Fermeture de SLC, sabotage du secteur des télécoms : Lotfi Nezzar s’exprime
Nous reproduisons le texte intégral de l’entretien que le directeur général de SLC a accordé au journaliste Alsaid Bensedira.
Un média a affirmé que vous faisiez l’objet d’une ISTN. Qu’en est-il ?
En effet, j’ai appris incidemment que je fais l’objet d’une ISTN sans motif à mon encontre. D’ailleurs, au moment où je vous parle, je n’ai reçu ni notification officielle ni convocation d’une quelconque institution habilitée. Dans la situation actuelle que vit le pays, et surtout par rapport aux calomnies qui ont été colportées à mon encontre, j’ai pensé que c’était une mesure préventive que je pourrais comprendre, bien que je déplore le procédé.
Je tiens à préciser que les sociétés que je dirige, SLC et Divona, n’ont bénéficié d’aucun crédit bancaire de complaisance, d’aucune subvention, d’aucun terrain gratuit et d’aucun avantage particulier, ni de marchés publics. Bien au contraire, SLC et Divona ont participé à l’effort de développement du secteur à travers plusieurs initiatives sur lesquelles je reviendrai. De même que les revenus de ces sociétés réalisés en Algérie ou à l’export, en dinars ou en devises, sont intégralement déclarés, comptabilisés et rapatriés.
Je refuse que mon nom soit mêlé à cette opération «mains propres» car depuis la création de l’entreprise en 2000, je n’ai fait que subir des entraves et des blocages en tous genres qui n’ont jamais cessé à ce jour. Je ne peux, en effet, être assimilé d’une quelconque manière que ce soit à des pratiques illégales ou à un groupe d’individus que nous avons toujours combattus.
Il a aussi été question selon des médias de perquisitions qui auraient été menées au sein de vos entreprises…
En tout cas, au moment où je vous parle, ces perquisitions n’existent que dans l’imagination de ceux qui les ont inventées. Cela dit, au rythme où vont les choses, rien n’exclut une telle éventualité, l’arbitraire n’ayant pas de limites. Même de simples employés de SLC ont été intimidés. C’est vous dire…
Et qu’en est-il de la récupération de vos clients par Icosnet ?
Cette information n’est pas plausible de par la taille du réseau SLC qui est le plus grand réseau large bande sans fil du pays. Il faut savoir, en effet, qu’Icosnet et SLC ont toujours collaborés à l’effet de satisfaire les demandes des clients et que, par conséquent, un grand nombre de clients d’Icosnet sont connectés à la plateforme de ce dernier à travers le réseau de transmission SLC. Cela dit, je présente mes chaleureuses salutations à l’équipe d’Icosnet que j’ai eu le plaisir de côtoyer, tout en lui souhaitant une excellente réussite.
Que pourrait-on vous reprocher, selon vous ?
Je suis la cible d’une campagne de dénigrement orchestrée par l’ancien clan présidentiel qui répand des informations fallacieuses sur de prétendus indus avantages dont nous aurions bénéficié et de détournements de revenus émanant de notre activité de transfert de voix sur internet. Le but étant de nous assimiler à ce clan dont nous sommes, comme je vous l’ai dit, la première victime et contre lequel nous n’avons jamais cessé, et nous ne cesserons jamais, de résister.
Une simple analyse des trafics échangés entre la société que je dirige et les quatre opérateurs confirme que la totalité des revenus générés à l’international est entièrement rapatriée. Nous avons, à ce propos, attiré à maintes reprises l’attention du président de la République, du Premier ministre, du ministère de tutelle, de l’Autorité de régulation ainsi que d’autres institutions, sur le dysfonctionnement régulatoire lié à cette activité et ses conséquences sur l’économie et la sécurité nationales, si bien que nous avons même demandé l’ouverture d’enquêtes en mettant à disposition notre propre réseau pour détecter et estimer le trafic détourné.
Si c’est cela qu’on me reproche, alors je m’en réjouis.
Mais votre ISTN est postérieure à la chute de Bouteflika…
Détrompez-vous ! Le clan présidentiel est toujours actif ; il tire les ficelles derrière le rideau et continue de recevoir des ordres d’un de ses parrains, en l’occurrence Saïd Bouteflika. J’en veux pour preuve des menaces claires proférées par le frère du président déchu au téléphone suite à la déclaration de mon père sur son plan visant à attenter à la cohésion de notre armée. Ces menaces qu’il a proférées à mon encontre et à l’encontre de ma famille ont été mises à exécution par la ministre Houda-Imane Feraoun, son proche entourage ainsi que l’Autorité de régulation dont la majorité des dirigeants, faut-il le rappeler, a été désignée par Saïd Bouteflika, à ma connaissance, depuis 2008.
Quelles sont ces menaces ?
