Vigilance et unité : plus rien ne doit être comme avant
Par Saïd Djafar – Voilà depuis plus de cinq mois que le peuple algérien, peuple de vaillants cavaliers, s’est remis en selle pour se réapproprier son histoire et écrire son avenir. De quelle manière ? En puisant dans son histoire séculaire.
Il le fait, depuis le 22 février, avec la même détermination que ses ancêtres, à l’instar de Massinissa reconnu par les historiens comme Du Ruy(1), tel un cavalier intrépide qui opposa aux Romains une résistance farouche et acharnée lors des guerres de Numidie.
Il le fait aux quatre coins du pays, comme le parcourait Jugurtha, qui reprit le flambeau de son prédécesseur, de Constantine à la frontière marocaine, pendant la colonisation romaine.
Il le fait comme l’éclairé Emir Abdelkader qui opposa une longue résistance à l’occupant en défendant le peuple, territoire et culture.
Il le fait en affirmant et défendant toutes ses composantes sociales et culturelles – amazigh, arabe, musulmane, etc., sans aucune exclusive et sans domination de l’une par rapport aux autres, afin de déjouer les manœuvres de dénouement de la trame d’unité par l’impérialisme dans sa reconfiguration programmée du monde, comme firent les Romains pour détricoter le maillage tissé par Massinissa.
Il déjoue les manœuvres en rejetant toute référence étrangère à la représentation de l’islam. Malgré la présence des résidus de l’ancien FIS et leurs tentatives se réapproprier le mouvement, les Algériens scandent dans leur écrasante majorité des slogans patriotiques et rassembleurs, n’en déplaise aux nostalgiques de l’empire ottoman.
On ne la lui fait pas deux fois. Le peuple algérien a été capable de faire capoter l’instauration d’un état théocratique commandité par les puissances étrangères et appliqué par les monarchies du Golfe dans l’objectif de la khalidjisation de l’Algérie.
Il n’a pas attendu, dans son histoire, l’importation de faux prophètes, pour mener comme le fit vaillamment l’Emir Abdelkader, dans une longue lutte acharnée contre l’occupant, allant de la Guetna près de Mascara en s’étendant aux autres territoires, dans son ambition de réunir toutes les composantes du peuple algérien.
Il a déjoué les revendications purement identitaires. Si l’amazighité est une composante historique et séculaire du peuple algérien et la présence de son emblème à côté de l’emblème national unificateur est une spécificité de l’Algérie qui la différencie des pays du Golfe, la revendication purement identitaire est largement rejetée par le peuple qui considère son algérianité une et indivisible en scandant «kabyle-arabe khawa khawa makanch jihawiya».
C’est un cinglant désaveu autant à ceux qui ont singularisé la région de la Kabylie pour justifier la répression par le pouvoir, des jeunes de cette région en 2001, que pour les séparatistes du MAK et des partisans du discours sur «les» communautés nationales.
C’est en s’appropriant son amazighité, comme son arabité, son islamité etc., et non en arrêtant les jeunes qui brandissent l’emblème de l’amazighité, étouffée pendant très longtemps, que le peuple algérien déjouera les plans machiavéliques des séparatistes, comme il a déjoué ceux des fondamentalistes islamistes auparavant.
Le peuple algérien a longuement observé ce qui s’est tramé dans le démantèlement de l’Irak, la destruction de la Libye et la guerre mondiale contre la Syrie, où le capital international a suscité les velléités identitaires pour opérer le morcellement de ces pays en impulsant des mouvements séparatistes qui n’ont, en revanche, rien trouvé à dire lorsque la Catalogne a été flouée dans sa volonté d’indépendance et ses dirigeants traqués.
L’autonomie et le séparatisme chez les autres pour morceler les territoires, pas chez eux !
En scandant «oui à l’amazighité ! Non au séparatisme !», les porteurs de cet emblème déjoueront davantage les plans des tenants de la répression ainsi que ceux des séparatistes.
Enfin, pour ces mouvements séparatistes, ils doivent méditer le sort des Kurdes abandonnés comme ils l’ont été et qui ont fini par se rallier au pouvoir syrien après l’échec du démantèlement de la Syrie.
Je rappelle que, sur la terre de mes ancêtres, la population dans son insurrection de 253 ne s’est pas soulevée uniquement contre les Romains mais aussi contre les Berbères romanisés complices de l’empire(2) et c’est sans doute le vaillant chef berbère des tribus du Djurdjura, Faraxen, qui a mené cette insurrection.
L’enjeu du mouvement populaire est le parachèvement de l’indépendance de l’Algérie.
L’indépendance économique
Au lendemain de la libération du pays, l’Algérie déploie plusieurs efforts pour un développement économique, basé sur un secteur d’Etat répondant aux aspirations populaires et les espoirs de l’indépendance nationale.
