Aux origines de l’oligarchie algérienne
Par Kaddour Naïmi – Il semble utile de savoir quand, comment et par qui ont commencé les malheurs du peuple algérien, soumis et dominé par une oligarchie autochtone. C’est en allant à l’origine des causes que l’on peut trouver les solutions pour s’en affranchir.
1956 : assassinats
Désormais, les personnes correctement informées le savent : les malheurs du peuple algérien ont commencé par la négation de la Plateforme de la Soummam, suivie par l’assassinat de ses deux inspirateurs et défenseurs, Abane Ramdane, tué par ses propres «frères» d’arme, et Larbi Ben M’hidi, dont la découverte de son refuge par l’armée coloniale française ne semble pas être due au hasard. Cependant, le hasard a voulu que ces deux authentiques leaders du peuple algérien soient l’un amazighophone et l’autre arabophone, ce qui constituait l’unité du peuple algérien.
Après l’assassinat de ces deux dirigeants authentiques du peuple algérien, tandis que les moudjahidine de l’intérieur continuaient à combattre en manquant tragiquement de moyens matériels, les éléments résidant à la frontière marocaine constituaient, eux, une armée dotée de tout le nécessaire pour devenir la force unique, militaire, de la future nation algérienne indépendante.
1961 : corruption
Par conséquent, quand l’indépendance devint un objectif réalisable tout proche, le chef d’état-major de l’armée des frontières, le colonel Boumediene, envoya son émissaire en France pour tester qui serait le premier président marionnette à placer à la tête de l’Etat, pour faire croire au peuple algérien qu’il aurait le Président qu’il fallait. Qui était l’émissaire en question ? Abdelaziz Bouteflika. On sait que le premier qu’il rencontra fut le regretté Mohamed Boudiaf. Ce dernier s’offusqua de cette démarche totalement oligarchique. Hocine Aït Ahmed, également, refusa la proposition scélérate. Ahmed Ben Bella, lui, accepta et entra dans la combine.
Eté 1962 : coup d’Etat militaire
Ainsi, juste après l’indépendance, une guerre fratricide éclata. Le peuple, alors, sortit dans les rues en criant «sebaâ snîne barakât !» (sept ans, ça suffit !), sous-entendu de sang algérien versé.
Malheureusement, les manifestants ne disposaient pas de suffisamment de conscience sociale pour comprendre que leurs protestations pacifiques ne suffisaient absolument pas, que les sept années de sacrifices exigeaient davantage de sacrifices encore. Il fallait lutter résolument pour la démocratie réellement populaire et continuer la lutte contre les usurpateurs, déjà constitués en oligarchie militaire, pour instaurer la démocratie réellement populaire.
Long calvaire
La suite est connue. L’oligarchie algérienne montra ce que toute oligarchie est capable comme soif d’enrichissement illégitime et obsession de pouvoir illégal (1). Plus grave : en Algérie, comme dans toutes les nations sous-développées – non seulement économiquement, mais culturellement, l’un n’allant pas sans l’autre –, l’oligarchie algérienne manifesta le pire de l’inculture, de l’obscurantisme et de la cruauté. Toute la rhétorique démagogique à propos de «nationalisme», de «patriotisme», de «populisme», de «socialisme», maintenant de «libéralisme» était et demeure à la mesure de toute la corruption caractérisant cette oligarchie sous-développée : corruption, répétons-le, non seulement par le vol des richesses matérielles, mais tout autant – et pour y parvenir – par le vol de la liberté du peuple à gérer lui-même sa nation.
Déplorons seulement le lâche aveuglement des opportunistes de tout bord qui, en échange de strapontins dans l’administration, ont soutenu les diverses formes que l’oligarchie a prises pour dominer le peuple algérien. Ainsi, l’Algérie vit des Présidents, depuis le premier, fabriqués par des «élections» manipulées, inspirées directement de la méthode coloniale. Et, pour se maintenir, ces Présidents se sont appuyés sur les divers groupes d’une oligarchie qui s’est enrichie sans vergogne, par l’intermédiaire de la force militaire. Cette oligarchie commença par accaparer les «biens vacants», pour finir, avec Abdelaziz Bouteflika, par mettre la main sur des entreprises et des terres étatiques, bradées au dinar symbolique. Pire encore, pour se maintenir au pouvoir, cette oligarchie permit à des entreprises étrangères, en échange de leur soutien, d’exploiter des ressources naturelles et la sueur du peuple algérien à «bon prix», en échange de pots-de-vin aux oligarques, placés dans des banques étrangères.
