Il n’y aura pas de printanisation de l’Algérie
Par Youcef Benzatat – A ce jour la «printanisation» de la Révolution du 22 Février n’a pas eu lieu. Certes, les expériences désastreuses des révolutions syrienne et libyenne, appelées communément «printemps arabe», ont joué un rôle important dans les précautions prises par les manifestants algériens devant ce risque. Mais l’expérience tragique de la décennie noire a également joué un rôle d’inhibiteur devant toute tentation de recours à la violence. Ces expériences violentes, qui ont débouché inexorablement sur des situations tragiques, avaient grandement contribué à la maturation du caractère pacifique (silmia) de la conscience collective du peuple algérien. C’est donc cette maturation de la conscience collective qui est la principale raison à avoir donné son caractère pacifique à la Révolution du 22 Février. Mais, au-delà de cette prise de conscience partagée par la majorité des manifestants, une partie non négligeable d’entre eux parmi les plus vulnérables pouvait être tentée par le recours à la violence, si ce n’était la nature violente et répressive du régime algérien qui l’en a dissuadé et poussé à la retenue devant ce choix risqué, en l’amenant à opter pour le caractère pacifique ambiant dans sa contestation de la légitimité du pouvoir et la nécessité de restituer la souveraineté politique au peuple.
Cette maturation de la conscience collective des Algériens, acquise par la réflexion sur une rétrospective historique d’événements douloureux, avait opportunément été alimentée par un travail acharné de la part de militants antisubversifs, constamment en alerte et dont l’influence avait positivement contribué à forger une conscience révolutionnaire pacifique. Notamment sur les réseaux sociaux et les médias alternatifs en ligne, depuis l’irruption du «printemps arabe» en 2011, à travers de denses débats autour de publications d’enquêtes sur les tentatives d’infiltration de la population algérienne par des éléments subversifs formés et injectés par des officines étrangères dans le but de printaniser l’Algérie. Particulièrement les religieux et les identitaires, voire quelques autres égarés sans réel ancrage idéologique, qui sont et demeurent les plus vulnérables et autant exposés à l’instrumentalisation par ces officines pour semer le désordre et son corollaire la violence et devant lesquelles il faudra maintenir une vigilance accrue et sans failles.
Au stade où se trouve aujourd’hui le processus révolutionnaire déclenché le 22 février, qui est embourbé dans une impasse sans issue en perspective du court terme, dans laquelle le pouvoir veut préserver le système de pouvoir autoritaire et totalitaire qui le caractérise par un passage en force et le peuple qui lui conteste sa légitimité et exige la restitution de sa souveraineté législatrice, pacifiquement, des parties impatientes et inconscientes, pour ne pas dire malveillantes, ne cessent d’appeler à la désobéissance civile et tentent de pousser le peuple vers cette aventure à hauts risques, qui serait lourde de conséquences sur la paix civile et sur les objectifs de la révolution en cours. Une incitation qui risque de ne laisser aucun choix aux citoyens les plus vulnérables à envisager la suite du Hirak autrement que dans la désobéissance civile.
Fort heureusement que d’autres parties soucieuses de la réussite de la Révolution en cours ont adopté une attitude contraire face à ce choix et incitent sans relâche la population à la vigilance devant l’éventualité de son égarement à vouloir s’aventurer dans cette voie sans issue qu’est la désobéissance civile. Ces parties veillent scrupuleusement sur la bonne direction à faire prendre à la Révolution en cours comme un atout précieux à travers lequel dépend le salut de l’Algérie. Notamment cette position franche et honnête de Lahouari Addi, dont les médias irresponsables et aveuglés probablement par d’autres agendas continuent à faire la sourde oreille à son avertissement, qui disait ceci en la circonstance : «Déclencher des actions de désobéissance civile pourrait rendre impopulaire le Hirak et donner aux généraux l’occasion de se poser en défenseurs de l’intérêt national et de l’ordre public. Ils n’attendent que cela.» Alors qu’il aurait suffi d’y regarder de près, pour se rendre à l’évidence que c’est tout le contenu du Hirak qui se présente déjà comme une désobéissance civile, par le refus des élections présidentielles et l’exigence du départ de tous les symboles du système de pouvoir en vigueur, militaire et totalitaire, pour une transition vers un nouveau système de pouvoir, civil et démocratique.
Ces médias sont devenus au cours des circonstances de véritables médias mainstream, possédant une capacité de nuisance démesurée à pouvoir influencer un grand nombre de citoyens, en reflétant et façonnant les courants de pensée dominants. La question que l’on peut se poser dans ce cas serait : pour qui roulent-ils, pour quel courant de pensée et dans quel objectif ?
