L’Etat militaire joue sa toute dernière carte
Par Youcef Benzatat – A l’installation du «comité des sages», ce samedi 17 août, par le panel que l’état-major voudrait imposer au peuple pour un dialogue en vue de l’organisation au plus pressé de l’élection présidentielle, son président, Karim Younès, a tenu à préciser que cette instance aura pour mission, entre autres, de cautionner moralement la rédaction d’une charte qui sera signée par tous les candidats à la prochaine présidentielle.
Entendre, les futurs candidats à la prochaine élection présidentielle devraient se soumettre à la charte rédigée par un panel qui a été désigné par le pouvoir, représenté par l’état-major, sous la couverture du président par intérim, Abdelkader Bensalah. Ces conditions excluent d’emblée tout candidat qui refuserait de se soumettre à cette charte. Par extension, tout candidat au dialogue initié par ce panel devrait se soumettre lui aussi à l’esprit de cette charte, qui n’est pas déjà écrite au préalable, certes, mais dont l’esprit devrait s’inscrire dans la démarche entreprise par l’état-major de refuser toute transition qui remettrait en question le système de pouvoir en vigueur depuis l’accès à l’indépendance. A savoir que le pouvoir demeure sous contrôle de l’état-major, par l’intermédiation d’un pouvoir civil de façade qui serait encore une fois «élu» par des élections présidentielles sous son contrôle et sous ses conditions.
Lorsque l’on sait que tous les membres de ce panel sont des membres actifs de ce système de pouvoir ou d’anciens membres de celui-ci qui ont été repêchés pour la circonstance, il est clair qu’il n’y a rien à espérer d’eux pour qu’ils puissent influencer les conditions qui seraient imposées aux futurs candidats à l’élection présidentielle dans cette charte. Leur rôle ne devrait pas dépasser la mise en œuvre des orientations indiquées par l’état-major.
Donc, pas de changement de système de pouvoir en perspective de ces élections présidentielles que l’état-major voudrait imposer au peuple, malgré l’insistance de ce dernier de vouloir en finir avec l’Etat militaire et de réaliser la transition vers un Etat civil.
Aveuglé par son expérience, qui a réussi à reconduire son système de pouvoir pendant deux décennies, après l’éviction du président élu par le peuple, Liamine Zeroual, quoi que l’on dise que c’était Abdelaziz Bouteflika qui était réellement aux commandes, l’état-major n’entend toujours pas céder le pouvoir aux civils et compte user de cette stratégie du coup de force à peine déguisée, qui lui a servi autant de fois de faire-valoir pour tromper l’opinion et imposer encore une fois un président serviable et corvéable.
Son aveuglement est tel qu’il ne se rend même pas compte que des millions d’Algériens ont acquis la maturité politique suffisante pour lui contester son hégémonie sur la société et exiger que leur souveraineté législatrice leur soit restituée intégralement. En effet, des millions d’Algériens sont sortis des universités depuis des décennies pour gonfler les rangs des chômeurs ou des emplois précaires sans relation avec leur formation universitaire faute de développement. Des millions d’autres qui ont été exclus de toute vie sociale et économique, y compris du système éducatif. Une génération entière d’Algériens laissée pour compte et qui s’est soulevée en masse pour prendre son destin en main et de décider de l’orientation du développement de son pays correspondant à ses attentes. Qu’aucune proposition de panel pour un quelconque dialogue avec les responsables de sa marginalisation et de son exclusion ne pourra entamer son incrédulité et son scepticisme en la bonne foi du système. Rien ne pourra désormais venir consoler son désarroi et venir à bout de sa détresse que le changement radical du système de pouvoir qui l’a enterrée vivante. Sa détermination à en finir avec la reconduction du système de pouvoir responsable de tous ses malheurs est à l’image de la foule compacte qui occupe les places et les rues de toutes les villes du pays, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, de mardi à mardi, de vendredi à vendredi, depuis six mois maintenant.
Dans ces conditions, l’Etat militaire est réduit à dialoguer avec lui-même, en espérant réaliser cyniquement un énième coup de force à moindre frais, comme de coutume, sans savoir qu’il est en train de jouer sa dernière carte devant l’avènement inéluctable d’un Etat civil.
Y. B.
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