Que vive la démocratie directe ! (2)
Par Kaddour Naïmi − Tous les tartufes du monde – intéressés mais hypocrites – proclament que les peuples ne sont jamais préparés à la démocratie ! Pourtant, sur cette place centrale d’une ville algérienne, à Oran, des citoyens et citoyennes parlent librement, en un langage convivial, généralement dans leur langue maternelle, à propos des maux dont sont victimes le peuple et l’Algérie, et des moyens de s’en affranchir pour établir une société libre, égalitaire et solidaire. On objecterait que si la liberté (houriya) était toujours évoquée, par contre les deux autres termes ne l’étaient pas. Eh bien, non, ils l’étaient à la manière populaire : «Khawa, khawa», n’est-ce pas l’égalité ? Et ittihâd, tadhâmoun, n’est-ce pas «solidarité» ?
Je suis curieux de savoir comment ce genre de Forum se déroule dans la partie amazighophone du pays et avec l’emploi de quel langage.
Avant le 22 février 2019, avant les manifestations du vendredi et ce Forum d’Oran, des soi-disant intellectuels se permettaient d’insulter le peuple algérien comme un ramassis de «tubes digestifs», de «populace», d’«obsédés sexuels», d’«aliénés obscurantistes religieux», etc. Déjà, alors, je démontrais l’ineptie arrogante et «élitiste» de telles allégations(1).
L’intifadha populaire dans tout le pays et le Forum public de discussion d’Oran montrent à quel point le peuple était simplement soumis à la peur et à la terreur de l’oligarchie dominatrice. Et qu’il a fallu à ce peuple endurcir au point de ne plus supporter, et donc d’occuper la rue en masse, dans toutes les villes du pays, à la surprise de tous les «bien-pensants», «théoriciens» et «analystes». Ce phénomène populaire est le plus évident quand le processus socio-historique parvient à sa phase la plus intéressante : celle où les opprimés ne supportent plus leur asservissement, tandis que les oppresseurs ne sont plus capables de les dominer. On y est finalement en Algérie, en 2019, après quasi une soixantaine d’années de domination oligarchique autochtone, avatar de la précédente domination coloniale, ce que Rabah Lounici démontra clairement.
Organisateurs
Ce Forum a été lancé par un groupe de citoyens. Parmi eux un enseignant de langue arabe, une avocate et un avocat ancien-juge. Pour lancer la discussion, ce dernier fait un bref exposé sur le thème crucial du moment de l’intifadha populaire : problèmes et perspectives.
L’organisation des rencontres est excellente. L’intervention des présents est encouragée, convenablement conçue. Les candidats à intervenir demandent un billet que le modérateur leur délivre. Si un intervenant prolonge au-delà des minutes accordées de manière égale à tous, le modérateur le rappelle courtoisement à conclure, ce qui se fait convenablement.
L’interview de membres du groupe organisateur(2) fournit davantage d’éclaircissements sur ce Forum. Ils m’ont déclaré que l’exemple du Forum d’Oran est imité dans d’autres villes du pays. L’espoir est que le Forum du centre-ville soit suivi par le même genre de rassemblement dans tous les quartiers de la ville, notamment les plus défavorisés, plus exactement les plus exploités-opprimés. Certes, comme l’affirme l’un des organisateurs du Forum de la place du 1er Novembre, il ne sera pas aisé d’organiser ce genre de réunions dans les quartiers populaires, pour de multiples motifs, le principal étant le conditionnement idéologique obscurantiste systématique des habitants. Mais il faut tenter, car l’intifadha populaire actuelle stimule tous les espoirs, y compris les «miracles». Cette multiplication de forums de discussion citoyenne, bien entendu, renforcerait celui du centre-ville.
L’autre espoir est que ce type de rencontre se généralise au pays tout entier, jusqu’au plus reculé village et douar, et même devienne une tradition ininterrompue. Notons en passant que ce genre de forum est infiniment plus démocratique que la traditionnelle réunion des arches en Kabylie, car, alors, la parole n’est pas aux notables et aux hommes uniquement, mais aux citoyennes et citoyens sans distinction.
Même dans un pays authentiquement démocratique (où existerait-il actuellement ?), il est sain et utile pour la société toute entière que des citoyens puissent s’assembler librement sur un lieu public pour échanger pacifiquement leurs opinions sur la communauté nationale dont ils sont membres. L’interdire, c’est craindre le peuple, et la crainte du peuple provient de la conscience de l’opprimer pour l’exploiter. En effet, les assemblées démocratiques de base, autogérées, quels que soient le domaine d’activité et le lieu de réunion, sont la graine unique − je dis bien unique − d’où germe le plus beau des fruits sociaux : l’authentique démocratie. Elle consiste, ne cessons jamais de le préciser, dans la pratique collective de la trinité : liberté, égalité, solidarité au sein et entre les peuples de la planète. Existe-t-il meilleure voie pour le progrès civilisationnel de l’humanité ?
K. N. ([email protected])
1) Voir « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici: https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html
(2) Voir le documentaire vidéo dont ce texte est une présentation, in https://youtu.be/CZgiMergUX0
NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
Comment (8)