Contrairement à d’autres pays nouvellement indépendants, l’Algérie s’est dotée d’une industrie métallurgique et pétrochimique qui la différencia des pays qui étaient résignés à tout importer, y compris la fourchette de table.
Outre les hydrocarbures qui assuraient une rente non négligeable, avec son «industrie industrialisante», l’Algérie pouvait extraire différents minerais et les transformer pour alimenter différentes filières de production de matériaux pour la construction, en passant par la fabrication de l’électroménager jusqu’à la ménagère. Le capital international n’a cessé, alors, de manœuvrer afin de torpiller cette volonté d’indépendance économique en s’appuyant sur l’absence de fonctionnement démocratique dominé par le principe du parti unique.
Il trouve ses relais dans des cadres de l’Etat qui profitaient de leurs situations afin de faire des affaires en usant de leur statut de protégé par le système du parti-Etat.
Sentant le danger que pouvait provoquer de tels comportements, la frange du pouvoir se réclamant des aspirations populaires et incarnée par le président Houari Boumediene, demandait à ces affairistes de choisir entre la politique et le business. C’était sans compter sur l’absence de démocratie qui permettait à ces couches parasitaires de se renouveler au sein du système lui-même.
L’absence de démocratie a donné, sous l’impulsion d’«Abdelhamid la science» et sa tendance infitahiste (ouverture économique), l’occasion à ces couches parasitaires de privatiser le secteur agricole, de démanteler le secteur industriel et d’ouvrir le commerce extérieur en s’attaquant à la législation commerciale pour permettre l’import-import.
On découvre aujourd’hui, à travers les différents dossiers de corruption en cours, qu’une vaste opération de bradage de la richesse nationale a été conçue et menée en bonne et due forme sous la gouvernance de Bouteflika durant deux décennies. Et le constat populaire est résumé par le slogan «klitou lebled ya esserrakin !» (vous avez pillé le pays espèces de voleurs), on ne trouve pas plus clair et ingénieux comme mot d’ordre.
L’indépendance politique
La réappropriation de la richesse nationale et le développement économique ne pouvant se réaliser sans indépendance politique, le peuple algérien demande au système de partir.
C’est le système qui a permis la rédaction de la loi sur les hydrocarbures, sous l’influence des Etats-Unis, appliquée par l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, sans compter le scandale de l’affaire Sonatrach que l’on sait.
C’est le système qui a permis à l’ancien ministre de l’Industrie, Abdesselam Bouchouareb, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international et qui dirigea la «nouvelle stratégie industrielle de l’Algérie» de passer du statut de fabricant de chips à un des hommes les plus riches, profitant de son statut, des réseaux au sein du pouvoir et ses liens avec des puissances étrangères. Ces dernières semblent séduites par ces costumés-cravatés qui symbolisent à leurs yeux la modernité et préfèrent traiter avec eux les affaires économiques.
Ils découvrent à leurs dépens un peuple qui manifeste avec civisme et modernité mais qui veut qu’on traite avec lui d’égal à égal, dans un échange gagnant-gagnant, sans dilapidation de ses ressources.
Le peuple a compris cette allégeance qui bride le véritable développement économique au vu des «usines» d’automobiles installées qui se sont avérées n’être que de simples ateliers de montage, etc.
Les Algériens ne veulent plus être des simples sous-traitants de leur propre richesse et le clame haut et fort à travers le slogan «bled bledna wendirou rayna !» (le pays est le nôtre et c’est nous qui y décidons).
Sanctuariser les libertés publiques
Quel que soit l’élément déclencheur du mouvement du 22 Février, ce dernier a permis de vaincre la peur et de libérer la parole en l’imposant par la masse à travers les manifestations gigantesques et régulières que vit le pays depuis plus de quatre mois.
Ce ne sont plus quelques journalistes et bloggeurs incarcérés injustement qui dénoncent le système prévaricateur, mais c’est tout un peuple qui le crie, en laissant derrière lui la culture de l’émeute, ce qui a fait que l’ANP ne tire pas sur son peuple. Une armée n’est pas faite pour tirer sur son peuple, et encore moins une armée populaire, mais de le défendre
Il reste à l’ANP de prouver qu’elle ne s’ingère pas dans les affaires civiles pour qu’on ne lui reproche pas d’être responsable de l’échec de la révolution en cours et se réserver davantage à la défense et l’intégrité du territoire dans ce monde en pleine recomposition.
C’est ce qui soudera davantage le lien entre le peuple et son armée.
Il faut, donc, libérer tous les détenus pour délit d’opinion et officialiser les manifestations pour leur donner un cadre réglementaire, car c’est ce Mouvement, en dépit des interdits, qui a permis de mettre à jour l’ampleur des dégâts et opérer un début de changement.
C’est tout simplement l’exercice de la véritable démocratie qui doit être gravée dans les nouveaux textes telle que la Constitution pour une nouvelle République.
