Pourquoi le mot «démocratie» ne figure pas dans le lexique de Gaïd-Salah
Par Khelifati S. – En lisant les derniers discours de Gaïd-Salah dans lesquels il parle, surtout, de la prochaine élection présidentielle pour laquelle toutes les conditions nécessaires, selon lui, sont réunies, il m’est venu soudain à l’esprit qu’il n’a jamais, ou presque, utilisé le mot démocratie. Les élections ne sont là que pour résoudre la crise des institutions, à savoir combler le vide constitutionnel en élisant un président qui sera légitime. A aucun moment, je crois, il n’a fait le lien entre élections et démocratie. Pourtant, nombreux sont ceux parmi ses «soutiens» qui, devant les caméras, veulent nous faire croire que la démocratie ce sont les élections, et inversement.
Cette identification, voulue ou non, sème la confusion chez beaucoup d’Algériens. Avant de dire quelques mots sur la démocratie et les élections, je me suis demandé pourquoi alors Gaïd-Salah n’utilise pas le terme démocratie dans ses discours. Il y a, selon moi, deux réponses possibles. La première est que ce terme nécessite pour un haut responsable une connaissance approfondie de sa signification. Or, définir la démocratie est impossible en quelques mots. C’est un concept qui exige une connaissance de l’histoire, de la philosophie, de la politique, des expériences dans d’autres sociétés, etc. Pour cela, il faut étudier les démocraties grecque, romaine, anglaise, française, moderne, pour ne citer que celles-là.
Sachant que Gaïd-Salah a une formation de niveau primaire (cela n’a rien d’une insulte, car la colonisation n’a pas donné la chance aux Algériens) qui est, dit-on, de la 4e année primaire, alors, si c’est vrai, comment aurait-il pu alors comprendre le lien entre démocratie et élections d’une manière profonde et intellectuelle ? La seconde raison est que ce terme est en contradiction avec ses discours politiques en tant que militaire et ce, à partir des casernes militaires. De plus, sa rhétorique consiste à donner des injonctions au pouvoir civil sous forme de propositions «innocentes».
Les dernières mesures de bloquer Alger en utilisant des méthodes plus qu’antidémocratiques en sont une preuve flagrante de déni de démocratie. Et cela prouve, selon moi, que les élections présidentielles du 12 décembre 2019 ne sont qu’une farce et permettront la régénérescence de l’ancien système sous de nouvelles formes. Car, même si le Président élu, auquel cas l’élection présidentielle se tiendrait, sera reconnu comme intègre et honnête, il ne pourra jamais changer le système au sein de ce même système. Ce n’est pas le Président qui changera le système mais c’est le système qui changera le Président. En outre, les candidats potentiels seront certainement des personnes qui ont plus ou moins «travaillé» avec l’ancien système. Ainsi, pour les Algériens, disons simples, élire un Président pour changer les choses est une illusion.
Pour ce qui est de la démocratie et des élections, il faut savoir que dans les sociétés modernes où la démocratie moderne est réelle avec, plus ou moins, des insuffisances, les élections sont venues bien plus tard après avoir assuré d’abord certaines libertés fondamentales, et cela par la lutte des différentes composantes de la sociétés : syndicats, partis, intellectuels…
Voici brièvement ce qu’on appelle les six «L» :
1- Liberté de conscience. La première liberté est celle de penser. C’est la pensée qui distingue l’être humain des animaux. Chacun est libre de croire en ce qu’il veut. Il peut être croyant, athée, agnostique, libéral, etc. Chacun a sa propre conception du monde. On appelle cela liberté de pensée ou de conscience.
2- Liberté d’expression. La deuxième liberté fondamentale est la liberté d’expression ou de parole. En effet, l’homme doit exprimer ce qu’il pense afin de faire connaître son opinion car, sinon, il ne sert à rien de penser.
3- Liberté de réunion. Pour faire entendre sa pensée et ses opinions, l’homme doit regrouper les gens en organisant des réunions ou des assemblées.
4- Liberté d’association. Lorsqu’un homme rencontre des gens qui pensent comme lui, il leurs est nécessaire de s’associer pour agir en fonction de leurs idées. La création d’associations ou de partis doit être garantie.
5- Liberté de grève. Pour pouvoir défendre leurs intérêts communs, les hommes doivent agir en utilisant des moyens comme la grève.
6- Liberté de presse. Les gens qui ont des idées ou des opinions à partager doivent informer les membres de la société. De nos jours, les moyens d’informer se sont développés d’une façon vertigineuse à travers ce qu’on appelle les mass-médias et surtout l’internet.
Ces six libertés sont la base de la démocratie moderne. Ajouter à cela l’indépendance de la justice, le droit des minorités, des femmes…
Il faut dire que les gens ont d’abord lutté pour obtenir ces libertés avant de passer aux élections. Celles-ci viennent en réalité pour trancher entre les différentes opinions. Or, pour pouvoir voter en pleine conscience, une personne doit être informée d’une façon réelle et, pour cela, il faut qu’elle discute, qu’elle approfondisse les enjeux, ce qui ne peut se faire uniquement pendant une campagne électorale. Comme l’a dit un ministre français (Charles Pasqua, si je ne m’abuse), «il n’y a que les imbéciles qui croient aux promesses qu’on leur fait lors des campagnes électorales».
Rappelons-nous des promesses de Bouteflika. Enfin, en revenant au cas de l’Algérie, aller aux élections dans les conditions actuelles, c’est-à-dire au sein même du système honni, est un leurre. Ce sera l’échec du Hirak. Imaginons que nous ayons élu un Président qui réponde aux aspirations de la majorité du peuple, qui veut changer les choses au sein de ce système mais, en réalité, il ne peut faire ce qu’il a promis car les forces de l’ancien système l’en empêcheront. Que faire ? Certains disent qu’il faut alors un nouveau Hirak. De qui se moque-t-on ? Pourquoi revenir à la case de départ après tant de mois de mobilisation populaire et de sacrifice ?
Le Hirak n’est pas une foire qu’on organise comme on veut. Lorsque la démobilisation viendra, ce sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de se soulever encore une fois. C’est un pari risqué et voué à l’échec. Par contre, si on garantit les libertés fondamentales avant les élections, on pourra les utiliser comme moyen de lutte pour défendre nos intérêts.
En conclusion, la lutte pour un Etat de droit est encore longue. Le Hirak saura faire face aux différents mensonges et menaces proférés par le pouvoir actuel en continuant à lutter pacifiquement. En ce vendredi 20 septembre, jour de la 31e marche, l’état de siège à Alger n’empêchera pas le mouvement populaire pour une Algérie de liberté et de droit.
K. S.
Enseignant
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