Mais que diable le peuple va-t-il faire dans cette galère électoraliste ?
Par Mesloub Khider – «Le suffrage universel ne me fait pas peur, les gens voteront comme on leur dira», disait le royaliste Alexis de Tocqueville.
Selon les spécialistes, la démocratie serait le meilleur régime pour maigrir, à force de se nourrir d’espoirs déçus. En Algérie, soumis depuis l’indépendance à un régime dictatorialophage, d’un régime se nourrissant charnellement de la répression perverse de sa population, le pouvoir ne semble pas résolu à alléger son poids oppressif tant il craint voir se fondre son obèse mafieuse richesse et son lourd corps criminel placé sur la balance de Thémis. Selon d’autres, la démocratie serait le meilleur sport pour muscler sa patience, patience jamais fatiguée d’attendre le miracle politique et économique se réaliser.
En Algérie, l’impatience du peuple d’en finir avec le système a musclé depuis longtemps sa détermination à instaurer son propre pouvoir démocratique direct horizontal accompagné de la réalisation du miracle économique. Selon d’autres, ce serait la plus belle conversion à cette religion des temps modernes : c’est la seule qui promet le paradis sur terre. En Algérie, où l’enfer a élu domicile depuis 1962, le peuple ne risque pas de se convertir à cette chimérique religion paradisiaque électoraliste mercantile ; il préfère conserver sa foi en son authentique démocratie sociale et égalitaire bientôt établie sur sa terre édénique. Selon d’autres, ce serait le meilleur système mortuaire du vivant de l’homme : l’homme s’entraîne à enterrer régulièrement sa vie sociale dans l’urne funèbre électorale. En Algérie, où le peuple a été enseveli dès le lendemain de son indépendance, le système mortuaire est depuis le 22 février derrière lui ; le peuple algérien renaît enfin de ses cendres pour jeter dans l’urne funèbre le régime moribond, avec comme projet la construction d’une nouvelle Algérie vivante et vivifiante.
Selon d’autres, la démocratie ce serait le plus sincère et loyal mariage de l’existence : l’infidélité est inscrite dans le programme politique. En Algérie, l’infidélité ou plutôt la trahison a débuté avant les noces de l’indépendance. Aujourd’hui, immunisé contre l’infidélité, le peuple algérien s’apprête à contracter un authentique mariage politique avec ses représentants patriotiques loyaux. Selon d’autres, ce serait le plus bel et aveugle amour passionné témoigné à un inconnu : on offre son cœur à un politicien sans l’avoir jamais rencontré auparavant, ni le côtoyer après les épousailles électorales. En Algérie, le peuple a été dès l’indépendance marié de force à un occulte pouvoir casqué illégitime qui lui a témoigné, cinquante-sept ans durant, une aveugle haine et une passionnante répression, en guise de témoignage d’amour de la nation souillée par ailleurs par le vol répété de ses richesses et le viol récurrent de sa culture.
Selon de sources concordantes mais détonantes, en Algérie, c’est l’état-major de l’armée qui tente, selon sa volonté indiscutée, d’unir de force le peuple à son pouvoir pourtant honni, par la célébration d’élections enrobées de couleur kaki, pour mieux dérober la véritable démocratie populaire civile portée bravement, depuis le 22 février, par 42 millions de citoyens libres, résolus à organiser démocratiquement leurs libres épousailles politique, sociale, économique, culturelle avec leur nouveau pays moderne affranchi de la tutelle du régime mafieux et de tous les symboles du système.
Selon les plus fins escrocs, la démocratie des riches serait la plus ingénieuse des escroqueries : c’est la seule «transaction» où l’on vous vend une marchandise (politique) sans garantie de résultats. A l’exception de l’Algérie où l’on est tellement garanti des résultats du scrutin que le pouvoir mafieux ne recourt ni à une telle «transaction» électorale ni à une période de «transition» démocratique pour escroquer le peuple. La démocratie caporalisée algérienne se fonde sur la cooptation politique, s’érige par la corporation militaire, contre la volonté du peuple privé de sa dignité politique et sociale.
Selon la légende, la démocratie «est un mode de gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple». L’auteur de la citation devait être ivre ce jour-là, il a dû confondre les prépositions lors de la transcription. La citation exacte est : la démocratie est un mode de gouvernement sans le peuple, au-dessus du peuple et contre le peuple. Selon l’étymologie, le terme démocratie vient de la contraction des deux mots grecs démos (peuple) et krâtos (pouvoir, autorité). Apparemment, dès l’origine, les gouvernants n’ont retenu que le second terme comme principe de gouvernement, oubliant au passage le peuple. On continue à soutenir que la démocratie est un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens. Il serait plus exact de dire que la démocratie est un régime politique dans lequel l’ensemble des citoyens appartient à la souveraineté d’une classe – caste, oligarchie, monarchie, militarocratie. La démocratie serait la souveraineté citoyenne du plus grand nombre, mais exercée en vrai par l’unique divin capital tapi dans l’ombre. La démocratie apparemment s’exerce en notre nom, mais on attend toujours qu’elle nous communique son prénom, pour nous permettre enfin de réellement la fréquenter, établir ensemble un véritable lien d’amitié et de fraternité.
