Du régime de Boutef au régiment boutefeu
Par Mesloub Khider – Après plus de cinq mois de manifestations titanesques exigeant le départ du système, marquées par la participation de millions d’Algériens de tous âges et de toutes conditions sociales, on ne note aucun changement politique notable. Excepté le congédiement forcé du président Bouteflika, ordonné par le général Ahmed Gaïd-Salah, intervenu sous la pression menaçante du soulèvement populaire, et aussi l’incarcération de quelques cacochymes corrompus du régime, le «système» trône toujours souverainement au pouvoir. L’oligarchie règne toujours en maîtresse absolue du pays. Elle détient encore royalement les leviers de l’Etat.
De fait, depuis la destitution de Bouteflika, l’armée assure l’intérim de la Présidence. Son président autoproclamé Ahmed Gaïd-Salah gère le pays comme une caserne : avec autorité. Il dirige le pays d’une main de fer dans un gant de velours. Il en impose avec son opulente personnalité massivement écrasante de commandement.
L’institution militaire démontre qu’elle demeure la fraction dominante du pouvoir. Elle prouve qu’elle est la seule instance «politique» à assurer la pérennité du pouvoir, la sauvegarde des intérêts généraux des structures étatiques algériennes.
De fait, semaine après semaine, dans ses déclarations alternant la logorrhée bienveillante et la rhétorique comminatoire, le général Ahmed Gaïd-Salah s’impose comme l’homme fort de l’immuable pouvoir superficiellement purgé. En tout état de cause, lentement mais sûrement, l’état-major de l’armée intronise son hégémonie sur l’Exécutif. Dans ses conseils des ministres ambulatoires, constitués de sa seule personne, le chef d’état-major Ahmed Gaïd-Salah souffle le chaud et le froid. Il étreint le peuple, puis il éreinte le peuple. Il le hausse à la dignité d’entité mâture respectable, puis s’adresse à lui comme à un enfant soumis au devoir d’obéissance. Feignant ignorer que le peuple algérien a acquis, enfin, depuis le 22 février, son émancipation politique, le généralissime persiste à le traiter comme un éternel mineur. Un jour, il lui promet des épousailles, le lendemain, il le menace de représailles s’il manifeste trop de liberté et s’entête à vouloir contracter librement un mariage politique novateur, avec son nouvel amoureux pays moderne, affranchi de la tutelle de ce pouvoir mafieux.
Au reste, cette posture d’autocrate galonné, alléché par le pouvoir, n’est pas sans rappeler celle du «maréchalissime» Sissi. Mais l’Algérie n’est pas l’Egypte.
Lors de ses Conseils des ministres solitaires, le général prend régulièrement la parole pour dicter ses martiales volontés au peuple algérien en lutte, invité à modérer ses revendications démocratiques pour ne pas nuire à la «sacrée dictature constitutionnelle» algérienne, seule garante de la stabilité des institutions lucratives du pays ; pour sommer les partis politiques de participer diligemment à son élection présidentielle caporalisée ; pour enjoindre les juges du «système», chargés de l’opération «mains propres», d’accélérer la machine de lessivage judiciaire, de procéder au blanchissage pénal de l’ancienne écurie spoliatrice du régime bouteflikien afin d’installer une nouvelle équipe du même «système», malproprement maculée et sans conception politique.
Que dissimule cette obstination obsessionnelle à vouloir organiser urgemment les élections ? Particulièrement à notre époque où, partout dans tous les pays, la démocratie capitaliste est décriée, discréditée, disqualifiée. Le peuple algérien ne doit pas être dupe. Quelle que soit la bande d’escrocs propulsée au sommet du pouvoir, sa situation sociale et économique ne connaîtra aucune amélioration. Il revient au peuple souverain algérien de ne pas succomber aux chants de sirène encasernés. Il doit se gouverner librement, sans aucune tutelle, encore moins casquée.
Dans un pays censément expurgé des requins du pouvoir, le général assume désormais le rôle de Dauphin. L’Algérie étant, à ses yeux revolvers, une éternelle mineure, le généralissime assure ainsi la régence dans une Algérie devenue le royaume du régiment. Pour asseoir son autorité, le régent s’applique à enrégimenter le peuple algérien. Mais sans succès. Toutes ses tentatives d’incorporation dans son Algérie caporalisée ayant échoué, le général hausse le ton et change son fusil d’épaule.
Dans une de ses allocutions prononcées lors de son conseil des ministres ambulatoire solitaire, droit dans ses bottes, renouant avec ses réflexes militaires, le général avait menacé les manifestants drapés de l’emblème autre que national d’excommunication, de répression policière. Effectivement, le général avait déclaré que seul le drapeau algérien serait désormais toléré dans les manifestations. Le généralissime, par son incrimination, faisait allusion au «drapeau berbère», particulièrement brandi lors des défilés contre le «système».
Dans son harangue comminatoire, le général avait dénoncé «la tentative d’infiltrer les marches et de porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité». Et il avait ajouté : (des) «instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre – depuis quand l’armée ordonne-t-elle à la police de remplir une mission, qui plus est politique ? – pour une application rigoureuse des lois (…) et pour faire face à quiconque tente d’affecter les sentiments des Algériens à propos des ce sujet sensible et délicat». On ne pouvait que s’étonner par cette sortie médiatique. On ne pouvait qu’être surpris par cette injonction martiale, aussi étonnamment tardive qu’impertinente.
Depuis plus de cinq mois maintenant, des manifestations sont organisées dans toute l’Algérie. Chaque vendredi comme les autres jours, notamment les jours de manifestations estudiantines des mardis, le drapeau culturel berbère est constamment brandi, de façon festive arboré par des milliers d’Algériens sans susciter la moindre hostilité des citoyens ni des autorités. Car l’unité du peuple algérien en lutte depuis le 22 février transcende toutes les futiles et stériles divisions ethniques ou religieuses. Jamais le peuple algérien n’a été aussi assemblé, rassemblé. Jamais il n’a autant brandi bravement le drapeau de sa liberté, symbolisée aussi bien par le drapeau national que par l’emblème amazigh.
Après toutes les vaines exhortations fulminantes du général, devant la résistance et la détermination du peuple algérien à poursuivre sa lutte jusqu’au renversement du «système», dans un sursaut de survie ou de provocation, le nouveau régime opaque, cristallisé par le général Gaïd-Salah, tente de diviser les Algériens, en employant la vieille recette de la division «ethnique», du séparatisme tribal.
On voudrait provoquer une guerre fratricide en Algérie, allumer une guerre civile entre Algériens, on ne s’y prendrait pas autrement !
M. K.
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