Islamophobie : une arme de dissuasion de la critique du dogme islamiste
Par Mesloub Khider – Récemment, au cours des universités d’été(1) de la France Insoumise, parti politique dirigé par Jean-Luc Mélenchon, le philosophe Henri Pena-Ruiz a fait l’objet d’une condamnation sans appel pour ses déclarations tenues lors de son intervention sur le thème de la laïcité. Pour quel motif le philosophe a été condamné ? Il aurait affirmé, selon certains thuriféraires de l’islamo-gauchisme spécialistes de la manipulation : «On a le droit d’être islamophobe». Cette phrase a suscité un déluge de réactions courroucées sur les réseaux sociaux et une tempête de protestation au sein de la France Insoumise.
En réalité, une phrase totalement sortie de son contexte qu’il convient donc de réintégrer dans le reste de sa longue phrase pour restituer le sens exact de son propos délibérément déformé pour l’incriminer injustement : «Le racisme, c’est la mise en cause d’un peuple ou d’un homme ou d’une femme comme tel. Le racisme antimusulman est un délit, la critique de l’islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un, on a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être cathophobe». Pour quiconque connaît les travaux philosophiques d’Henri Pena-Ruiz, il serait malhonnête de porter des accusations diffamatoires contre lui. A titre personnel, je ne partage absolument pas les idées politiques d’Henri Pena-Ruiz. Cependant, au plan intellectuel, j’adhère à ses travaux philosophiques.
Dans son intervention, en vérité, il a affirmé qu’il est condamnable de discriminer ou d’outrager des croyants en raison de leur religion, mais il est légitime de débattre et de critiquer les dogmes religieux. Mais certains adeptes radicaux du dogme musulman ont décrété que la religion islamique ne souffre aucune critique, n’admet aucun débat philosophique, ne tolère aucune controverse théologique. Pour discréditer Henri Pena-Ruiz, on a extrait une phrase hors de son contexte pour lui imprimer une connotation xénophobe. Au lieu de rebondir positivement sur l’invitation du philosophe à ouvrir un débat critique sur l’islam – et sur la religion en général –, les tenants de la doxa islamiste ont brandi leur arme favorite, l’islamophobie, pour déshonorer moralement Henri Pena-Ruiz, accusé odieusement de racisme. Dès lors, l’orientation du débat sur l’islam a été déviée, éludée, obstruée, au nom du panneau d’interdiction (islamophobie) érigé par l’islamomosphère, cette police de la pensée archaïque totalitaire, survivance anachronique d’un monde féodal oriental maintenu en vie grâce aux pétrodollars.
Pour la clarification du débat ou de l’analyse, il importe d’emblée, par souci de rigueur intellectuelle, de procéder à une définition rigoureuse des termes islamophobie et antimusulman. Tout le monde s’accorde sur la fabrication idéologique récente du néologisme «islamophobie». Ce terme est formé du radical islam et du suffixe phobie. Si le premier mot appartient à l’usage courant du vocabulaire, compréhensible par tout le monde, le second vocable, en revanche, relève de la terminologie psychiatrique. Il définit la peur irrationnelle de quelque chose, la crainte irrationnelle relevant de la psychopathologie. Autrement dit, islamophobie signifie la peur irrationnelle de l’islam. L’auteur du rejet de l’islam serait ainsi victime d’une pathologie psychiatrique. Il n’est donc pas responsable de son acte. Juridiquement, il pourrait bénéficier de l’irresponsabilité pénale car il était, au moment de la commission de son islamophobie, atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ou sa perception de l’islam. Ainsi, même le choix spécieux du terme islamophobie est inapproprié. Pour notre part, haine-de-l’islam serait plus adéquat pour désigner une personne exprimant un rejet viscéral du culte musulman. Cette locution implique une dimension active et rationnelle de l’expression du rejet de l’islam et n’exonère aucunement son auteur de sa responsabilité. Les idéologues islamistes s’embourbent eux-mêmes dans leur néologisme à connotation psychiatrique. La folie religieuse engendre une sémantique folle.
A l’évidence, associer deux termes aussi radicalement dissemblables est une opération tendancieuse. Dès sa création et sa propagation, le mot islamophobie (à l’évocation terrifiante) visait à jeter le trouble (au sens pathologique) dans l’appréhension de la question de l’islam. Subrepticement, ce terme a été introduit comme une arme contre toute critique de l’islam. Ce n’est pas un hasard qu’il se soit exclusivement imposé et répandu en Europe et dans les autres pays occidentaux, dans lesquels la notion du blasphème est absente.
Depuis longtemps tombé en désuétude, le blasphème ne fait, en effet, pas partie du paysage intellectuel de la France, et de manière générale des pays occidentaux. Ainsi, ces pays n’interdisent pas la critique libre de la religion. Le blasphème n’est donc pas criminalisé, contrairement aux pays musulmans.
De façon concertée, afin de contourner l’absence de législation sur le blasphème, dans le dessein d’instaurer l’interdiction de toute critique de l’islam, d’aucuns ont pondu un clone du blasphème édicté comme une fatwa : l’islamophobie. Pour l’imposer dans les consciences et lui donner une certaine légitimité, le terme islamophobie est assimilé, pour ne pas dire rendu synonyme, au vocable antimusulman. Et le tour de prestidigitation idéologique a bien réussi.
De fait, alors que la critique de l’islam ressortit du débat d’idées, de la liberté de mener des controverses philosophiques sur la religion, elle est maintenant considérée comme une atteinte aux musulmans, voire comme un attentat contre les musulmans. Comme si le fait de critiquer l’islam revenait à s’attaquer aux musulmans (en chair et en os).
