Trois scénarios qui régleront ou aggraveront la crise politique actuelle
Par Ahmed Khadri – Le jeu politique se précise-t-il en Algérie à mesure que le pouvoir en place met en application un plan unilatéral de sortie de crise aux conséquences incalculables ? Depuis l’établissement d’une date officielle, le 12 décembre 2019, pour l’élection présidentielle, le peuple algérien se voit de nouveau confronté à un défi majeur, aller aux élections ou non, mais une fois de plus comme du temps du FIS, le couteau sous la gorge. Imposée par la présidence intérimaire de Bensalah, et très loin de satisfaire les exigences du Hirak, dans un contexte délétère de fermeture du champ politique des revendications, cette élection sonne déjà comme un dilemme fatidique entre les partisans d’un renouvellement du système et ceux de son éradication en bonne et due forme.
En d’autres termes, ceux qui iront voter seront vite perçus comme des résidus du système Bouteflika, par Gaïd-Salah interposé, alors que les réfractaires seront assimilés par le régime en place comme des «traîtres». Il faut craindre, en effet, une division profonde dans la société algérienne entre partisans de la reconduction et réformateurs. Sauf qu’une telle division risque tout bonnement de ne pas avoir lieu, étant donné l’ampleur incontestable de la révolte du peuple. Au-delà de cette lecture pessimiste et forcée des événements à venir, nous pouvons toutefois dégager trois scénarios principaux dans lesquels se couleront les faits politiques en suspens.
Gaïd-Salah se trouve un président-fantoche
Ce serait le scénario du pire pour le Hirak : la normalisation forcée par le biais d’une élection organisée coûte que coûte et ne laissant aucun doute sur les intentions du système. En jouant la carte du temps et très certainement d’un contexte international favorable, les grandes puissances étant déjà échaudées par la crise iranienne, le système en place déciderait un passage en force avec un candidat encore lié au système Bouteflika, de façon à conserver les anciens équilibres. Comment donc le Hirak se normaliserait-il ? Le pouvoir tablant sur la non-représentation effective d’un candidat du Mouvement populaire, ce fait laisserait la voie libre à l’intronisation d’un candidat en phase directe avec le commandement de l’armée, en premier lieu Gaïd-Salah.
Ce scénario est actuellement en train d’être mis en place par cette équipe qui, en éliminant toutes les têtes pensantes du Hirak (Tabbou, Belamri, etc., et certainement d’autres à venir), vise à obtenir un vide total sans concurrent sérieux de sorte à baliser le chemin du futur président soumis à Gaïd-Salah. Cependant, pour qu’un tel scénario puisse réussir, il faudrait qu’en même temps le Hirak n’élève pas le ton et en vienne à de meilleurs sentiments. Le risque d’une radicalisation de la base sociale, notamment d’un embrasement de la Kabylie où la contestation est la plus frontale, peut s’étendre à tout le pays par la suite.
Inutile de dire que l’arrestation à répétition de grands leaders issus de cette région du pays peut même toucher les rangs de l’armée, d’autant plus que cette fois-ci, cette région d’Algérie connaît un regain de sympathie qui s’étend à tout le territoire national. L’échec de la «kabylisation» forcée du mouvement du Hirak par les spins docteurs de Gaïd-Salah, tout comme celui de la décapitation des grandes figures de ce mouvement, peuvent conduire le pouvoir à revoir sa copie en faisant des concessions notoires pour un partage et une sortie du pouvoir. C’est le deuxième scénario.
Un duel «programmé»
Il s’agirait ici de ne pas compromettre la stabilité de l’Algérie en donnant une chance alternative entre le «yetnehaw gaâ» (tous les symboles du système doivent dégager) et l’interposition d’un candidat tampon, Ali Benflis, qui ferait figure de compromis en vue d’une négociation pour une sortie effective du pouvoir des derniers éléments du bouteflikisme. Ali Benflis, par son ancienne opposition au candidat Bouteflika, donnerait certains gages de démocratie aux yeux du peuple. Même s’il passe pour un candidat du système, il peut faire jouer la carte de sa compromission acceptable avec l’ancien régime, voire sa non-compromission absolue dans la grande vague de corruption qui a touché le pays soumis aux oligarques. Il passerait pour un candidat de la résolution de la crise actuelle, premier pas vers la dissolution du système de gouvernance hérité de Bouteflika. Néanmoins, ceci ne peut se vérifier sans de drastiques conditions, dont l’essentielle étant la mise en retraite définitive et programmée en accord avec l’intéressé du chef d’état-major et de ses équipiers.
Une telle négociation est-elle possible et peut-elle transparaître dans les discours pré-électoraux ? Les derniers événements de la scène politique faits de répression anti-démocratique ont démontré qu’il y aura obligatoirement un candidat du «système» aux présidentielles. C’est peut-être face à cette exigence de fait qu’une figure de proue de l’opposition doit se positionner alors que les animateurs du Mouvement de contestation populaire auraient voulu tout régler par eux-mêmes, c’est-à-dire entre candidats et opposants à l’intérieur même du Hirak. Le candidat de l’opposition se présenterait-il face à un Ali Benflis donnant à penser que le futur président de la République aurait le droit d’exercer toutes ses prérogatives constitutionnelles à l’égard du commandement de l’armée ? Sinon, faut-il envisager un troisième scénario ?
Le commandement se dissout et donne voix au Hirak
Même s’il est possible de penser que Gaïd-Salah tient bien ses troupes, il est très peu probable que la rhétorique adoptée par ses conseillers fasse l’unanimité dans les rangs de l’ANP. Déjà, sur la scène internationale, on commence à véritablement percevoir la crise algérienne, comme celle d’un seul homme, in persona, vers qui tous les regards sont braqués, Ahmed Gaïd-Salah. En faisant feu de tout bois, l’état-major commet d’innombrables erreurs, comme par exemple l’accusation généralisée à tout propos d’atteinte au moral de l’armée, rendant vide de sens cette notion de justice militaire.
Pire, l’état-major a accusé tout le Hirak réfractaire à des élections de connivence et de complicité avec le clan rival de Bouteflika, en retournant contre ses accusateurs du peuple, les crimes économiques pourtant issus du commandement militaire. Dans ces conditions presque ubuesques, il deviendra impossible de maintenir le lien de commandement avec tous les officiers supérieurs de l’ANP conscients de la supercherie. Il suffirait donc qu’une dissidence intelligente et raisonnable donne voix et raison au Hirak pour entamer un processus de refondation des institutions de l’Etat dans le sens d’une transition démocratique.
L’écrasante majorité de la composante de l’institution, armée du peuple, verrait un tel acte comme salutaire : l’unité de l’ANP serait préservée et cette force organiserait elle-même son retrait progressif de la sphère politique. On ne peut pas, en effet, penser l’ordre et la sécurité de l’Algérie sans cette unité fondamentale de l’ANP qui aujourd’hui est mise à mal par un pouvoir autiste et jusqu’au-boutiste, jusqu’à ce que des rangs de l’armée émergent enfin les sauveteurs de la nation.
A. K.
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