C’est la seule voie afin de créer les millions d’emplois qui nous manquent et de la richesse pour l’essor de notre économie.
Un mal nommé marché parallèle de la devise
Au titre des autres freins à la promotion de l’investissement productif, on peut également évoquer l’agrément accordé à des activités spéculatives sans valeur ajoutée pour l’économie nationale. On peut citer, ainsi, les activités exercées dans le cadre du système CKD/SKD (électronique, électroménager, montage automobile). Mises en place sans stratégie en amont, ces industries sont un grand fiasco économique pour l’Algérie qui ont fait perdre des milliards en devises pour l’acquisition des intrants et qui ont gonflé les prix au détriment du consommateur algérien.
Le marché parallèle de la devise est l’autre mal qui bloque l’investissement productif, vu que ce marché est alimenté par les barons de l’import qui surfacturent, font des transferts illicites et génèrent des profits astronomiques sans aucun investissement, ni contribution pour les impôts et le Trésor public.
On doit mettre fin à la vente illicite des devises au marché noir afin de pouvoir encourager et inciter les investisseurs algériens, les firmes étrangères et la diaspora algérienne établie à l’étranger à investir dans le domaine productif pour créer des emplois et participer à l’essor économique du pays.
Le modèle allemand : une référence pour la formation
L’autre handicap à signaler, pour l’attrait des investissements étrangers, concerne la qualification des ressources humaines, notamment l’encadrement et les managers d’entreprise. Il est évident que l’émergence d’une économie nationale compétitive et le développement des exportations hors hydrocarbures passent par la formation de cadres compétents maîtrisant la langue des affaires (anglais), les règles de fonctionnement des marchés extérieurs et les rouages et mode de fonctionnement d’une économie mondiale en constante mutation. Dans le même sens, la formation du personnel de maîtrise et des ouvriers doit être reconsidérée.
De mon point de vue, il faut créer des écoles de formation professionnelle en se référant au modèle allemand et ce afin d’inculquer aux jeunes l’amour du travail. Un travailleur qui aime son job déploie plus d’efforts pour son entreprise et apporte sa contribution au succès de son entreprise pour pouvoir gagner un salaire conséquent et vivre dignement.
Pour avoir des écoles de formation de haut niveau comme en Allemagne, l’Algérie ne doit pas hésiter à faire appel aux experts allemands pour former les formateurs algériens. Il est évident que si le produit allemand est sollicité mondialement, c’est pour une large part grâce à des ouvriers, techniciens et ingénieurs très performants.
Les pays qui ont suivi le modèle économique allemand ont réussi leur transition. On peut citer l’exemple de pays comme la Turquie et la Pologne qui ont réussi grâce à l’adoption du modèle économique allemand. En 1990, ces deux pays qui étaient très vulnérables économiquement sont devenus des puissances économiques.
La Turquie exporte pour 168 milliards d’euros par an avec un PIB de 905 milliards par an et affiche une croissance de 6,7%. La Pologne exporte pour 230 milliards d’euros par an avec un PIB de 600 milliards d’euros par an.
L’Algérie peut devenir un pays émergent
Toutes ces insuffisances passées en revue ne doivent pas nous inciter à l’inaction ou au pessimisme stérile ; l’Algérie est un pays continent qui dispose d’indéniables atouts pour s’ériger rapidement en tant que destination préférée des investissements étrangers. On peut citer ainsi sa proximité, à cheval entre l’Europe et l’Afrique, de deux grands marchés avec d’immenses opportunités, la disponibilité de ressources minières et énergétiques, un réseau d’infrastructures de base relativement important…
C’est dire que si on change de stratégie dans le domaine de la facilitation de l’investissement, l’Algérie peut devenir rapidement un pays émergent.
Tous les créneaux sont porteurs. L’industrie mécanique, le tourisme, les énergies renouvelables… Pour l’agroalimentaire avec le label halal, l’Algérie peut générer pas moins de 5 milliards d’euros par an pour l’export car la communauté musulmane en Europe consomme pour 30 milliards d’euros par an en produits hallal.
Le domaine de la métallurgie est également très intéressant. Le démarrage prochain de l’usine de Bellara, avec la production de la tôle LAF et LAC, ouvrira de grandes opportunités pour le développement de multiples activités en amont pour les besoins de l’industrie mécanique telles que la fabrication de diverses pièces mécaniques, les châssis pour les voitures, camions, tracteurs et ce avec une stratégie pour les exporter vers le monde entier.
A partir du pétrole, on peut produire également tout ce qui est polymères pour le domaine de la fabrication du plastique, que ce soit par injection, extrusion ou par soufflage.
M. S.
(*) Algéro-Allemand, fondateur du cabinet de conseils et d’études en investissement industriel, Invest Design Consulting.
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