On ne badine pas avec l’amour du peuple pour son pays
Par Mesloub Khider – «Un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups» (Agatha Christie).
Un pays sans histoire, hors histoire, finit toujours par se raconter des histoires, histoire d’égayer la galerie et d’apaiser la galère. Le régime algérien a toujours exploité le récit national pour compenser le déficit existentiel. Abusé de la mémoire de la Révolution pour nous faire vivre dans le mouroir de la réaction. Convoqué nos glorieux martyrs pour nous faire oublier nos martyres conditions sociales. Usé du Livre Saint pour nous acculer à la prosternation, moyen idéologique de nous détourner de la protestation.
Mais le peuple n’est plus dupe. Il ne veut plus être réduit en spectateur de sa vie dans cette Algérie en mutation, ni devoir subir les mutilations sociales dans la passivité, sans manifester son mécontentement.
Ces dernières années, le peuple a gagné en maturité. Il a muté. Il a culbuté sa crédulité. Il a buté sa peur. Il s’est mis à scruter sa mémoire. A ausculter sa conscience politique. Surtout, il a appris à lutter. Quoique de manière désordonnée et inorganisée. Le poids du passé pèse encore lourdement sur son mode d’action. Particulièrement dans un pays comme l’Algérie longtemps soumis à la dictature, à la manipulation des consciences, à la falsification de son histoire.
De toute évidence, un pays prisonnier d’un passé falsifié n’offre qu’une vision restrictive, relative, rétive de son histoire. Pour les élites bourgeoises, il est plus aisé de se raconter des contes de fées que de régler leurs comptes aux faits. Au contraire, pour le peuple, immunisé contre les contes, le temps est au règlement des faits politiques.
Ces élites bourgeoises, amateurs de contes, ne manquent jamais une occasion pour vanter les mérites de leur Algérie «magnificente», celle qui a magnifié leur situation rentière, assuré leur richesse, pérennisé leur bourse, boursouflé leur arrogance, gouverné leur impudence.
Ces élites s’échinent, pour rehausser l’image fantasmagorique de l’Algérie, à regarder l’histoire par le petit bout de la lorgnette, pour mieux nous endormir avec leurs sornettes. Ou au travers du miroir déformant de l’historiographie étatique, pour nous administrer la preuve de la grandeur de cette Algérie erratique. Cela illustre l’incapacité de ces élites bourgeoises à se hisser sur les cimes de la connaissance étendue pour projeter une vision détendue sur son présent comme sur son passé.
Cette manière d’observer l’histoire par le trou de la serrure traduit l’absence de hauteur de vue d’un régime monolithique qui, faute d’être entré dans l’histoire par la grande porte, y a pénétré par la fenêtre. Par effraction. En infraction politique. En fracassant le peuple. En frictionnant la bourgeoisie. En fricotant avec les puissances financières internationales. En fractionnant la rente pétrolière. En la fructifiant longtemps à son seul profit. En facturant aujourd’hui la crise au seul peuple. En fracturant la dignité des Algériens. En fluidifiant la matraque répressive. En fanfaronnant lors de chaque élection remportée haut la main (et le fusil dans le dos du peuple) par la même inamovible classe politique mafieuse. Aujourd’hui, depuis que les élections sont libres, les Algériens ne croient plus aux pouvoirs magiques des urnes, ces récipients mortuaires censés redonner vie aux cendres des illusions démocratiques enterrées à force d’espérances politiques trahies, ensevelies par la faute aujourd’hui démocratiquement imposée de la mal-vie, inhumées pour cause de décès de la classe politique algérienne morte par overdose de corruption et/ou de surdose d’opium islamiste injecté dans son programme.
On ne badine pas avec l’amour du peuple pour son pays. Le peuple a horreur de l’infidélité de ses dirigeants, de leurs trahisons, de leurs forfaitures. La rupture est vite consommée. Suivie d’un divorce définitif. Les alliances remisées aux musées des camelotes politiques.
Depuis l’indépendance, nos dirigeants sont passés du brigandage politique à la politique du brigandage. Du vol de la politique à la politique du vol. De la corruption de la politique à la politique de la corruption. Ils sont entrés en politique par effraction et n’ont appris que la politique de l’infraction. Ils ont conquis le pouvoir par la force et à force le pouvoir les a conquis. Ils sont parvenus au pouvoir par lâcheté, le pouvoir a fini par les acheter. Ils ont grimpé pauvrement au pouvoir grâce aux blindés, ils se sont blindés richement par la grâce du pouvoir.
Actuellement, le pays est en proie aux convulsions. Pour affronter les indispensables évolutions, le régime se livre à de déchirantes contorsions politiques pour assurer une transition pacifique de l’Algérie vers la modernisation du pays. Mais en vain.
Mais pour le peuple, en cette ère de crise protéiforme, le temps est plutôt au bilan. Pour le peuple, l’heure est à la clarification de l’histoire nationale de l’Algérie, à l’éclaircissement de son modèle de développement économique, à la purification de la politique algérienne, à l’assainissement de notre société putréfiée, à la régénération des espérances estropiées, à la reviviscence du bonheur atrophié, à la purgation de l’islamisme, au réenchantement de la vie. A la mobilisation populaire.
Il est vrai que, en cette période de crise et de doute, il est malaisé d’impulser un mouvement de lutte collective moderne sur un programme radicalement progressiste. En effet, l’Algérie, encore engluée dans des traditions archaïques, amorce avec difficulté son virage vers la modernité. L’Algérie est à la croisée des chemins : l’un tourné vers l’Orient, l’autre orienté vers l’Occident. Suspendue entre deux temps antagonistes, le passé et le présent. Tiraillée entre deux civilisations inconciliables : la traditionnelle et la moderne. Ballottée entre deux valeurs culturelles divergentes : islamique et laïque.
Aujourd’hui, acculée par les vents de l’histoire, l’Algérie tente d’amorcer sa modernisation. D’où ces tiraillements et tensions au sommet de l’Etat. Le pays est saisi de convulsives agitations sociales. De nervosités politiques névrotiques. De névroses sociétales frénétiques. De coliques religieuses néphrétiques. D’angoisses existentielles diurétiques. Les cauchemars des lendemains modernes désenchantant la vie traditionnelle tourmentent la flegmatique vie hiératique du pays. Le pays entre dans la modernité à reculons. Il s’y attelle avec réticence. Souvent dans la confusion. L’effervescence. L’incohérence. L’affolement. Dans la conflagration. Le désordre. L’anarchie.
Il revient au peuple algérien, animé d’un amour authentique de son pays et d’un esprit moderne d’égalité sociale, contrairement à l’obsolète classe dirigeante accrochée jalousement à ses privilèges et donc ennemie de tout changement social, d’assurer cette transition vers la modernité, la modernisation des structures sociales, la modération des passions politiques, l’éradication de la corruption, l’abdication des pouvoirs mafieux établis.
«La populace ne peut faire que des émeutes. Pour faire une révolution, il faut le peuple» (Victor Hugo).
M. K.
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