Pour un départ intelligent des décideurs
Par Dr Arab Kennouche – Depuis l’intronisation d’Abdelkader Bensalah en tant que Président intérimaire, force est de constater que la crise politique ne connaît pas cette dynamique de renversement qui aurait pu remettre l’Algérie sur les rails. Encore cette semaine, le panel de négociateurs que le Président par intérim avait mis en place sous la houlette de Karim Younès s’est finalement disloqué en mille morceaux. Mais il ne fallait pas s’attendre à mieux du sérail politique car les différents protagonistes, tant au pouvoir que dans le hirak, n’ont pas su véritablement cerner la nature de la crise de régime actuel.
Quoi qu’en disent les acteurs du pouvoir, dont le chef d’état-major de l’armée, nous sommes déjà entrés dans une période de transition en Algérie, que celle-ci soit adoubée d’une présidentielle supplémentaire ou non. Et pour cause, la rupture du 22 février ne représente pas un mouvement symbolique qui émanerait d’une faction politique plus inspirée qu’une autre mais témoigne, au contraire, de profonds bouleversements de la société algérienne dont les spasmes remonteraient à longtemps dans l’histoire de l’Algérie contemporaine. Or, le pouvoir politique en place commet une erreur fondamentale en omettant de voir dans ce soulèvement pacifique l’expression d’une profonde mutation sociale qui dépasse largement tout clivage politique. Même si les manifestants interpellent nommément les symboles du bouteflikisme, il reste que c’est le système tout entier qu’il faudra réadapter à cette profonde transformation dans la société algérienne. Ne pas voir cette mutation et vouloir à tout prix ne traiter qu’une infime partie du problème par des présidentielles anticipées reviendrait à cautériser sur une jambe de bois. L’Algérie est en profonde mutation et exige au fond d’elle une société plus démocratique, plus juste et la fin des vieux réflexes.
En second lieu, il est patent que des négociations infinies sont le signe d’une mauvaise définition des points de convergence et de divergence susceptibles de révision entre les protagonistes de la crise. Depuis le début, on s’est évertué à ramener toute la question du pouvoir politique sur «qui» serait légitime pour négocier, sans avoir su déterminer au plus près l’objet réel des négociations : on a dévié le problème sur l’identité des négociateurs, ce qui, forcément, devait déboucher sur un échec entre symboles du pouvoir et révolutionnaires. Il est évident que les faits accumulés depuis le 22 février, depuis que les figures de proue du régime Bouteflika sont l’objet de féroces représailles, tout comme le maintien d’une partie de celles-ci, même de façon résiduelle dans le pouvoir actuel, empêche toute forme d’accord avec une opposition très remontée et à laquelle on a déjà répondu favorablement par ces procès en cascade.
Réaction intempestive de la part du pouvoir, manœuvre politicienne pour sauver une partie des meubles, victoire de la rue récupérée par le pouvoir, toutes ces interprétations possibles circulent dans les esprits de l’opposition et empêchent un climat serein de négociation. Plus royaliste que le roi, le pouvoir politique aurait voulu se refaire une virginité en tentant une ultime manœuvre pour se maintenir et gagner en légitimité devant le hirak. Mais est-ce là vraiment le problème algérien ? Se maintenir alors que la question véritable tourne autour de la capacité du pouvoir à trouver une sortie de route qui ne soit pas une fuite en catimini, encore moins une fuite en avant, mais un accompagnement de la transition sociale inévitable ?
Les dernières déclarations du chef d’état-major de l’ANP suite à l’échec des négociations conduites par Younès semblent indiquer que le pouvoir ne prend toujours pas la mesure du problème : la société mue, se transforme, et ses demandes ne sont par nature l’objet d’aucune transaction possible et peuvent se résumer dans l’établissement d’un Etat de droit et d’une démocratie participative qui détruisent les derniers reliquats de l’Etat despote encore en vigueur. La question de la présidentielle est donc, certes, nécessaire mais ne serait pas suffisante à résoudre toutes ces attentes. Mais c’est le risque que prend le pouvoir politique d’un pansement qui ne serait que provisoire, d’une cautérisation superficielle aux conséquences encore plus fâcheuses à moyen terme, d’un président «mal élu». Dans ces conditions, le pouvoir commet l’erreur de ne pas prendre le temps d’une définition du problème de la crise en cours.
Il faut négocier le départ des dirigeants actuels pour le salut de l’Algérie. Et il incombe au pouvoir de lancer l’initiative.
Ainsi donc, si le pouvoir actuel se sent capable d’accompagner l’Algérie dans sa mutation politique, économique et sociale, alors il lui est loisible de le démontrer par des actes tangibles et irréversibles. Si, au contraire, le pouvoir n’en est pas capable, il doit négocier au plus vite son départ et non plus une transition ou encore des présidentielles. Savoir quitter un espace de pouvoir relève autant de l’art de la politique que celui de l’occuper indéfiniment. Savoir partir, une fois de plus, est un art difficile qui ne produit ses meilleurs effets que par les esprits les plus féconds.
L’optique d’un départ intelligent des grands décideurs de la période Bouteflika semble aujourd’hui l’unique solution du problème. L’Algérie de Bouteflika doit se retirer complètement et sans état d’âme, de sorte que de nouvelles forces politiques émergent dans la vie institutionnelle en phase directe avec le hirak.
A. K.
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