Saïd Bouteflika a dit clairement qu’il réagirait contre mon père en ouvrant le dossier des années 90 et en s’en prenant à son fils, c’est-à-dire à moi. Il a ajouté qu’il avait une stratégie pour ce faire.
Les a-t-il mises à exécution ?
Il est clair qu’une action de mise à mort des entreprises que je dirige est en cours d’exécution avec pour objectif de liquider SLC et Divona le plus vite possible, c’est-à-dire avant que ce gouvernement change.
D’ailleurs dans la précipitation, plusieurs institutions ont été instruites en vue de participer à la réalisation de cet objectif.
Même le Centre national du registre de commerce, pour la première fois dans l’histoire, nous a mis en demeure de procéder à la radiation de l’entreprise.
Qu’entendez-vous par «mise à mort» de vos entreprises ?
A vrai dire, ce plan a été savamment ourdi par les différentes personnes qui se sont succédé à la tête du ministère et de l’Autorité de régulation, par la mise en place d’une batterie de mesures administratives visant à restreindre leur champ économique. Ainsi, après avoir entrepris d’asphyxier financièrement les entreprises que je dirige, depuis 2008 et plus intensément ces quatre dernières années, en instrumentant l’administration et après avoir bloqué tous les projets que nous avons entrepris, l’Autorité de régulation et le ministère persistent dans leur action de musellement et ordonnent l’arrêt immédiat de toutes nos activités.
C’est, en effet, aussi en représailles à nos diverses tentatives, courriers et mémorandums pour alerter les pouvoir publics des décisions et pratiques illégales contraires à l’intérêt et à l’économie du pays et ayant conduit à la disparition des acteurs de télécommunications à capitaux nationaux que l’Autorité de régulation, désormais sous la coupe du ministère, a entrepris de fermer nos sociétés en s’appuyant sur des motifs fallacieux.
Pourquoi fallacieux ?
D’abord, parce que tous les arguments invoqués font l’objet de plaintes déposées antérieurement à cette décision auprès du Conseil d’Etat, du Tribunal administratif, parfois les deux en même temps, suite à l’absence de réponses de la part du ministère et de l’Autorité de régulation. D’ailleurs, il nous a même été donné de découvrir en lisant la presse que l’Autorité de régulation a manifestement trompé le gouvernement en lui présentant de fausses informations concernant l’entreprise que je dirige. A ce propos, nous avons déposé une plainte contre X à l’effet de découvrir qui a rendu public ledit document, tronqué et sorti de son contexte, et à quelle fin le Premier ministre a été induit en erreur.
Ce cas est loin d’être isolé. Plusieurs autres ont été découverts ces dernières années et portés à la connaissance de la justice, en vain.
Comment comptez-vous réagir et que va-t-il advenir de vos entreprises ?
Même si les entreprises que je dirige vont probablement cesser de fonctionner dans les jours qui suivent, nous allons poursuivre les actions judiciaires déjà entamées et nous en engagerons d’autres pour préserver l’outil qui a été créé depuis près de vingt ans, avec l’ensemble des sacrifices consentis par nos collaboratrices et collaborateurs auxquels je rends un vibrant hommage pour leur dévouement et leurs grandes qualités professionnelles qui honorent l’université et l’entreprise algériennes.
Outre ces actions prévues, je mettrai à la disposition de l’opinion publique, des experts et des médias l’ensemble des correspondances et documents qui attestent du bien-fondé de la cause que nous avons toujours défendue et de l’existence d’une véritable action de sabotage qui cible le secteur des télécommunications dans notre pays.
Quant au devenir des entreprises que je dirige, leur sort n’est plus entre mes mains mais entre celles de la justice en laquelle je demeure confiant. Je suis, par ailleurs, outré par la facilité avec laquelle nos administrations mettent fin à plusieurs centaines d’emplois sans tenir compte de l’expérience perdue, du devenir des familles ainsi que du préjudice à l’économie et à la souveraineté nationales.
Qu’entendez-vous par préjudice à la souveraineté nationale ?
La souveraineté d’un Etat s’évalue à l’aune de sa capacité de concevoir, de déployer ou de maintenir par ses propres moyens et en toute autonomie les systèmes permettant les fonctions minimum essentielles pendant une période de crise économique, sociale ou politique.
Je peux citer parmi ces fonctions sa sécurité alimentaire, sa défense, son énergie, ses transports et, bien entendu, ses télécommunications. Ces projets sont, par exemple, la fabrication d’armes, la gestion des oléoducs d’hydrocarbures, la distribution d’eau, le contrôle de l’espace aérien, les réseaux de télécommunications ainsi que les systèmes d’information.
Dans ce segment, l’industrie algérienne n’est pas riche en propositions nationales. De plus, nous assistons depuis quelques années à une exécution programmée par le ministère dirigé par Feraoun et l’ARPCE, ex-ARPT, de toutes les entreprises de droit et à capitaux algériens ayant des potentialités techniques avérées à concevoir et à opérer des réseaux de télécommunications complexes et surtout hydrides – c’est-à-dire utilisant plusieurs technologies et plusieurs fabricants à l’effet de minimiser la dépendance.
