La réalité n’a besoin de personne
Par Nazim Maiza – Le hirak est venu à bout de toutes les démarches qui risquent de menacer, un tant soit peu, la pureté de sa réalité. Une réalité contenue dans son organisation hebdomadaire sans aucune logistique préétablie ni même de leaders discernables pour le moment.
Le panel «spécieux» de Karim Younès est assurément un coup d’épée dans l’eau ; en vérité, il sera appelé à connaître, les jours à venir, moult défections des personnalités qui le composent ou, dans le plus favorable des cas, il tombera en désuétude plus rapidement que le pensent certains. Tout ce qui vient s’aventurer au nom du hirak disparaît aussitôt avec, en guise de reconnaissance, un oubli populaire commun avec un «bizutage» à coup de «dégage !» le vendredi.
Force est de constater que le Mouvement populaire ne peut être conquis ; il est à l’image de la grève où vient s’estomper la vague aux pieds des baigneurs hésitants.
Karim Younès qui, en réalité, n’a rien à perdre, a cru naïvement peut-être, opportunément, c’est certain, passer pour la figure politique qui sait comment faire. L’ambigüité de Younès est troublante et funambulesque pour quelqu’un qui espère un avenir en politique en Algérie. Ce dernier ne veut pas paraître vouloir faire ce qu’il croit opportun de faire, mais qui le fait finalement devant des millions de téléspectateurs algériens.
Ce panel dans sa version estivale n’a pas suscité l’enthousiasme de la foule ni apporté de l’espoir dans un pays qui accélère sa mutation brusque et bouleversante au gré du destin, sans véritable «navarque» sur le pont.
C’est à croire que la mort «ab ovo» systématique de toutes les démarches politiques entreprises en Algérie ces derniers mois, est maintenant cultuelle dans la nouvelle conviction populaire. La suspicion est telle que personne ne peut se prévaloir ouvertement d’être un intermédiaire du hirak avec le pouvoir politique actuel.
A dire vrai, l’exclusion systématisée des têtes qui dépassent est le signe d’une révolution algérienne bien plus profonde que nous ayons pensé après l’effervescence du 22 février. Ce que je conceptualisais comme étant une impasse politique s’avère, in fine, être un paradoxe politique, lui aussi, bien plus complexe que le monde moderne n’ait jamais connu. Même armé pacifiquement d’une bonne foi qui ferait pâlir les religieux algériens désormais discrets, aucun homme, ni femme d’ailleurs, ne peut prendre les rênes du hirak.
Certain feront le parallèle avec les Gilets jaunes, certes des similitudes existent dans la motivation des deux mouvements, bien qu’intégralement économiques en France. D’autres diront qu’eux aussi n’ont pas pu se faire représenter, beaucoup de politiques essayèrent, aucun n’a réussi, même les plus à gauche de la gauche, l’exemple de Jean-Luc Mélenchon est probant. Il n’est pas difficile de comprendre que les deux mouvements qui se côtoient temporellement n’ont pas, non seulement, le même schéma social ni le même cheminement dans l’expression.
Tel Bucéphale, personne ne pourra manœuvrer le peuple en marche chaque vendredi. Il faudra attendre encore et encore pour espérer un nouveau gouvernement qui organisera une élection présidentielle et en finir avec le statu quo, c’est la seule solution envisageable.
Des solutions qui s’amoindrissent plus le temps passe, mais il n’en demeure pas moins qu’il ne faut pas essayer de parler au nom du peuple, surtout ces derniers temps. Essayer, c’est aller vers une déchéance certaine. C’est pour cette raison qu’il est préférable de «ne faire rien» devant cet imbroglio national.
Nous y sommes loin, mais l’Algérie s’achemine à grands pas vers une ochlocratie d’un nouveau genre avec des citoyens nullement manipulables ni influençables.
A force d’ignorer la voix du peuple qui veut le départ des symboles du régime, le système politique algérien a fait en sorte d’exempter les citoyens de la démocratie escomptée sans en avoir une idée réelle et sombré directement dans les pensées de Rousseau dans son contrat social : «En distinguant, la démocratie dégénère en ochlocratie». «Ne faire rien» et loin de l’idée de «ne rien faire» ; ne faire rien, c’est déjà faire quelque chose, sombrer dans l’immobilisme «ultra prudent» qui, par définition, n’en sera pas plus productif qu’autre chose, c’est philosophique et lassant certes, mais c’est ainsi, hélas !
«Ne faire rien», c’est ne pas aller s’engager dans des démarches personnelles ou «semi-collectives» de façade pour taquiner le pouvoir en place dans l’espoir de voir une réaction quelle qu’elle soit tout en faisant «bella figura» et séduire un peuple qui suffoque. C’est aussi valable pour le pouvoir actuel qui perd du temps, ô combien précieux, à sélectionner des personnages politiques, peut être brillants et honnêtes, mais sans aucune assise populaire, minime soit-elle.
«Ne faire rien» c’et s’arrêter de fantasmer égoïstement sur son rôle ou place dans l’Algérie de demain, sauf participer ne serait-ce que par des gestes simples, ou avec des opinions saines pour concrétiser l’édification d’une nouvelle République bien plus intéressante que celle sous laquelle nous vivons aujourd’hui.
Avec cette prise de conscience, nous pourrons espérer une Algérie sortie de sa torpeur qui serait loin des affres du «zaïmisme» et de la démocratie de vitrine ; un pays où la «pudeur politique» sera de mise. C’est de «pudicité politique» qu’il est question, c’est aussi simple que ça !
Voilà la nuance perceptible que représente la prise de conscience politique au sein du hirak envers les différents panels qui comptent sur le ras-le-bol populaire. Vraisemblablement, ils sont à côté du panneau et loin du compte.
La réalité se résume à la compréhension des Algériens de ce que pourrait être leur pays potentiellement riche, si ce n’est le nombre de pillards sans scrupule qui, pourtant, se voulaient être l’élite. Le peuple profond, bien plus que l’Etat, sait pertinemment que nul n’est indispensable et que personne ne peut se prévaloir d’être encore une fois l’élite autoproclamée en cette terre algérienne.
Nous entrons petit à petit dans une ère ou le borgne ne peut plus être roi au royaume des aveugles. Bien au contraire, à défaut, les aveugles apprendront à percevoir la moralité salvatrice dans l’un des leurs qui les mènera vers la quiétude et la prospérité.
La réalité m’amène à me rappeler un poème bouleversant de Fernando Pesoa, un texte que je destine à tous ceux qui se croient investis de la mission de faire aboutir le Mouvement populaire : «Lorsque viendra le printemps, si je suis déjà mort/Les fleurs fleuriront de la même manière et les arbres ne seront pas moins verts qu’au printemps passé/La réalité n’a pas besoin de moi.»
N. M.
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