La crise économique alarme l’oligarchie
Par Mesloub Khider – Avec le déclenchement du hirak, l’imminence d’une catastrophe économique se précise chaque jour avec plus d’acuité. Et nos experts autoproclamés, apeurés, n’épargnent pas leur vénale intelligence pour se dépenser dans des propositions de sauvetage hypothétiques. Pour nous dispenser leurs leçons éculées qui ramèneraient l’Algérie aux temps faméliques reculés. Pour nous prodiguer leurs conceptuels cataplasmes afin de soigner le purulent marasme. Chaque expert y va de sa plume magique ou de son clavier informatique thaumaturgique, pour se livrer à des prestidigitations analytiques et recommandations économiques fantasmagoriques. Tous ces «experts» solipsistes font la réclame de ces recettes économiques écrémées, depuis longtemps avariées.
Tous ces «experts» font partie du gratin de l’oligarchie algérienne, qui gratte du papier avec le même esprit prédateur et vénal que sa classe s’applique à gratter les richesses du pays.
Aujourd’hui, avec le soulèvement populaire du 22 Février, cette oligarchie est secouée par la crise politique et économique. Déboussolée par l’intensité de la crise, cette oligarchie affairiste et étatique se démène dans une angoissante agitation pour éviter le chavirement de son (yacht) Algérie. En vrai, pour sauver sa rentière parasitaire existence sociale.
Cyniquement, à l’époque de l’enrichissement inespéré de l’Algérie, où les milliards de dollars coulaient à flots par la grâce de l’enchérissement de cet or noir tiré des entrailles du désert par les braves travailleurs algériens, cette classe oisive flottait dans la mer de l’insouciance à bord de ses richesses matérielles achetées clés en main à l’étranger, sans se soucier du développement économique du pays. Sans se préoccuper de la dilapidation des milliards de dollars opérée par le mafieux régime.
Aujourd’hui, au moment où la conjoncture économique subit les tempêtes de la crise mondiale, aggravée par la crise politique, cette oligarchie, affolée par la dégradation du climat économique, s’emploie à se muer en experte pour nous livrer ses recettes économiques en vue de sauver l’Algérie de la banqueroute, de la débâcle, de la déroute. En vrai, pour sauver son système. Car les classes populaires, depuis l’indépendance, sont confrontées à la banqueroute de leurs conditions sociales, à la débâcle de leur vie, à la déroute de leur Révolution de 1954.
A entendre ces «experts», de simples résolutions politiques suffiraient pour enrayer la crise. A les lire, une futile élection présidentielle assainirait l’économie algérienne ; un dérisoire changement du personnel politique à la tête de l’Etat mafieux parviendrait à freiner l’enlisement économique, la périclitation financière. Et régénérer ainsi une situation économique malmenée par l’effritement des cours du pétrole, unique source de revenus de l’Algérie. Leur naïveté est criante, leur ignorance navrante, leur duplicité affligeante. En vérité, aucun pouvoir placé à la tête de l’Etat algérien, même constitué d’un personnel politique compétent et démocratique, élu librement au suffrage universel, n’inverserait la tendance actuelle de l’effondrement économique, même avec la meilleure volonté du monde. Il suffit d’observer la situation économique catastrophique du Venezuela. Et de nombreux autres pays, comme la Grèce et l’Argentine. Même les deux premières puissances économiques mondiales sont aujourd’hui embourbées dans une grave crise, exacerbée par des tensions commerciales, préludes sans doute à une confrontation armée généralisée.
Qu’il s’agisse de l’option industrielle ou agricole proposée par ces experts, dans l’affolement et l’urgence, comme panacée pour développer enfin l’économie algérienne, aucune mesure politique ne peut modifier le cours de la crise, infléchir la tendance déclinante de l’économie. L’industrialisation ne se décrète pas – on connaît le résultat avec l’ère Boumediene. Pareillement pour l’agriculture, elle ne s’implante pas sur le sol algérien par un oukase. De toute manière, la Chine et quelques autres pays émergents, devenus les Ateliers du monde, pourvoient amplement à la consommation effrénée de la planète. Notamment aux besoins de l’Algérie.
