Le Mouvement populaire doit se doter d’une direction collégiale
Par Rabah A. – Le soulèvement populaire qui dure depuis huit mois aujourd’hui, a marqué des points certains dans le paysage politique algérien. Il constitue aussi une réussite populaire et une fierté nationale dont les échos ont largement dépassé les frontières du pays. Cependant, il est du devoir de chacun d’entre nous de se rendre compte que le Hirak n’est pas une fin en soi, ni l’objectif final de ce formidable Mouvement.
Ainsi , on voit des personnes se prendre en photo au milieu de la foule et d’autres se faire chaudement féliciter pour leur présence dans la manifestation comme si certains préparaient dès maintenant des dossiers de reconnaissance dans une étape ultérieure de leur qualité de «hirakiste» et que d’autres trouvaient un plaisir non dissimulé à prendre des selfies. Pourtant, force est de constater qu’en s’inscrivant ainsi dans la durée et en conservant la même forme nonchalante, notre action se condamne d’elle-même à l’usure et à la disparition. Aucun mouvement pacifique et pacifiste, quelle que soit la noblesse des objectifs qu’il poursuit et la sincérité des femmes et des hommes qui le mènent, ne peut tenir très longtemps et tombera fatalement dans l’oubli ou se muera en une espèce de kermesse ou d’auberge espagnole dans laquelle chacun devra ramener avec lui son repas et sa boisson.
Les tenants du pouvoir, même s’ils sont convaincus de leur illégitimité et de leur rejet par la majorité de la population, disposent, eux, d’une feuille de route et d’un programme qu’ils tenteront de faire passer vaille que vaille, quitte, pour cela, à en arriver aux pires extrémités et à jouer la carte ultime de la désintégration du pays. Il y va de leur survie et de celle du système criminel et prédateur qu’ils ont bâti pierre après pierre depuis 1962. D’ailleurs, ils sont tellement persuadés du caractère inoffensif et «civilisé» de ces marches qui, hélas, ne font pas peur au pouvoir, si bien que ce dernier agit à sa guise en brutalisant les manifestants, en procédant à la fermeture des grands axes qui mènent à Alger, en arrêtant en toute impunité et dans des conditions dignes des Etats les plus réactionnaires de la planète, journalistes, politiciens, animateurs du Hirak, porteurs du drapeau amazigh…
Mais nous, en face, que faisons nous à part remplir les rues de nos corps et de nos cris deux fois par semaine et prendre à chaque rencontre rendez-vous pour la semaine d’après avec de nouveaux slogans et de nouvelles chansons engagées ? Rien ! D’où cette conclusion amère mais lucide : nous ne pouvons plus continuer ainsi. Il nous faut passer à une autre étape qualitative de notre action qui obligera les dictateurs militaires et leurs vassaux civils à abdiquer. Nous devrons dans les semaines qui suivent trouver et mettre en place des formes d’organisation et de lutte qui nous permettront d’aller de l’avant afin d’atteindre nos objectifs. Nous pouvons, par exemple, occuper les rues même les samedis (en plus des vendredis et mardis) et, en cas de besoin, ajouter une autre journée ou plus.
En outre, le Mouvement de contestation populaire doit se doter d’une direction collégiale choisie par acclamation de la foule lors des rencontres de vendredi. Celle-ci sera composée des personnalités les plus en vue du moment, à l’exemple de Bouchachi, Assoul, Dabouz, Lalmas et d’autres, tout en y incluant d’office les militants incarcérés comme Boumala, Tabbou, Bouragâa et des leaders estudiantins.
D’autres formes de revendication existent, comme la grève générale reconductible, l’occupation des rues par des sit-in immenses, etc. Mais toutes celles-ci ne peuvent être imaginées en dehors de cette direction collégiale qui tirera sa légitimité du peuple et qui pourra en son nom et en toute transparence prendre toutes les initiatives pour faire arriver le Hirak à bon port. Cette direction collégiale bénéficiera bien sûr et en toutes circonstances de l’appui total et indéfectible du peuple pour la protéger des manœuvres et menaces du pouvoir. Les réseaux sociaux serviront de support et de vecteur à toutes ces actions pour l’échange d’informations et les différents appels ainsi que pour les rapports d’activité.
Ceci est une modeste contribution au débat ; elle n’est ni exhaustive ni parfaite, mais elle a le mérite de lancer la réflexion sur le devenir du Mouvement populaire qui ne doit s’arrêter que le jour où le peuple aura réussi à bouter tous les symboles du système loin des centres de décision. Ce débat doit se faire dans l’urgence et aboutir très vite à des propositions pertinentes pour donner un nouveau souffle salvateur et puissant au combat des citoyens.
R. A.
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