Serres appelle à rompre la coopération sécuritaire avec le pouvoir en Algérie
Par Saïd N. – Enseignant et chercheur à l’université de Californie Santa Cruz, Thomas Serres reproche à la France et à l’Europe de laisser la contre-révolution en Algérie se dérouler, «en espérant que ne rien faire soit le meilleur moyen de ne pas insulter le futur». Et c’est là qu’elles se trompent, estime-il.
Dans une tribune parue dimanche dans le quotidien Le Monde, ce chercheur, auteur, entre autres, d’un ouvrage intitulé L’Algérie face à la catastrophe suspendue (2019), essaie de comprendre l’attitude passive de l’Elysée, «tétanisé» par ce qui se passe en Algérie, après avoir soutenu Abdelaziz Bouteflika, en regardant le nouvel homme fort du pays, le chef d’état-major Ahmed Gaïd-Salah, «se démener pour maintenir les privilèges de l’armée, assurer l’impunité de ses fidèles – dont la corruption n’a rien à envier aux affairistes déjà emprisonnés – et limiter l’ampleur du changement politique».
Dans son analyse de l’évolution de la situation en Algérie, Thomas Serres évoque la répression qui s’est abattue sur les partisans du changement et les animateurs du Hirak qui rejettent la solution à la hussarde que veut imposer le pouvoir en place. Il note, comme pour mieux enfoncer Paris, que l’appareil répressif qui sert à imposer l’élection a été conçu avec le soutien actif de la France. «La formation des forces de police algériennes à la ‘‘gestion démocratique des foules », écrit l’auteur, est le produit d’une coopération sécuritaire de longue durée, que l’Union européenne a d’ailleurs encouragée. Dès lors, la responsabilité européenne et française est engagée.»
Pour le chercheur français, la complicité de la France et de l’Europe dans le naufrage de l’Algérie a encore des racines plus profondes. Il relève que si les manifestants algériens accusent les tenants du pouvoir d’avoir «mangé le pays» («klitou leblad ya serraqin !»), le régime n’a pas mangé l’Algérie tout seul. «Il a bénéficié de la complicité active de compagnies étrangères, et notamment européennes (la compagnie pétrolière italienne ENI par exemple), de banques peu regardantes (principalement en Suisse) et, bien sûr, de la bienveillance des pouvoirs publics», souligne-t-il. Reprenant un lieu commun, il rappelle que la France, entre autres, «a été particulièrement accueillante pour les capitaux mal acquis des dignitaires algériens, notamment à travers l’achat de propriétés immobilières».
Le chercheur appelle, enfin, la France et l’Union européenne, au nom de la sauvegarde de leurs intérêts, à aider les Algériens à rester chez eux et y vivre dans la dignité, en les aidant à «instaurer un Etat fondé sur la souveraineté populaire et la justice sociale». «Dans ce contexte, qu’est-ce que la France et l’Europe peuvent offrir ? se demande l’auteur. Pas besoin de grands discours, qui seraient de toute façon perçus comme une ingérence. Non, des actes. Mettre fin à la coopération sécuritaire avec la police et l’armée algériennes tant que celles-ci réprimeront des manifestants pacifiques. Poursuivre les entreprises corruptrices, lancer des enquêtes sur les biens mal acquis, publier les documents en possession du fisc et rapatrier les capitaux volés au peuple algérien. Enfin, préparer une aide économique d’urgence pour que le peuple puisse poursuivre sa révolution.»
S. N.
Comment (19)