Pourquoi les institutions se soumettent au diktat de Gaïd-Salah
Par Rabah A. – La situation politique en Algérie peut sembler facile à comprendre pour un étranger, un Occidental surtout, qui dispose d’outils simples et souvent efficaces pour interpréter des événements où qu’ils se déroulent. Cette façon d’agir le satisfait et le rassure puisqu’elle lui permet de mettre à jour ses données et de se préparer en conséquence. Ainsi, dans le cas de l’Algérie, ces outils d’analyse donneront fatalement ce schéma : un général qui renverse un président pour lui succéder et qui va progressivement ou brutalement (c’est selon) mettre en place un pouvoir dictatorial avec comme conséquences immédiates, la suppression des libertés publiques et l’embastillement des opposants les plus en vue.
Cette façon de voir peut s’appliquer uniquement en partie au cas algérien car elle ne permettra jamais à l’observateur européen, américain, japonais ou autre de prendre la mesure de ce qui se passe dans notre pays et d’éviter d’avoir une vision tronquée de notre réalité. Ainsi, il est vrai qu’un général a renversé le président mais ce dernier avait cessé de régner depuis cinq ans au moins et c’est uniquement grâce à ce général que ce président avait été maintenu pendant les cinq dernières années en usant et abusant de manipulations grotesques et de mensonges d’Etat. En outre, ce général n’a agi que sous la pression de plus en plus insoutenable de la rue et surtout après que le frère du président (appelé depuis «force extra-constitutionnelle, statut qu’il avait depuis au moins sept ans) eut décidé de le dégommer. Cela s’appelle dans le jargon du nouvel ex-patron «complot contre l’armée», «complot contre l’Etat».
Jusque-là, nous pouvons considérer qu’en dépit de ses spécificités, le cas de ce général Ubu n’est pas unique en son genre. Là où les grilles de lecture différent, c’est dans la spontanéité ou la disponibilité de l’Etat tout entier, le peuple dans sa très grande majorité excepté, à se mettre au service, les pieds joints comme au garde-à-vous, de ce nouveau roi. Ainsi, toutes les institutions se reconnaissent dans cette nouvelle situation, pour ne pas dire ils l’approuvent. Quid de la Constitution ? Quid de nos cadres ? Et Quid de tous les textes de loi et réglementaires destinés en principe à servir de garde-fous et pour se prémunir de tout excès de pouvoir ? Un potentat succède à un autre, mais les hommes qui constituent les piliers de l’Etat sont toujours les mêmes.
Ainsi, comment peut-on interpréter la position des magistrats premiers garants de la légalité et de la justice vis-à-vis de ce nouveau pouvoir ? S’agit-il de complicité, de passivité ou de peur ? Il ne peut pas être question du premier cas de figure, car ces fonctionnaires sont des civils et personne, il y a quelques mois, ne pouvait s’attendre à ce cas d’espèce. La réponse est peut-être à trouver dans la conjonction des deux dernières éventualités, soit une certaine habitude de l’aplaventrisme, une lâcheté qui ne dit pas son nom et une manière de ne pas relever la tête pour éviter de voir ses propres casseroles exposées en plein jour. Il en est de même pour ces hauts fonctionnaires, (walis, chefs de daïra, etc.), ces ambassadeurs, ces inspecteurs, ces chefs de service qui se terrent tous dans leur coin, qui se font les instruments voire les porte-parole d’un pouvoir illégitime et qui attendent de connaître la direction du vent pour soutenir leur prochain chef. Aucun d’eux n’a démissionné ou n’a élevé, à ce jour, la voix, délégant cela aux millions d’insoumis qui sortent dans les rues chaque semaine.
Ces gens-là ne participent pas aux manifestations de rue ; c’est trop dangereux pour eux. Ils préfèrent les salons cossus pour discuter à voix basse et les lumières éteintes de peur d’être repérés. J’ai honte pour certains amis ou j’allais dire aujourd’hui ex-camarades qui, il y a encore quelques mois, se plaignaient de Louh qui avait assassiné la justice, de Messahel qui avait régionalisé les affaires étrangères, de Bedoui qui ne remettait en selle que ses amis et de pleins d’autres hauts responsables et qui se retrouvent à manger présentement dans la main d’un dictateur qui veut empêcher le peuple de vivre le rêve dont il a été spolié en 1962.
Tous ces cadres-là, et il y’en a parmi eux qui sont très compétents et braves, se voilent le visage pour ne pas voir que le pain qu’ils mangent est souillé. La carrière et les multiples avantages sociaux pour certains, la revanche pour d’autres, l’accomplissement tant attendu, enfin pour la majorité sont les raisons qui les empêchent de regarder vers l’horizon au lieu de se retourner constamment pour effacer les traces de leurs pas et de leur passage pour qu’ils demeurent jusqu’à la fin des temps transparents, insignifiants, incolores et inodores.
R. A.
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