Le système a confisqué l’indépendance par la roublardise
Par Rabah A. – L’épisode du malheureux tigre abattu par d’intrépides gendarmes parce que le zoo dont il s’était échappé (comment ?) ne disposait pas de somnifères renseigne sur l’inutilité de payer des sommes faramineuses pour ramener de très loin de superbes animaux afin de les mettre dans des cages minuscules et de les nourrir avec du «tout-venant» avant de les éliminer à l’arme d’assaut. Durant la même semaine, deux lionceaux sont morts au Jardin d’Essai faute d’une prise en charge médicale appropriée et d’un personnel formé et spécifique.
Faut-il croire que ce pays ne réussit pas aux animaux exotiques et qu’au lieu de les ramener ici pour les faire mourir d’ennui, de faim ou par kalachnikov, il serait préférable d’encourager la diffusion sur les chaînes de télévision locales de documentaires animaliers afin que nos enfants apprennent à connaître et à aimer la faune dans toute sa richesse et sa diversité et, partant, d’éviter que le monde entier nous prenne pour des monstres et des incapables ?
Le pays souffre de la soif et du problème récurrent de l’électricité chaque année à la même période et à chaque fois que le phénomène naturel vient à perturber notre train-train et notre nombrilisme. Ainsi, la moindre tempête de saison prend des allures de catastrophe nationale et fait plus de dégâts dans nos contrées que le plus violent cyclone tropical et à chaque fois tout ce qui a été dit auparavant concernant les avaloirs et les plans Orsec apparaît aussi mesquin et dérisoire que ceux qui ont tenu de tels engagements la main sur le cœur quelques mois auparavant.
Est-il normal qu’un pays riche comme le nôtre souffre encore de la soif et du manque d’électricité soixante ans après notre libération ? Qu’avons-nous fait de notre indépendance, à quoi a servi le sacrifice de nos aînés ?
L’école algérienne est amenée aujourd’hui après soixante années d’errements au cours desquelles elle a servi d’arène de confrontation entre L’Orient et l’Occident et où elle a essayé les formules les plus farfelues, passant du bilinguisme à l’arabisation au rabais à outrance avec une université en français pour les meilleures moyennes au bac, puis à l’école fondamentale, puis à la suppression de la sixième, puis au rétrécissement du cycle primaire , puis au bac pour tous ou presque, puis à la reconduction de l’examen de sixième.
A cette école «sinistrée» réfléchie aujourd’hui par la grâce de quelques patriotes d’opérette, plus intéressés par le morceau de sucre qu’on leur tend à la fin de l’exercice que par la réussite de nos enfants car les leurs, ils les ont déjà placés ailleurs et avec les moyens de L’Etat, donc cette école-là veut substituer d’un coup de baguette maléfique un «butin» de guerre», une langue utilisée même par nos mères et grand-mères et dont des centaines de mots ont été intégrés dans notre parler quotidien par une langue avec laquelle rien ne nous unit, ni l’espace géographique et civilisationnel, ni l’histoire, ni les préoccupations et les intérêts comme ceux liés à la présence en France d’une très forte communauté algérienne, à savoir la langue de la perfide Albion.
Peut-on être à ce point aveugle et cynique pour jouer le destin de plusieurs générations et de millions d’enfants à la roulette russe ? A-t-on pensé un instant à ces dizaines de milliers de cadres qui ont choisi de rester en Algérie pour faire tourner les usines, les raffineries, les hôpitaux, les bureaux d’études, les universités qui seront stigmatisés et vont être sacrifiés sur l’autel d’un nationalisme suspect, réducteur et stérilisant ? Quelle folie qu’un pays soit amené un jour à «bouffer» ses propres enfants nés pour vivre heureux et confiants sur la terre de leurs ancêtres ! Aborder ce sujet plus d’un demi-siècle après l’indépendance est déjà un échec en soi puisqu’il laisse comprendre que tout ce qui a été entrepris auparavant était antinational et que le pays était parti dans la mauvaise depuis 57 ans dans ce qu’il a de plus vital : la conception et la mise en place d’une politique d’éducation nationale qui devait s’inspirer de notre réalité, répondre à nos besoins et concrétiser nos objectifs en termes de développement. Quel gâchis et quelle immense perte pour un pays qui était si prometteur et si facile à aimer !
La crise née du refus de partir du système qui a confisqué par la force et la roublardise l’indépendance du pays, a permis l’émergence de termes dangereux comme les «Zouaves» et bien d’autres qui mettent gravement en péril la cohésion du pays et sa stabilité. Des individus voulant se mettre du bon côté de la barrière et s’attirer par là-même la satisfaction du maître du moment, attisent la haine et s’attaquent d’une manière infâme aux seuls habitants d’une région martyre qui n’a pas fini de panser ses blessures d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui. Cette démarche inconcevable il y a quelques mois s’affiche d’une manière ostentatoire comme si elle était voulue et encouragée par les dirigeants de ce pays.
Ainsi, comment une raciste pourtant vêtue de l’habit de députée (prétendument) de la République et de surcroît leader d’un soi-disant parti politique en arrive dans la suite logique d’un «Mein Kampf» de sinistre mémoire, à appeler les Algériens à ne pas faire du commerce, ni à se marier, ni à parler, ni à cohabiter avec leurs frères habitant une région précise de leur pays ? Est-ce pour ça qu’Abane, Ben M’hidi, Ben Boulaïd et des milliers de combattants sont morts ? N’y a-t-il pas dans l’appareil de l’Etat quelque responsable qui ne soit pas trop obnubilé par sa carrière et le «pain des enfants» pour clouer le bec à cette charognarde, appeler à la raison et faire que le massacre s’arrête ? Sans cela, la fracture ira en s’élargissant et ceux qui parient aujourd’hui sur la mise au pas du pays pour asseoir leur pouvoir illégitime, ne trouveront demain aucun espace sur lequel ils pourront gouverner. Cette crise renseigne aussi et surtout sur le peu d’affection qu’ont eu les dirigeants de ce pays pour leur patrie qu’ils ont dépecée et massacrée comme si elle ne leur appartenait pas.
Faut-il croire que les longues années de formation de la conscience nationale avant la Guerre de libération et pendant les années de lutte armée n’ont pas suffi ou n’ont pas servi du tout à faire jaillir le sentiment national et cette formidable envie de partager les mêmes idéaux de progrès et de réussite pour les enfants de ce pays-continent ? Avons-nous mérité notre indépendance ? Assurément, oui ! Méritons-nous encore d’exister dans le concert des nations ? Encore une fois oui !
Que faut-il faire alors pour que nos enfants ne servent plus de nourriture aux poissons en haute mer, pour que nos diplômes soient valables et convoités, pour qu’on trouve un emploi et un logement comme c’est le cas partout ailleurs dans le monde, pour que nos hôpitaux ne soient plus des mouroirs, pour qu’on ait de l’électricité et de l’eau courante quelle que soit la saison, pour que notre passeport, notre nationalité et notre monnaie nationale nous rendent fiers, pour que même les animaux se plaisent ici et ne servent plus de cibles à des gendarmes trop heureux d’avoir pour une fois le beau rôle après celui du mépris institutionnalisé, pour qu’enfin on se réapproprie notre destin et qu’on bâtisse un grand pays ? La réponse à toutes ces questions est dans la suite qui sera donnée par notre peuple à notre soulèvement pacifique.
Si nous sommes unis et déterminés avec une feuille de route claire et des représentants sincères et engagés, rien ne pour nous arrêter. Si nous baissons la garde ou si nous reculons, nous disparaitrons, c’en sera fini de notre Algérie et de nos illusions.
R. A.
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