Le jusqu’au-boutiste Gaïd-Salah ou la dernière nuit du raïs
Par Rabah A. – Qui est Gaïd-Salah et que cherche-t-il ? Ceux qui l’ont côtoyé de près le décrivent comme quelqu’un de têtu, violent, inculte et jusqu’au-boutiste. Ils disent aussi de lui qu’il vénère ses chefs mais écrase les gens qui sont sous son autorité. Ceci explique sa servilité durant quinze ans à l’égard du clan Bouteflika et l’amour soudain et inexpliqué qu’il s’est découvert pour les Emirats arabes unis, pays d’adoption de son mentor.
D’ailleurs, ceux qui ont lu les rapports détaillés de ses fréquents déplacements à Dubaï qu’il adressait au président de la République d’alors parlent de louanges, de reconnaissance et de compliments exagérés à celui-ci, en contradiction totale avec toutes les règles de réserve et de retenue en usage dans pareilles situations, surtout quand l’écrit émane d’un militaire qui doit s’en tenir au strict nécessaire, loin de toute flagornerie ou excès.
Mais dès qu’il a senti le vent tourner, surtout que le frère du Président voulait le destituer, lui le vice-roi, il a réagi comme une bête blessée, balayant tout sur son passage, oubliant sa longue histoire d’amour avec les Bouteflika, ces «ingrats» qui avaient décidé de le faire remplacer alors qu’il les avait soutenus à bras-le-corps toutes ces années. Coupable d’un crime de lèse-majesté, le frère du Président devra payer pour son irrespect et sa trahison à son égard. Le Président déchu, quant à lui, peut remercier le Ciel de ne pas avoir été associé aux tribulations de son frère cadet.
D’anciens officiers parlent de Gaïd-Salah comme quelqu’un qui était porté sur la rapine et le détournement à grande échelle des denrées et effets vestimentaires destinés aux bidasses. Cependant, à chaque fois que son départ a été envisagé, des événements imprévus ou des interventions d’amis auprès de qui de droit lui ont permis de sauver sa tête.
Ces anciens gradés parlent aussi du prix élevé qu’ont dû payer des commandants d’unités bloqués définitivement dans leur grade, démis de leurs fonctions ou mis prématurément à la retraite pour ne pas avoir su préparer la table du chef et n’y avoir pas mis tous les mets dont il raffole. Ainsi, on rapporte l’histoire toujours d’actualité de ce chef d’une unité de rénovation de véhicules qui recevait la visite de Gaïd et qui avait poussé la bassesse jusqu’à dérouler le tapis rouge même à l’intérieur des ateliers pour éviter que les délicates chaussures de son chef ne se salissent. Ce même responsable avait fait préparer quatre méchouis et du couscous accompagné de miel pur ramené spécialement des montagnes de Kabylie. Ce gradé avait bien sûr pensé à mettre dans un sac deux kilos de ce précieux breuvage pour les remettre en fin de visite à «Si El-Gaïd». Il va sans dire que ce commandant d’unité connut une belle carrière, contrairement à celui d’une unité de transport qui ne fit, en guise de repas d’apparat servi à Gaïd, qu’améliorer le menu servi quotidiennement aux djounoud en y ajoutant une entrée et un dessert.
Ces mêmes officiers parlent aussi de Gaïd comme de quelqu’un qui n’aime pas spécialement les gens instruits dont la formation poussée ne lui inspire que méfiance, rejet et mépris, d’où le retour depuis son arrivée aux commandes aux défuntes écoles des «cadets de la Révolution» pour proscrire à terme le recours au recrutement direct de cadres provenant des universités. De ce fait, il s’est entouré depuis son intronisation de responsables qui lui sont fidèles et qui ne brillent pas spécialement par leurs diplômes mais par leur dévouement à toute épreuve. Ces collaborateurs qui, en cas de chute de leur chef, se savent irrémédiablement perdus, n’ont pas d’autre choix aujourd’hui que de soutenir jusqu’au bout celui qui en a fait des seigneurs.