Je fais régulièrement, moi-même, les frais de leurs manipulations, dans lesquelles j’apprenais que je serais un serviteur du système et un opposant au Hirak, dans une posture de manipulateur, qui attribuait le réveil révolutionnaire de notre peuple à «la main de l’étranger, qui planifierait une printanisation de l’Algérie, sur la base de faux arguments et un détournement malhonnête de mes propos, en pervertissant leur sens. L’un de mes articles le plus manipulé fut «Un plan de destruction de l’Algérie est entré en action à partir du Maroc». Publié le 13 mars 2019 sur le site en ligne Algeriepatriotique, censuré aujourd’hui en Algérie.
Il s’agissait en fait, dans cet article, d’une information qui circulait à cette époque et qui présentait un caractère très dangereux pour notre pays, véhiculé par un spécialiste iranien des complots qui se trament contre tous ceux qui résistent aux puissances hégémoniques dans le monde. Je voulais alerter l’opinion nationale sur d’éventuels intrus dans le Hirak parmi les manifestants pour les inciter à la violence à des fins de provoquer le chaos et dévier la Révolution de son principal objectif : le changement radical du système de pouvoir pacifiquement et sans risque d’atteinte à la souveraineté nationale. Au-delà de la répercussion de cette information à l’opinion nationale, mon objectif était de contribuer à la mise en garde contre toute manipulation venant de l’étranger et susceptible de nuire à la marche du processus révolutionnaire.
Je disais en substance : «Même si la cohésion du peuple algérien est aujourd’hui assez importante, elle reste néanmoins suffisamment fragile et vulnérable devant toute tentative en vue de son implosion. Les clivages au sein du peuple sont une réalité anthropologique assez profonde pour les prendre à la légère. Les militants actifs, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur le terrain, doivent redoubler de vigilance et s’investir dans une sensibilisation permanente de la population pour éviter toute tentative de déviation du mouvement populaire en cours. Le processus de transition démocratique risque de durer plus longtemps que le souhaiterai le peuple et il faut s’armer de patience et de persévérance et surtout de vigilance pour que les ennemis de l’Algérie ne réussissent pas à le détourner vers le chaos et la destruction du pays, comme cela fut le cas en Syrie et ailleurs. Le bras de fer engagé entre le pouvoir et le peuple algérien pour une transition démocratique doit rester une affaire algéro-algérienne et il est vital pour la pérennité de la nation et la préservation de la souveraineté nationale et la paix civile de faire barrage à toute tentative d’ingérence internationale pour réussir cette transition». Et voilà ce qu’on a retenu de cet article «Entendons-nous bien, ce qui pose problème dans ces prises de position […] ce n’est pas de vouloir attirer l’attention sur une hostilité avérée du camp occidental à l’égard de notre pays. Personne de sensé ne peut en douter. Ce qui doit être dénoncé avec vigueur, ce sont les sous-entendus selon lesquels les manifestations actuelles feraient partie d’un plan de déstabilisation visant l’Algérie. Parce que cette thèse fait l’impasse sur l’origine réelle de la crise et qu’elle tente de réveiller chez les Algériens les vieux démons de la peur, elle doit être fermement dénoncée».
Mes articles, recherchés sur Google depuis une décennie déjà, visent à contribuer avec acharnement à la conscientisation politique de mes compatriotes et la structuration d’arguments pour légitimer un éveil révolutionnaire.
Je tiens à préciser que répondre à des attaques personnelles ne peut se justifier que lorsque ces attaques menacent directement l’intérêt commun à une nation exposée à l’inconnu. Sinon, il serait inutile de s’échiner à répondre à de tels commentaires. Il y a fort à faire pour aider à voir plus clair et à accompagner la Révolution vers une direction sûre, en produisant des idées et en versant des arguments dans le débat selon nos modestes moyens et le peu d’espaces médiatiques alternatifs et dissidents qui nous sont ouverts. Il est impératif, dans ces conditions, de redoubler de concentration et d’engagement pour que ce formidable réveil de notre glorieux peuple qui a enchanté le monde, comme au temps de la glorieuse Révolution du 1er Novembre, ne se traduise par un reflux. Car, aujourd’hui, l’heure est grave. La Révolution est constamment et violemment attaquée de toutes parts et principalement par la dictature militaire qui voudrait l’anéantir pour se perpétuer au pouvoir. Notamment, les provocations par la répression, les arrestations arbitraires, les discours offensants et humiliants du chef d’état-major de l’armée nationale dans l’objectif de pousser le peuple à la violence et justifier le recours à l’Etat d’exception et la brutalité de la répression qui le caractérise pour en finir avec le Hirak. L’heure est vraiment très grave et les incitations à la violence et au chaos ne profiteront certainement pas au peuple algérien et à sa Révolution.
Alors, si l’on reconnaît que la condition essentielle de la pérennité de notre nation est notre souveraineté nationale, il faudra, à ce moment, la mettre à tout prix et en priorité dans toute initiative de poursuite du processus révolutionnaire en cours. Se méfier particulièrement des chants de sirènes de ceux qui recherchent sa printanisation et des provocations de l’état-major de l’armée nationale qui voudrait pousser les manifestants à la violence pour justifier l’étouffement de la Révolution par l’instauration d’un état d’exception.
Y. B.
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