Addi : réformateur ou islamiste ?
Par Youcef Benzatat – Lahouari Addi pense que la modernisation de la société doit passer inéluctablement par la réforme de la théologie musulmane. Il soutient que, pour ce faire, il faut ouvrir les portes du pouvoir aux islamistes qui seront contraints de se charger eux-mêmes de cette réforme, pour faire face à la dette qu’ils auraient contractée vis-à-vis de la démocratie qui les aurait portés au pouvoir et, par conséquent, cette réforme devrait déboucher inéluctablement sur la modernisation de la société. Autrement dit : aliéner l’Etat dans le religieux en espérant que la réforme de la théologie finira par le libérer de son emprise et moderniser la société à long terme. Un peu comme les militaires au tournant de l’indépendance, qui avaient promis de moderniser à leur tour la société en lui imposant de se soumettre à la dictature pendant une période de sacrifice nécessaire qu’ils avaient baptisée «redressement révolutionnaire». Aujourd’hui encore, Gaïd-Salah et l’état-major de l’armée sont toujours pendus à cette idée.
Les uns qualifiant la société d’immature et donc incapable de se moderniser par elle-même sans le concours des militaires, les autres partant du postulat que la société est musulmane, comme si l’on vivait encore dans le moyen-âge et qu’une prise du pouvoir par les islamistes était tout à fait naturelle. Balayant d’un revers de la main la possibilité aux individus qui composent la société d’être agnostiques, laïcs, athées ou tout simplement pratiquant d’autres religions.
Comme les militaires qui ont fini par faire régresser la société sordidement dans le patriarcat et ses conséquences totalitaires sur les structures mentales, les islamistes n’auront d’autres influences sur la société au bout de leur réformisme qu’une légitimation de la régression de la société dans l’imaginaire mythologique religieux.
Que le réformisme théologique soit nécessaire à l’émancipation des religieux dans la société est un fait, mais dire que cela devrait déboucher sur leur modernisation n’est rien d’autre qu’un oxymore. Car la modernité en tant que référant à la modernisation est antinomique au religieux.
Lahouari Addi se situe dans cette même logique en invoquant l’impératif réformiste musulman pour moderniser la société depuis l’Etat. Comme si la société n’était supposée être à priori en totalité autrement que religieuse.
Le réformisme auquel Lahouari Addi appelle de ses vœux n’émane pas d’une volonté de désaliéner l’Etat du religieux et de démocratiser l’usage de l’espace public en le désacralisant. Parce qu’en invoquant les versets mecquois, «universalistes», par opposition aux versets médinois, «conjoncturels et historicistes», pour assoir sa pensée réformiste, il accorde au mythe la vertu d’une stratégie discursive universaliste. Son réformisme consiste en substance à opérer uniquement une sélection dans le discours mythologique religieux, ce qui ne lui permet pas de s’émanciper de la pensée mythologique religieuse dans l’absolu. Mohamed Arkoun, plus subtil encore, avait lui aussi fondé une méthodologie réformiste basée, cette fois, sur la démythologisation de la pensée islamique, mais qui ne lui a pas pourtant permis de sortir du religieux, car il défendait en même temps l’idée d’une raison islamique par opposition à la raison universelle.
Tout compte fait, le réformisme doit rester une affaire de théologiens au profit des religieux, relevant exclusivement du domaine du privé, et la modernisation de la société doit rester une affaire politique du ressort d’un Etat souverain, désaliéné du religieux, du militaire et de toute considération d’identité ethnique.
Associer le réformisme musulman à la modernisation de la société doit tenir compte de toutes ses composantes confessionnelles et non confessionnelles pour pouvoir revêtir honnêtement un caractère démocratique. Ce qui implique le recours à toutes les connaissances de notre époque, exhaustivement et pragmatiquement et particulièrement les résultats de la recherche archéologique des religions.
Y. B.
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