A ce propos, une remarque. Certains déclarèrent que le colonel Boumediene est mort sans s’être enrichi. Quel besoin avait-il de voler les biens du peuple ? A ce peuple, il avait volé, par la coercition militaire, ce que ce peuple avait de plus précieux : la liberté de décider par lui-même de la gestion de son pays. Ainsi, l’oligarchie s’est renforcée, avec le «soutien critique» des opportunistes, jouissant de strapontins administratifs, et le soutien tout court de ce que la société algérienne contient de plus misérable comme personnalité. Rappelons la fameuse déclaration du Boumediene élu Président, citée ici en substance : «Qui travaille dans le miel ne peut s’empêcher d’y goûter». On a constaté combien de personnes y ont goûté, de quelle manière et jusqu’à quel point. La corruption, dans tous les domaines de la vie sociale : voilà la base systémique, structurelle de l’oligarchie algérienne, et cela depuis l’assassinat d’Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi, puis la rencontre, en 1961, d’Abdelaziz Bouteflika avec les dirigeants alors prisonniers en France.
L’oligarchie algérienne veille, depuis sa constitution, à propager sa seule version de l’histoire, invoquant sans vergogne une «légitimité révolutionnaire» illégitime, pour protéger et défendre sa vile obsession d’accaparement du pouvoir étatique et d’enrichissement matériel, au détriment du peuple et du développement économique de la nation.
Cette oligarchie algérienne est tellement de mentalité sous-développée qu’elle est incapable de jouer un rôle de bourgeoisie capitaliste, trouvant son profit dans le développement économique de la nation. Au contraire, elle se contente d’être totalement parasitaire, en s’offrant des demeures luxueuses et autres stupides et dérisoires objets de consommation. D’où l’aspect compradore de l’économie algérienne et sa dépendance presque totale de la vente du pétrole et du gaz.
Est-ce un hasard si la majorité des voleurs trouvent refuge dans l’ex-métropole coloniale, alors qu’ils se targuaient d’être des «patriotes» en évoquant la Guerre de libération nationale, et résident dans des appartements achetés avec l’argent du peuple algérien ? Est-ce un hasard si ces spoliateurs ne sont pas remis par les autorités françaises au peuple algérien pour être jugés sur leurs vils méfaits ?
Disons-le clairement. Avec l’assassinat d’Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi, puis les étranges embuscades de l’armée coloniale où tombèrent tour à tour les colonels Amirouche puis le colonel Lotfi, la société algérienne a produit tout ce qu’elle contient de pourri jusqu’à la moelle : usurpateurs psychopathes, imposteurs méprisables, voleurs mesquins, assassins de jeunes contestataires, mercenaires dépravés, charlatans vils, harkis infâmes, opportunistes lâches de strapontins, tout grands et tout petits dictateurs spoliateurs. Une hideuse régression dans tous les domaines, du plus haut au plus bas de l’échelle sociale. Tout ce que le peuple algérien avait conquis en dignité durant la Guerre de libération nationale fut manipulé, travesti, méprisé, stigmatisé, avili, jusqu’à arriver à l’infamie la plus vile : un journaleux traitant les combattants, ayant donné l’indépendance nationale, en imposteurs et profiteurs, et un écrivaillon ne voyant dans l’Armée de libération nationale que des nazis.
Doit-on, alors, aujourd’hui, s’étonner de découvrir tous les méfaits des membres de l’oligarchie, dont les vilenies et les crimes sont à la mesure de leur cerveau sous-développé et de leur personnalité dépravée ? De voir l’intègre ancien moudjahid Lakhdar Bouregaâ en prison, tandis que les pourris jouissent encore de la liberté de profiter de leurs vols des richesses du peuple, en résidant en Algérie ou ailleurs, notamment en France et aux Emirats ? Ce qui étonne, aujourd’hui, c’est l’endurance et la patience, prolongées et douloureuses, du peuple algérien, soumis à une oligarchie aux méthodes typiquement mafieuses, dans le sens le plus exact de ce terme.