Réaliser un consensus national
Le Mouvement du 22 Février a vu un foisonnement de contributions et une formation d’alliances de partis, d’associations, de syndicats, etc. L’état actuel de ces alliances fait ressortir deux grandes «coalitions» ; une première qualifiée de «nationaliste» et une seconde dite «démocrate». La première est parfois qualifiée d’«archaïque» et la deuxième de «moderniste». Il faut commencer par récuser ces qualificatifs.
Il n’existe pas deux peuples en Algérie. C’est cette fausse contradiction qui a été utilisée par le système national et international et qui a mené le pays vers l’état où il se trouve actuellement.
L’Emir Abdelkader n’a-t-il pas été reconnu comme étant moderne contrairement à ce que pouvaient préjuger certains et Bouteflika n’a-t-il pas opéré une véritable régression culturelle de la société la rendant rétrograde contrairement à ce qu’espéraient d’autres ?
L’intelligence se trouve dans un consensus unitaire où se rejoignent la démocratie et le refus de l’utilisation de la religion et tous les identitarismes, et ce, des deux côtés des coalitions.
Cela peut se concevoir en un Front républicain démocratique et social, au caractère civil, sans la fusion des partis en son sein et auquel ne doivent participer ni ceux qui ont échoué dans la direction des affaires du pays, ni les formations purement religieuses, ni celles exclusivement identitaires.
C’est le caractère social de l’Algérie de demain qui assurera une base à ce Front qu’il ne faut pas oublier au risque de se trouver encore une fois coupé du peuple, comme le furent jusqu’à présent autant l’opposition que le pouvoir.
C’est la nouvelle République à dessiner, en s’inspirant de l’esprit d’Abane Ramdane, l’artisan et unificateur de la Révolution.
Le pays qui a fait de Madiba (Nelson Mandela) un homme, selon ses propres déclarations, ne recèle-t-il donc pas de ressources humaines pour réaliser ce consensus ? Pour peu qu’on cherche et qu’on fasse preuve de clairvoyance, comme avait su le faire feu Mohamed Boudiaf qui a pu par son intégrité et son charisme regagner la confiance de tout un peuple en très peu de temps.
Alors, que reste-t-il après le départ de Hocine Aït Ahmed, comme homme et femme de cette trempe ?
Tant qu’à faire, commençons par une femme ! Djamila Bouhired, toujours fidèle au serment de Novembre et aux sacrifices des martyrs. Lakhdar Bouregaâ qu’il faut libérer. L’intelligent et l’intègre docteur, le moudjahid Sadek Hadjares qui a su, durant presque trois décennies après l’Indépendance, accompagner le peuple dans ces luttes sociales et démocratiques dans des conditions de répression difficiles. N’est-ce pas le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), sous sa direction, avec ses militants syndicaux, politiques et associations féminines et estudiantines qui a mené différentes luttes dans plusieurs domaines ?
C’est sous l’éclairage de ces personnalités incontestables que doivent se regrouper les jeunes représentants de partis politiques, avocats, journalistes, syndicalistes, les défenseurs des droits, etc., pour édifier l’Algérie de demain pour laquelle sortent des millions de citoyens toutes les semaines pour rappeler aux décideurs le serment oublié fait aux martyrs.
Etablir un véritable plan de relance économique et social
Les différentes expériences économiques malheureuses que le pays a connues n’auraient été possibles si l’Algérie avait conservé et amélioré les structures qui avaient permis un début de réel développement économique, avant de confier cette tâche aux affairistes bricoleurs.
Il est urgent de regrouper les compétences nationales en remettant en place les structures qui ont été démantelées, telles que le ministère du Plan, l’Inesg (Institut national des études stratégiques globales) et l’Ardes ( Association de recherche sur le développement économique et social), comme le souligne à juste titre Abderrahmane Hadj-Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, en inventant les nouvelles structures comme celle qui doit se charger du développement de l’économie de la connaissance à l’ère de la bataille du numérique pour que l’Algérie y trouve pleinement sa place.
Les compétences ne manquent pas. Ne voit-on pas les jeunes cadres réussir pleinement – malheureusement à l’étranger – dès qu’ils sortent d’un système qui les bride ?
Conclusion
L’Algérie, peuple et cadres intègres dans les différentes institutions civiles et militaires ont un nouveau rendez-vous avec l’histoire.
L’anniversaire de l’indépendance nationale doit demeurer un véritable tremplin pour son parachèvement en avançant dans les solutions unitaires avec un esprit démocratique.
Que l’esprit d’Abane Ramdane règne sur le Mouvement populaire, synthèse de l’Algérien avec toutes ses composantes.
Gloire à tous les martyrs (de la Guerre de libération et ceux de la construction !
Vive l’Algérie républicaine et sociale et éternellement indivisible !
S. D.
Professeur de mathématiques
(1) Du Ruy, Histoire des Romains
(2) Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord.
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