Quand le mot «îssaba» cher à Gaïd-Salah se retourne contre ses géniteurs
Par Kamel M. – Gaïd-Salah a été le premier à prononcer le mot «îssaba», au début repris machinalement par les manifestants, avant d’être «ajusté» au fur et à mesure que ses desseins se révélaient au grand jour. Le chef d’état-major de l’ANP avait surpris tout le monde en usant d’un terme violent pour décrire ceux dont il se servait comme bouclier jusqu’au soulèvement populaire du 22 Février.
Tenant le bâton par le milieu, Gaïd-Salah atermoyait au début dans l’espoir de voir son projet de cinquième mandat se réaliser malgré la colère qui grondait chez les citoyens, lassés par un interminable système corrompu et arrogant. Puis, par opportunisme, il changea son fusil d’épaule du jour au lendemain lorsqu’il comprit que c’en était fini de Bouteflika et qu’il devait sauver sa peau en opérant un virage à 180°. C’est dans cette logique que s’inscrit l’invention de ce mot corrosif qui devait signifier un divorce total d’avec celui dont il assurait le maintien au pouvoir depuis 2004.
Mais les laboratoires secrets dont s’est doté Gaïd-Salah et ses services pour contrer le Mouvement de contestation populaire ont sous-estimé l’intelligence des citoyens qui ont adapté le mot à la situation dès qu’ils ont compris le jeu auquel s’adonne le chef de l’armée dans le but inavoué de sauvegarder, en définitive, le système Bouteflika dont il est un des symboles les plus acharnés.
Après avoir usé et abusé de ce mot dont l’intensité était censée déconcerter l’opinion publique au point de la détourner du complot qui se jouait dans les coulisses du régime moribond, les manifestants ont en gardé l’esprit tout en le retournant contre ses géniteurs. C’est ainsi que le vocable «îssaba» – dont la traduction diffère d’un média francophone à un autre, «bande», «clan» ou «gang» – a été, d’une façon subtile, reformulé au pluriel (îssabate). Cette «mise à jour» est lourde de sens, en ce sens qu’elle met à nu une guerre de clans à laquelle s’adonnent les détenteurs du pouvoir actuels, résidus du système Bouteflika dont ils sacrifient des fusibles pour faire accroire à une lutte sans merci contre le pillage éhonté auquel se sont livrés les «oligarques» aujourd’hui emprisonnés.
Non seulement Gaïd-Salah et ses services n’ont pas réussi à faire avaler la pilule aux citoyens, mais ils sont désormais eux-mêmes affublés de ce titre infamant qui les met au ban de la société, qui les rejette tout autant que le clan auquel ils ont appartenu et qu’ils ont cru devoir sacrifier pour continuer de jouir, par la répression et la menace, des largesses du pouvoir finissant.
K. M.
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