Depuis l’assassinat d’Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi, le peuple algérien est exploité et dominé, victime de tellement de forfaits ; ils seraient jugés criminels par un tribunal digne de ce nom. Depuis 1956, tellement d’emprisonnés, de torturés, d’assassinés, non par les tenants du colonialisme étranger, mais par les membres du colonialisme indigène. Ce dernier agissait avec les mêmes méthodes, le même mépris, la même cruauté contre le peuple. Ce n’est pas un hasard si les institutions algériennes, établies par l’oligarchie usurpatrice, sont une pâle copie de celles de l’administration coloniale. La crainte populaire du militaire, du policier, du cadi, du préfet et du maire coloniaux est remplacée par celle de leurs exacts avatars indigènes.
2019 : le sursaut de la dignité
Dans le cas de la victoire du Mouvement populaire actuel, ne serait-il pas légitime non seulement de récupérer tous les biens matériels volés, mais, également, que toutes les institutions publiques, portant le nom de l’un des usurpateurs de la légitimité populaire algérienne, soient rebaptisées, en leur donnant les noms de personnes qui furent réellement dignes de l’estime du peuple algérien ? Ainsi, les imposteurs voleurs de biens matériels ou de liberté du peuple seront jetés à la poubelle de l’histoire et sera honorée la véritable épopée du combat du peuple algérien pour son émancipation nationale et sociale.
Voilà en quoi l’intifadha (soulèvement) populaire actuel, malgré ses carences, est une action radicale : elle veut éliminer toute forme de «fassâd» (corruption). En quoi consiste celle-ci, sinon à voler, à accaparer non seulement les ressources matérielles, mais tout autant la liberté du peuple algérien ? Car sans la liberté du peuple à gérer lui-même ses ressources naturelles, à travers ses institutions authentiques, il est impossible à ce peuple de mettre fin au «fassâd» économique de l’oligarchie.
C’est dire combien le Mouvement populaire actuel en Algérie est l’initiative la meilleure, depuis la Guerre de libération nationale anticolonialiste, pour finalement concrétiser le projet du 1er Novembre 1954, approfondi par la Charte de la Soummam de 1956. Ainsi, et seulement ainsi, tous les martyrs tombés pour la dignité du peuple algérien, durant l’époque coloniale puis celle dictatoriale – n’oublions pas ces derniers ! –, seront authentiquement honorés. Ainsi, et seulement ainsi, reviendra au peuple algérien le droit absolu qu’il revendique : la dignité citoyenne, autrement dit, la liberté de disposer de ses propres institutions et de ses propres mandataires représentatifs. Ainsi, la nation algérienne fera partie de manière digne du reste des nations. Ainsi, le passeport algérien ne sera plus méprisé, mais respecté partout sur cette planète. Ainsi, partout en ce beau pays, s’épanouiront les sourires, première source, premier capital pour développer la nation, dans tous les domaines. Vive l’intifadha populaire algérienne !
K. N.
(1) Rappel historique. «La maigreur qui nous afflige, le spectacle de notre misère, sont un inventaire qui montre leur opulence ; notre misère est un profit pour eux. […] Ils nous laissent mourir de faim quand leurs magasins sont trop pleins de grain ; ils produisent des lois en faveur de l’usure pour soutenir les usuriers ; ils rejettent chaque jour quelque salutaire acte établi contre les riches et promulguent des statuts plus vexatoires pour enchaîner et asservir les pauvres. Si les guerres ne nous dévorent pas, ce sont eux qui s’en chargeront». Déclaration d’un représentant du peuple durant la guerre du Péloponnèse. C’était en Grèce, il y a 25 siècles.
Et ceci : «La liberté d’une démocratie est en danger si le peuple tolère l’influence croissante de puissances privées au point de posséder plus de pouvoir par rapport à l’Etat démocratique. C’est l’essence même du fascisme – la domination sur le gouvernement par un individu, un groupe ou tout autre pouvoir de contrôle privé». L’auteur de cette déclaration est l’ex-président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt, qui dénonçait, alors, l’emprise du complexe militaro-industriel sur le pays.
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