Un coup d’Etat civil parfait en Algérie
Par Dr Arab Kennouche – Finalement, par un regard rétrospectif sur les multiples mandats de l’ex-président de la République, on aura compris que l’ancien locataire d’El-Mouradia aura réussi un coup d’Etat parfait sur la souveraineté du peuple algérien qui, depuis son avènement en 1999, filait tout droit vers une présidence à vie qui ne disait pas son nom. Abdelaziz Bouteflika, en faisant dire à son secrétaire général du FLN qu’il briguerait un cinquième mandat, ne laissait plus aucun doute sur la nature de son pouvoir qu’il avait pourtant savamment maquillé d’artifices démocratiques comme pour réaliser un hold-up parfait sur le devenir de la nation algérienne, plus précisément sur ses droits à l’exercice du pouvoir politique par le biais d’élections libres et démocratiques.
Jouissant d’un contexte économique international favorable au début de ses mandats, l’ancien président de la République s’est octroyé le titre exclusif et suprême de sauveur de la nation, après des années de crise économique et de terrorisme politique. Coup d’Etat parfait, en suivant une trajectoire constitutionnelle faite de réformes démocratiques, mais dont l’esprit était largement bafoué par un homme d’Etat qui se parait de la démocratie pour mieux s’enraciner dans l’autoritarisme et la confiscation du pouvoir à tous les échelons. L’intéressé et tout l’aréopage du FLN-Bouteflika pouvait toujours rétorquer qu’il avait bien été élu et qu’il bénéficiait d’un bilan largement positif, arguments qui pourtant méritent un examen attentif au vu de ses intentions réelles, se nourrissant plus de «démocrature» que de véritable démocratie.
Retour sur une présidence de velours
Bouteflika a été le principal artisan de ce hold-up parfait sur l’histoire politique de l’Algérie. Mais il faut avouer que sans l’aval des principaux décideurs militaires, l’ancien Président n’aurait pu se conforter au pouvoir avec autant d’aisance depuis vingt ans. En d’autres termes, il avait réussi à utiliser tous les ressorts constitutionnels à bon escient, légalisme de circonstance qui lui permit d’écarter ses principaux opposants idéologiques dans l’armée et ailleurs, afin de contrôler l’état-major de l’ANP. Ceci devait être la première pierre de touche d’un coup d’Etat fardé en «retour des civils» qui s’avèrera fatal dans la marche de l’Algérie vers la démocratie. En bon tacticien, l’ex-président de la République accapara ce fameux quart-de-président qu’il jugea indispensable pour mieux maîtriser tout l’édifice institutionnel, c’est-à-dire celui d’un contrôle politique de l’ANP qui signifiait par la force des choses une mise en coupe réglée du DRS, dont les appareils puissants dans la gestion sociale, économique et politique lui assureraient un contrôle définitif sur le pays. C’est par cette deuxième étape que Bouteflika réussit à réduire les effets d’une puissance politique et militaire largement décentrée dans l’Etat, si par centre politique on entend la présidence de la République.
En jouant l’armée contre le DRS, notamment lors des fameux procès du général Hassan en 2015, Bouteflika se para habilement de l’habit démocratique reprochant aux organes de sécurité leurs fréquentes ingérences dans le jeu du pouvoir civil, contre les lois constitutionnelles du pays d’essence démocratique. Il manquait encore à Bouteflika une troisième pierre de touche pour rendre à l’édifice de la présidence de la République toute la solidité nécessaire d’un coup d’Etat parfait, toujours en arguant du déficit démocratique des institutions encore trop militarisées. Ce fut fait par l’accaparement de l’appareil du FLN en y désignant des personnages sans grande envergure politique mais dont la cuirasse se révélait assez épaisse pour aller détruire le mythe du DRS démiurge : Amar Saïdani campa l’individu parfait des sales besognes, celui de salir le rôle des services grâce à une campagne médiatique visant à ériger l’Etat civil de Bouteflika comme le rempart démocratique et nécessaire à l’Algérie de demain.
L’utilisation de la «démocratie» comme gant de velours atteignit son apogée en 2016, quand l’ex-président de la République nomma une commission pour la réforme de la Constitution en vigueur, en vue de limiter à deux les futurs mandats présidentiels. Deuxième objectif qui tenait à cœur au président déchu, la création d’une commission de contrôle des scrutins afin de garantir la transparence des élections. Deux arguments imparables contre ses principaux détracteurs de l’opposition. Dans le même temps, on orchestra une campagne doucereuse sur la possibilité d’un cinquième mandat, en semant la confusion dans l’esprit des Algériens entre les véritables sens des mots «mandat» et «élection» : un mandat était déjà un choix établi, il ne pouvait être que nominatif et concerner Bouteflika lui-même. L’élection elle, supposait encore l’existence de l’opposant qui avait ses chances de gagner. L’Etat civil et démocratique de Bouteflika qui s’était élevé contre la toute-puissance du DRS allait être désormais capable de prévoir qui serait le prochain président, en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika.
Une ANP responsable devant l’histoire
Mais ceci mérite que l’on s’attarde sur les véritables entorses à la démocratie opérées par un état-major qui a laissé faire autant qu’il s’est targué de ne respecter que l’ordre constitutionnel, quand des personnes influentes avaient appelé à une intervention. Ce qui semblait marcher dans un sens, la démocratie civile de l’ancien président de la République contre le DRS, ne sembla plus fonctionner dans un autre quand, au nom de ce même Etat civil, on désigna par avance les futurs présidents de l’Algérie, subrepticement en laissant croire au peuple algérien que les jeux n’étaient pas faits. Si le chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd-Salah, crut bon de rappeler que les missions de l’armée sont limitées par la loi fondamentale à la défense du territoire et qu’il ne saurait être question d’intervenir dans le champ politique, il semble évident qu’il est autant du devoir de l’armée de protéger l’ensemble de l’édifice constitutionnel dans ses principes démocratiques et de séparation des pouvoirs.
Aussi, il ne s’agit pas simplement de respecter la lettre de la loi fondamentale, mais plus crucialement son esprit. Et, même si le clan Bouteflika s’était évertué à user plus que jamais de son gant de velours démocratique, il est évident que l’esprit de l’alternance démocratique a été violé maintes fois par le pouvoir en place, sans que le chef d’état-major de l’ANP n’ait trouvé quelque chose à y redire. Pour une fois, et de façon assez cocasse, l’ANP était ainsi mêlée de près à un coup d’Etat civil, sans qu’elle ait eu à porter le fardeau d’une responsabilité militaire devant l’histoire. Il paraîtrait pour le moins absurde de ne pas entrevoir une responsabilité fondamentale du principal chef de l’ANP dans cette fuite en avant anti-démocratique de l’Algérie sous-prétexte qu’on ne veuille pas voir l’évidence : un coup d’Etat militaire civilisé. De quoi donc réjouir toute la galerie de l’Etat civil et de raffermir les clans fallacieusement légalistes de l’ANP.
Finalement, ce que le FIS aura échoué à détruire, tout l’héritage idéologique, politique et historique d’une longue lutte de libération nationale incarnée par le FLN, le président Bouteflika en aura favorisé le déclin, en instrumentalisant un parti au profit d’un pouvoir personnel sans fin, assimilant le devenir de l’Algérie à celui d’un homme. Mais le réveil q été dur, lorsqu’on s’est aperçu que l’Algérie de Bouteflika ne fut qu’un tigre en papier, que le gant de velours démocratique qui semblait recouvrir une main d’acier ne fut finalement qu’un trompe-l’œil pour une société qu’on aura dénudée et jetée en pâture aux forces du mal avides de revanche.
A. K.
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