S’agissant des autres éléments de l’ANP, c’est-à-dire la grande majorité de celle-ci, ils ne représentent aujourd’hui en termes de force de frappe rien du tout ou très peu puisqu’il s’agit, surtout, d’individus désunis qui se contentent de percevoir leur salaire et leurs indemnités et qui attendent pour certains leur libération et pour d’autres quelques miettes d’avantages sociaux ou de prébendes, en espérant qu’ils ne seront pas contraints un jour d’en arriver à choisir entre les ordres de leurs commandants et le petit peuple dont ils sont issus.
Le règne de Gaïd, surtout depuis le départ forcé des Bouteflika, a créé un climat délétère au sein de l’armée où personne ne fait confiance à personne et où le moindre avis discordant ou le simple commentaire «incorrect» peut être interprété à tort et rapporté aux «hnoucha» (les agents de Gaïd) omniprésents et risque de conduire à la case prison. C’est dire que cette citadelle que des années de lutte antiterroriste n’ont pas réussi à détruire enregistre depuis ces derniers mois les pires moments de son existence qui peuvent à tout moment critique entraîner sa dislocation.
En outre, même les soi-disant visites sur le terrain visant prétendument à exposer les matériels militaires nouvellement acquis et à démontrer le haut niveau de performance atteint par nos soldats ont pour seul objectif de montrer qu’en dépit de son âge avancé, Gaïd peut encore, et mieux que les jeunes officiers, s’astreindre à un rythme de vie soutenu sur lequel les années n’ont pas d’emprise. Ces déplacements ont aussi comme objectif de servir de tribune politique qui lui permet de s’adresser directement, par le biais des chaînes de télévision inféodées, à une population en proie à la peur et que la propagande officielle et les années de mensonges d’Etat de l’ère Bouteflika ont tétanisée et largement divisée. Ces visites veulent aussi transmettre l’image subliminale d’une armée entourant son chef et d’un commandement soudé et droit dans ses bottes, sans parler du sentiment recherché d’intimidation adressé aux adversaires de Gaïd à l’occasion de ces grandes messes.
Cependant, le revers de la médaille, ce sont ces milliers de soldats qui n’y croient plus et qui sont convaincus que Gaïd joue sa propre survie dans cette épreuve qu’il a engagée avec le peuple dont les revendications sont pourtant justes et légitimes. Ceux-ci observent les citoyens, jeunes et moins jeunes, qui battent le pavé régulièrement pour revendiquer des droits dont ils ont été spoliés. Ils connaissent aussi le sort des épouses et familles de leurs camarades tombés sous les balles ou par la lame des hordes terroristes et qui ont été abandonnées à leur triste sort. Ils voient aussi ceux qui partent à la retraite et qui sont chassés manu-militari et sans aucun égard pour leur âge ou leur grade des logements que certains d’entre eux ont occupé pendant de longues années avant d’être jetés dans la rue avec comme seul bagage leur maigre pension de retraite.
Aucune augmentation de salaire depuis des lustres, aucune amélioration du menu quotidien, aucun avantage social perceptible. Avec tout ce passif, on attend d’eux qu’ils suivent ce chef qui n’a pas compris les aspirations de son peuple et qui les pousse vers un affrontement suicidaire avec les leurs.
Gaïd est décrit, enfin, comme quelqu’un qui adore être flatté et qui estime, en l’absence d’avis contradictoires, être en mesure de faire toujours les meilleurs choix dans son exercice du pouvoir. Il méprise le peuple auquel il a «sacrifié» sa vie et la presque totalité de la classe politique et l’oligarchie d’avant sans que celui-ci ne lui témoigne le moindre signe de reconnaissance. Il est condamné aujourd’hui à continuer sur sa lancée pour ne pas se déjuger, quitte, pour cela, à arriver aux pires extrémismes. Quelqu’un n’a-t-il pas dit au début qu’il était têtu et jusqu’au-boutiste ?
R. A.
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