En effet, associer la critique de l’islam à une attaque contre les musulmans est très insidieux, pernicieux. Car, si la critique des musulmans relève du racisme, légitimement condamnable et répréhensible, du reste, c’est un délit (elle est passible de condamnation judiciaire), la critique de l’islam, elle, ne vise qu’à débattre librement des dogmes de la religion musulmane.
En Occident, la liberté de conscience comme le droit de critique de la religion sont communément admis. En particulier lorsqu’il s’agit de pays laïcs comme la France connue pour ses controverses anticléricales, en l’espèce, la liberté de critique prime sur toute autre considération, qui plus est religieuse. Pour insister sur le cas de la France, il ne faut pas oublier qu’elle fut le premier pays à mener une guerre impitoyable contre l’Eglise, notamment pendant la Révolution de 1789. Sans omettre les diatribes corrosives anticléricales initiées par les grands philosophes des Lumières durant tout le XVIIIe siècle. La France est ainsi un pays où la critique contre la religion est ancestrale. Où le débat-réquisitoire sur les religions est ancré dans l’univers philosophique et politique.
Au vrai, la question philosophique et politique qui se pose à notre époque moderne sécularisée est la suivante : est-il légitime de critiquer librement l’islam ? Est-il légitime ou irrationnel, à notre époque marquée par l’islamisme, d’identifier comme radicalement dangereux certains courants de l’islam, notamment le salafisme engagé dans une croisade verte totalitaire contre toute l’humanité, au nom de son dogme musulman doctrinaire, sa doctrine littéraliste théocratique ? Doit-on les combattre ou respecter leurs pratiques extrémistes pour ne pas être accusés d’islamophobie ? N’est-ce pas au nom de l’islamophobie qu’on veut réduire au silence toute critique du dogme ? Paradoxalement, ce sont les musulmans intégristes qui invoquent l’islamophobie pour circonscrire tout débat sur les questions relatives au dogme, particulièrement ses aspects rétrogrades défendus avec obstination par les islamistes. L’arme massive dissuasive islamophobie a été inventée par les islamistes pour verrouiller tout débat contradictoire, libre et démocratique sur l’islam.
A l’évidence, aujourd’hui, pour prouver leur sincérité dans leur souhait d’impulser un débat en vue de moderniser l’islam, les musulmans devraient accepter de dissocier les deux vocables «islamophobie» et «antimusulman». S’il faut absolument conserver le second terme pour lutter contre le racisme antimusulman (en vrai anti-arabe), notamment auprès des juridictions afin de condamner les coupables, il faudrait, a contrario, fondamentalement bannir l’usage du premier vocable forgé politiquement pour museler tout débat critique.
A cet effet, pour commencer, les musulmans ne devraient plus brandir ce glaive (islamophobie) pour trancher (proscrire) toute critique sous couvert d’atteinte à la croyance musulmane.
De manière générale, à l’évidence, à dessein, on confond délibérément deux registres : «race» et religion. Deux entités qu’il faut absolument différencier. En effet, la nationalité n’est pas réductible à la religion. La nationalité est une entité juridique reconnue internationalement. Pour prendre l’exemple de l’Algérie, on naît algérien(enne) car nous sommes procréés par des parents algériens. Rien ne peut réfuter cette donnée. Nous portons notre identité algérienne de la naissance à la mort. Même si on change de pays, de nationalité, on demeurera toujours le fruit de géniteurs algériens.
En revanche, la religion, elle, relève d’un choix individuel, de la seule conscience de la personne. La religion n’est pas imprimée dans les gènes de la personne dite croyante. C’est le résultat de la transmission éducative, pour ne pas dire de l’endoctrinement. On ne naît pas musulman, on le devient. En outre, «musulman» ne constitue pas une caractéristique héréditaire immuable. A plus forte raison, les musulmans ne sont absolument pas un peuple. Un Algérien peut, au cours de sa vie, se convertir à une autre religion, à de multiples successifs dogmes, perdre la foi. En dépit de ses multiples conversions religieuses, il demeure algérien.
Une fois admis ce postulat, la distinction entre «race» (ou nationalité) et religion deviendra aisément acceptable pour l’Algérien. Et par extension, l’admission de la possibilité d’être algérien et adepte d’une religion autre que l’islam, algérien et libre penseur ou athée, algérien chrétien ou bouddhiste. Algérien n’est pas synonyme de musulman, tout comme musulman n’est pas synonyme d’Algérien.
Par ailleurs, afin de pouvoir débattre librement, les musulmans devraient d’abord désacraliser la religion musulmane. Sans ce préalable de désacralisation, indispensable à l’ouverture d’esprit pour un dialogue dépourvu de toute emprise irrationnelle, de toute passion irraisonnable, de toute appréhension hérétique, de toute terreur profanatrice, de tout sentiment blasphématoire, les proclamations d’intention des musulmans désireux d’amorcer des réformes demeureront lettre morte. Une fois seulement cette condition acceptée et accomplie, ils pourront plus aisément engager des débats controversés sur l’islam sans se sentir personnellement offensés ni éprouver quelque culpabilité religieuse, sans éprouver le sentiment de commettre un sacrilège.
Car, rationnellement, dans une discussion critique sur l’islam, ce qui est sacré, c’est le locuteur et l’interlocuteur et non l’islam, doctrine religieuse, objet de discussion. La critique libre de la religion est plus sacrée que l’interdiction de la critique religieuse consacrée.
M. K.
1) Université d’été est le nom généralement donné, en France, à un rassemblement de militants de responsables d’un mouvement politique sur quelques jours à la fin des vacances d’été. Y sont souvent conviés des universitaires, des intellectuels, des acteurs de la société civile pour des sessions de conférences, de débats et de formation.
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