On nous martèle qu’on fait partie d’un peuple souverain, pourtant le souverain pouvoir ne fait pas partie du peuple. S’agirait-il d’une difformité politique ou d’une politique de la conformité ? On prétend que, grâce à la démocratie, le citoyen obtient sa libération, pourtant il attend toujours pour participer réellement aux délibérations. La démocratie, prétend-on, est l’émanation de la volonté générale, mais exercée en vrai par l’unique volonté particulière d’un seul président, volontairement adossé à un général qui, devant l’éruption menaçante du peuple, n’hésite pas, pour blinder sa démocratie caporalisée, à imposer son président garrotté, sa présidence bottée.
La démocratie serait un contrat social signé par le peuple avec le pouvoir pour gouverner la société mais dans les seuls palais du pouvoir. La démocratie est la forme politique de gouvernement la plus accomplie de tous les régimes, prétend-on, mais une politique accomplie par le seul gouvernement imposant un régime sec à toute la société. En démocratie, à chaque scrutin, on brigue notre bulletin, pour permettre à des requins de faire main basse sur notre national butin. La démocratie permet aux politiciens de briguer régulièrement le suffrage des citoyens par l’obtention de leurs voix, mais à quoi sert la démocratie si elle ne permet jamais à ces mêmes citoyens de changer le cours de leur vie ? La démocratie s’exercerait, selon ses laudateurs, en toute transparence, mais la réalité nous prouve qu’elle n’use que d’apparence, étant entendu que les véritables décideurs c’est l’opaque finance ou l’institution militaire embusquée dans les coulisses.
En démocratie, dit-on, l’élu remplit un mandat. Aussitôt élu, il s’empresse d’aller encaisser le mandat dans toutes les caisses de l’Etat pour remplir royalement sa maison, oh pardon, sa mission. En démocratie, l’élu, dit-on, doit avoir politiquement beaucoup d’exigence mais, surtout, énormément d’allégeance. En démocratie, la vie de l’élu est une sinécure affaire de missions, commissions, soumissions, compromissions, de prévarication, de bassesse, d’indélicatesse. En démocratie, l’élu, dit-on, loyalement, rend des comptes au peuple mais, surtout, peuple ses comptes royalement. Paradoxalement, dans la démocratie, on ne nous implique jamais dans la construction des projets postélectoraux. On nous fait juste voter pour des candidats qui, une fois élus, s’empressent d’enterrer leurs promesses en se fondant sur la maxime du grand philosophe démocrate Charles Pasqua : «Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.» On se gausse des peuples primitifs qui remettent leur destin entre les mains des esprits seuls aptes à les aider à gérer leur vie, les inaptes citoyens agissent-ils autrement en déléguant leur pouvoir politique à des mandataires dénués d’esprit ?
La démocratie est un tranquillisant destiné, comme chez Staline, moins hypocrite en matière de gouvernance, à enfermer la contestation dans une camisole chimique électoraliste. L’Etat a toujours ses raisons de prendre un arrêt, instaurant la démocratie, mais la démocratie bourgeoise s’arrête où commence la raison d’Etat. En Algérie, la démocratie débute par la maison d’arrêt et se clôt par l’arrêt de la raison ; pas étonnant qu’elle favorise toujours les partis religieux, ces décérébrés de la politique, et les partis dépourvus d’intellectuels, ces organisations mafieuses.
En démocratie, si on ne vote pas convenablement, on nous refait voter (comme au Danemark à propos de Maastricht) ou on annule l’élection au nom de la défense de la démocratie, voire on dissout le peuple, comme le régime illégitime actuel algérien veut dissoudre le peuple dans une élection présidentielle imposée par la force armée.
«Le capitalisme, c’est la loi du plus salaud», que peuvent donc la démocratie et le suffrage universel contre lui ? Si voter pouvait changer quelque chose, ce serait interdit. La démocratie marchande a tellement perdu sa crédibilité que la bourgeoisie est prête à s’endetter pour payer les électeurs afin d’acheter leurs suffrages pour perpétuer la mystification électoraliste. Même l’armée, réputée pour sa séculaire idolâtrie de la dictature, s’est convertie à la religion de la démocratie, depuis qu’elle a découvert le pouvoir de subjugation des mascarades électorales, renommées pour leur inefficience politique, leur impuissance économique, leur force de dévoiement de la conscience de classe, leur pouvoir d’inhibition des revendications sociales, leurs vertus en matière d’érosion de la combativité, leur efficacité au plan de la neutralisation du peuple en révolte.
La bourgeoisie préfère la lutte électorale à la lutte des classes. Avec la démocratie, l’exercice électoral se limite à donner dans l’anonymat sa voix. Quand, enfin, déciderons-nous à reprendre de la voix et prendre nous-mêmes la parole afin d’exercer publiquement notre pouvoir décisionnel politique pour imposer notre voie au sein de nos propres instances et institutions politiques novatrices bâties par nos luttes ?
La démocratie bourgeoise est affligée d’une stérilité congénitale. Même les choix électoraux les plus audacieux (Podemos, Syriza) se révèlent impuissants à engendrer la moindre réforme avantageuse pour les électeurs pourtant révolutionnairement courtisés par un programme supposément subversif mais, en vérité, corseté par le capital ou garrotté par l’armée. Jamais une transformation sociale n’a jailli des urnes «démocratiques». Les urnes démocratiques sont les réceptacles mortuaires des vivantes luttes sociales. Les luttes sociales s’enterrent quand les urnes électorales lui servent de programme politique, programme qui a le goût macabre des cendres politiques révolutionnaires immolées.
«Les enfants croient au Père Noël, les adultes votent» (Pierre Desproges).
M. K.
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