Le dernier discours de Gaïd-Salah est un aveu d’échec
Par Youcef Benzatat – Dans son discours du 5 septembre, Gaïd-Salah affirme être investi de la mission de mettre fin à la «îssaba», en combattant sans relâche les forces qui ont pillé et saccagé le pays sous la présidence de Bouteflika jusqu’à leur éradication définitive.
Le comble de l’ironie est que la Révolution que mène le peuple depuis six mois déjà se considère investie de la même mission, celle de combattre le système qui a rendu possible ce saccage et ce pillage du pays et que Gaïd-Salah lui-même est considéré comme faisant partie intégrante de ce même système et qu’il est considéré de surcroît comme étant l’un de ses principaux piliers protecteurs ! Notamment par le fait d’avoir soutenu tous les mandats de Bouteflika, y compris le projet du cinquième. En ayant cautionné avec complicité la fraude électorale massive, le viol systématique de la Constitution, la neutralisation de la justice et la politique d’opposition, ainsi que le véto sur l’application de l’article 102 jusqu’à la veille de l’éclatement de la vérité au grand jour par le déferlement de millions d’Algériens et d’algériennes dans les rues et les places des villes et villages du pays, scandant à l’unissant «klitou lebled ya serakine !» (vous avez pillé le pays bande de voleurs !)
Se sachant pris à leur propre piège avec l’éclatement de la Révolution, Gaïd-Salah et la vrai «îssaba», celle qui prend en otage le peuple depuis l’Indépendance sous une dictature à peine voilée, ils ont tenté tous les stratagèmes pour tenter de duper le peuple en arguant de leur «bonne foi», par la ruse du soutien et de l’accompagnement de la Révolution du 22 février. Notamment par l’application dans la précipitation de l’article 102, qui sera suivi par la réorientation de la justice vers une chasse aux sorcières sélective de lampistes et de clients des clans adverses au clan dominant de l’état-major, pour finir par vouloir imposer dans l’urgence un président à leur solde, sous prétexte que l’exigence du peuple pour une transition vers une Etat civil exposerait la souveraineté du pays aux convoitises extérieures. En vain !
Si, dans un premier temps, les manifestants du vendredi et du mardi scandaient avec enchantement «djeïch chaâb khawa khawa» (peuple et armée, nous sommes frères), il n’a pas fallu beaucoup de temps pour se rendre à l’évidence, au fur et à mesure que la répression se mettait à endosser la forme de la contre-révolution, que ce n’était qu’une chimère assez familière et qui a toujours su jouer un mauvais tour au peuple dans un rôle d’inhibitrice de tout sentiment de révolte contre le système de pouvoir depuis l’Indépendance. Cependant, la Révolution avait gagné en maturité face à cette dure épreuve d’affront du système pour transformer ce slogan en exigence d’une «dawla madania machi âskaria» (un Etat civil et non militaire). Désormais, dorénavant et depuis le durcissement de la répression par l’emprisonnement arbitraire de militants antisystème, tout slogan scandé pendant les manifestations tend à converger vers cette exigence d’Etat civil et la fin de la dictature de l’état-major de l’armée nationale.
Dans ces conditions, les temps sont devenus de plus en plus durs pour l’état-major également, qui voit toutes ses ruses s’effondrer l’une après l’autre comme des épouvantails exhibés face à des vents violents que déclencheraient le souffle irréversible de la Révolution d’un peuple mis au pied du mur et qui n’a d’autre choix que de se relever par la résistance et dans la dignité.
Le discours du 5 septembre signe la fin des tergiversations de l’état-major qui avoue avoir échoué dans ses tentatives rusées d’étouffer la voix des millions d’Algériens et d’Algériennes qui se sont redressés définitivement de l’avilissement dans lequel ils étaient soumis depuis un demi-siècle, en déclarant qu’il ne céderait pas le pouvoir «tant que [sa] mission n’aura pas atteint tous ses objectifs». Sous-entendant que la résistance du peuple à refuser la feuille de route de l’état-major ne le fera pas plier et qu’il entend garder le pouvoir sous le commandement de l’armée nationale. Il ne s’agit pas moins que d’une proclamation de l’instauration de la dictature militaire de fait qui peut se traduire par une véritable proclamation de l’état d’exception.
Dans sa fuite en avant, l’état-major doit faire face à la résilience du peuple dans sa détermination à vouloir récupérer sa souveraineté politique et son armée, en plus de faire face aux cadres animés d’un authentique patriotisme au sein de l’institution militaire elle-même, qui finiront par avoir raison de son obstination tôt ou tard, pacifiquement et sans porter préjudice à l’unité de l’institution militaire. De son côté, le peuple est condamné à faire triompher sa Révolution, car il lui sera tout simplement impossible de survivre à une régression après six mois de libération politique exercée en puissance dans l’espace public.
De toute évidence, ce qui retarde le dénouement révolutionnaire vers le triomphe de l’Etat civil sur la dictature est sans aucun doute l’avènement d’un Etat de droit, synonyme de justice indépendante et d’instruction systématique de tous les crimes commis contre le peuple et son pays, contre le pillage de ses richesses, le sabotage de son développement, la confiscation de sa souveraineté politique, de son éducation. Dans ce cas, l’après-Révolution s’annonce comme un grand chantier, aussi bien de construction nationale, de l’Etat, des institutions, de la modernisation de l’armée nationale, de l’école, de la santé, de l’économie, etc., que de solder les passifs judiciaires, nécessaires pour assainir les représentations de la conscience collective envers la moralisation de la vie politique et du vivre-ensemble.
Autrement, il est inévitable que Gaïd Salah, Bouteflika et tous ceux et celles qui se sont rendu complices de la consolidation et de la perpétuation de ce système de pouvoir criminel et liberticide soient jugés selon la loi de la nouvelle République naissante.
La question qui se pose dans ces conditions serait plutôt : quel compromis les représentants légitimes du peuple et l’état-major doivent conclure pour aboutir à un dénouement en faveur de l’intérêt suprême de la nation et de son destin ? Question corollaire : est-il possible de fonder une nouvelle République sur un déni de justice ? Seul le peuple souverain décidera !
Y. B.
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