L’obstacle, en matière de développement économique de l’Algérie, est paradoxalement économique. Dans une économie capitaliste mondialisée fondée sur le profit, sur la vente des marchandises produites, la saturation des marchés est déjà suffocante de pollution et alarmante de destruction écologique. En effet, la surproduction a atteint des proportions inégalées. D’où l’exacerbation de la concurrence entre les pays capitalistes pour écouler leurs produits toxiques. Dans cette guerre économique internationale impitoyable, seuls les pays capitalistes hautement développés tirent leur épingle du jeu, raflent l’enjeu. Les nations à économie développée anciennement établie disposent de ressources et de forces plus solides pour accaparer les marchés grâce à la vente de leurs produits compétitifs à des prix défiant toute concurrence. Et, ainsi, évincer du marché les pays sous-développés, comme l’Algérie. En vérité, dans le cadre de cette économie concurrentielle mondialisée, il revient moins chère à l’Algérie d’acquérir les marchandises à l’étranger que de les fabriquer sur son territoire. C’est l’imparable et implacable loi du développement inégal du capitalisme.
En outre, à notre époque, où des milliers d’usines à travers le monde ferment pour raison de faillite (mévente), avec comme corollaire un chômage massif endémique, la perspective pour l’Algérie, comme le suggèrent ces experts illusionnistes, de se lancer dans le développement industriel est illusoire, pour ne pas dire impossible. De même pour l’agriculture. S’il fallait développer ces deux secteurs, il eût fallu l’impulser au lendemain de l’Indépendance, à cette période de prospérité économique au niveau international, de croissance soutenue. Aujourd’hui, la récession obère cette perspective de développement.
La solution n’est donc pas politique. Encore moins économique dans le cadre du système enlisé dans une crise systémique mortelle. En réalité, sans rupture radicale avec le capitalisme, aucune solution n’est envisageable. Tous ceux qui ergotent sur les réformes à envisager uniquement dans le cadre de ce mode de production en putréfaction sont des menteurs éhontés. Les travailleurs et les classes populaires algériennes doivent se défier de ses experts au service du capital. Faute de quoi, c’est la reconduction des mêmes classes dirigeantes dominantes, la perpétuation de la même misère pour les classes laborieuses algériennes.
Le salut du peuple algérien – qu’il faut différencier du régime mafieux algérien et des classes parasitaires rentières – ne viendra pas de ces experts illusionnistes ou de ces «nouvelles» élites politiques recyclées, propulsées sur le devant de la scène médiatique à la faveur du hirak. De ces escrocs de la politique déconnectés des réalités sociales mais, par ailleurs, les yeux toujours rivés vers les cimes du pouvoir. Un pouvoir auquel ils prêtent leur machiavélique expertise pour le sauver du naufrage, notamment en offrant leurs vénaux et serviles services au travers de leur officine, ce panel de crabes, catapulté par le régime moribond, pressé de hisser une nouvelle classe politique algérienne obséquieuse aux commandes de l’Etat.
Le peuple algérien ne doit pas lutter abstraitement contre le système, contre les classes dirigeantes étatiques et politiques parasitaires.
Le peuple algérien, soulevé contre le régime depuis le 22 février, doit prendre concrètement son destin en main, s’organiser réellement en dehors des instances politiques parasitaires inféodées au régime et des récentes structures politiques oligarchiques. Il doit se structurer afin d’autonomiser sa lutte en vue d’instaurer son propre pouvoir démocratique dirigé par ses intègres représentants, au moyen d’une démocratie directe horizontale, dans le cadre d’une société égalitaire débarrassée du profit, de la marchandise, de l’argent. En un mot : d’une économie produisant pour la satisfaction des besoins sociaux et non le profit. En Algérie comme à l’échelle de la planète.
M. K.
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