Nous constatons aussi que la majorité des services d’accès à internet du pays sont offerts par les opérateurs mobiles au détriment des opérateurs fixes nationaux qui peuvent offrir un internet utile. En outre, stratégiquement, bien que les opérateurs mobiles soient des opérateurs de droit algérien, nous estimons que plus de 83% de l’usage en matière de télécommunications reviennent aux opérateurs mobiles détenus majoritairement ou totalement par des capitaux internationaux appartenant à des pays controversés qui se positionnent contre la politique algérienne nationale et/ou internationale. De ce fait, et compte tenu des contextes national et international, il m’a toujours semblé important et utile d’alerter les pouvoirs publics sur les risques encourus par la politique gouvernementale en la matière qui m’a toujours semblé suspecte, voire orientée à l’effet de maintenir le pays en état de dépendance envers certaines puissances.
Pourriez-vous être plus clair ?
L’exemple de la construction et de l’opération des réseaux publics de télécommunications est un cas édifiant.
En matière d’opération de réseaux mobiles de télécommunications par des entreprises étrangères, nous assistons à des risques beaucoup plus importants, et notamment en matière de mapping et de positionnement des personnes ainsi que des liens entretenus entre personnes.
Plusieurs alertes et documents à l’appui faisant état de transferts massifs vers les maisons mères de certains opérateurs mobiles de CDR (Call Detail Record) comprenant les inputs suivants que les experts comprendront :
- Date and time (hourly or daily buckets assumed depending on BI requirements)
- Number of calls in bucket
- Duration (sum of all duration in bucket)
- A-number, in international format, truncated down to adequate number of digits (minimum digits = 7-8 or based on OGS NP as attached and should be regularly synchronized)
- B-number, in international format, truncated down to adequate number of digits (minimum digits = 7-8 or based on OGS NP as attached and should be regularly synchronized)
- Incoming Route
- Outgoing Route
- Incoming Switch Name
- Outgoing Switch Name (if the call only passed through one switch then this field will be the same as Incoming Switch Name)
- Product identification
- Destination name
- Time premium (time type, for time of day rating)
- Cost amount
- Cost currency
- Revenue amount
- Revenue currency
Compte tenu des détails recherchés, il est alors loisible de comprendre que les données transférées l’ont été à des fins d’analyses se rapprochant plus de l’espionnage que du marketing.
L’autre exemple concerne l’intégration des systèmes et réseaux (SI&NI ou System Integration & Network Integration).
Les systèmes de traitement des données (systèmes d’analyses de données, ERP, systèmes de facturation, systèmes de télécommunications à base de logiciels, etc.) ne peuvent être conçus que par une société de droit et à capitaux majoritairement nationaux. Il est pratiquement impossible de détecter l’insertion d’applications dormantes pouvant être déclenchées automatiquement ou sur commande. Ces applications peuvent envoyer, annihiler, maquiller ou modifier les signatures de façon temporaire ou permanente.
Or, nous assistons ces dernières années à une multiplication des atteintes aux entreprises de droit et capitaux algériens ayant des capacités dans ce type de travaux. Nous assistons aussi à de lourdes dépenses ainsi qu’à une homogénéisation (un seul fabriquant) de ces systèmes, alors que plusieurs autres pays se dirigent vers leur interdiction pure et simple ainsi que les fabricants.
Sur ce dossier aussi, je n’ai pas cessé d’alerter les pouvoirs publics sur les risques encourus sur notre souveraineté et notre sécurité.
Avez-vous les documents qui appuient vos affirmations ?
Certainement ! Outre le livre qui retrace le sabotage de l’économie numérique qui est en cours de finalisation, je mettrai l’ensemble de ces documents à disposition de l’opinion publique, des experts et des médias.
Si vous deviez vous adresser à la ministre et aux responsables de l’ARPCE, que leur diriez-vous ?
Je leur poserai juste quelques questions : combien d’opérateurs détenus par des capitaux algériens ont disparu à cause des décisions que votre conseil a confectionnées au profit de l’opérateur historique et des opérateurs de téléphonie mobile ? Combien d’opérateurs, et plus généralement d’acteurs du numérique avez-vous contribué à créer ? Combien d’emplois avez-vous créés ? Quelles sont les innovations que vous avez permises ? Quelle a été votre contribution pour alléger le budget de l’Etat ou celui des citoyens algériens en matière de communications électroniques ou de services liés ? Quels investissements nouveaux avez-vous pu attirer pour réduire la dépendance de notre économie et de nos industries stratégiques de l’étranger, ne serait-ce qu’en matière de service ?
L’histoire vous jugera.
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