Fiction réaliste : le jour où le dictateur Gaïd-Salah tomba enfin
Par Rabah A. – En ce beau matin du 22 novembre 2019, correspondant normalement au 42e vendredi de protesta, Alger offre le visage d’une ville apaisée mais qui tarde encore à se débarrasser des séquelles des lendemains de révolution. Des Algérois et d’autres citoyens venus de l’intérieur du pays continuent de battre le pavé et de crier leur joie après la destitution de Gaïd-Salah et son remplacement par un «Comité de sauvegarde nationale» composé de cinq jeunes officiers. En fait, les événements se sont précipités exactement le 16 de ce mois quand des magistrats, à l’appel de leur syndicat, ont rejoint le Hirak en dénonçant les pressions insupportables dont ils faisaient l’objet de la part du commandement de l’armée et en déclarant que les arrestations des opposants politiques et des manifestants étaient arbitraires. Leur communiqué stipulait aussi que le chef d’état-major n’avait aucunement le droit de s’impliquer dans la sphère politique et de diriger le pays à partir des casernes.
Les magistrats furent suivis dans leur mouvement de débrayage illimité par les fonctionnaires, bientôt suivis à leur tour par les médecins, les employés de la poste, ceux de Sonelgaz, Seaal, etc. Ceci avait amené Gaïd-Salah qui était entouré à cette occasion de tout son staff de vieux généraux corrompus jusqu’à la moelle, à prononcer un discours retentissant au cours duquel il traita les grévistes de «traîtres à la nation». Et comme si cela ne suffirait pas, il menaça ceux qui s’opposeraient à sa démarche des pires conséquences.
Le lendemain de cette déclaration méprisante, le pays presque dans son intégralité entra dans un état semi-insurrectionnel en dépit des images rassurantes des chaînes de télévision soumises qui parlaient de «petits» mouvements de grève limités dans le temps et dans l’espace immense de ce pays-continent. Les réseaux sociaux, quant à eux, renvoyaient l’image d’une population en ébullition et de défections importantes dans le corps militaire et de la Police nationale. Dans l’après-midi de ce même jour, l’Organisation nationale des moudjahidine rallia le Mouvement populaire et annonça que les martyrs ainsi que les survivants de la Guerre de libération nationale n’avaient pas consenti le sacrifice suprême pour que des opportunistes s’emparent traîtreusement du pouvoir et imposent leur diktat au peuple.
La situation devenait intenable et la grève des commerçants n’était pas pour arranger les choses. Le 18 novembre, des bruits de bottes étaient signalés çà et là et c’est à 15 heures que l’état d’urgence a été décrété sur tout le territoire national. Le communiqué lu sur un ton martial et qui tournait en boucle, annonçait en outre la mise en place d’un couvre-feu valable de 23 heures à 5 heures du matin ainsi que l’interdiction des marches, des attroupements et des réunions publiques. Ceci produisit l’effet contraire que celui recherché puisqu’il attisa la colère populaire déjà largement mise à cran par les différentes prescriptions et des groupes humains de plus en plus nombreux, de jour comme de nuit, venaient défier les barrages érigés aux différents carrefours et clamer leur rejet du pouvoir militaire illégitime.
Puis, le peuple lassé par l’entêtement du régime, se mit à ériger des barricades. La situation devenait au fil des heures chaotiques et les services de sécurité consignés par leur hiérarchie sur leurs lieux de travail. Au petit matin suivant, la rumeur courrait que des décisions importantes allaient être annoncées durant la journée et qu’à priori c’en était fini du vieux général dictateur et de sa clique. Les gens avaient les yeux rivés sur leurs écrans de télévision mais ce n’est que vers midi que les événements se précipitèrent lorsque toutes les chaînes de radio et de télévision annoncèrent à l’unisson que Gaïd-Salah avait été déposé, qu’il était détenu en lieu sûr et qu’il serait jugé prochainement pour haute trahison et crimes contre son peuple. Cette annonce fut accueillie avec des klaxons et des youyous qui fusaient de chaque maison.
Puis, comme un certain juillet 1962, les gens envahirent les rues en se congratulant et en chantant leur soif enfin assouvie de liberté et de paix. Les militaires et les policiers rejoignirent la foule et s’en est suivie une ambiance de liesse inoubliable, mise sous l’éteignoir depuis des décennies par de sinistres individus mus seulement par l’odeur de l’argent et l’appât du gain. Le tyran était tombé ainsi que ses eunuques et le peuple souverain pouvait désormais prendre véritablement son destin en main. Durant l’après-midi de ce jour-là, le Comité militaire annonça l’annulation de l’élection présidentielle et la dissolution du gouvernement ainsi que des deux chambres du Parlement. Il ordonna la levée de toutes les mesures liberticides prises par l’ancienne clique et la libération des détenus d’opinion et de tous les prisonniers arrêtés pour port du drapeau amazigh. Il annonça le gel de toutes les lois votées pendant la période d’intérim et invita par la même occasion les personnalités nationales connues pour leur compétence, leur patriotisme et leur sincérité au service du pays ainsi que des délégués de la société civile et des partis politiques non mêlés à la gestion catastrophique récente du pays, à se joindre à lui dans les meilleurs délais pour dresser un agenda de sortie de crise qui devra commencer par la confection d’une loi électorale qui devra permettre l’élection d’une Commission constituante dans un délai n’excédant pas quatre mois.
Une fois élue et installée, cette commission devra désigner les éminents juristes qui auront pour charge de rédiger la nouvelle Constitution qui sera soumise par voie référendaire au scrutin populaire. Cette même commission aura pour autre tâche de désigner un gouvernement de technocrates chargé d’expédier les affaires courantes et conclura son travail par l’organisation dans une transparence totale du scrutin présidentiel qui viendra couronner le processus révolutionnaire enclenché le 22 février 2019. Pour éviter qu’un jour prochain le pays ne sombre dans une crise similaire, ils se promettent d’ériger des digues constitutionnelles assez hautes et assez solides pour les protéger à jamais de tous les prédateurs et aventuriers tapis dans l’ombre.
Le Comité militaire quant à lui s’est engagé à se retirer de toute activité politique et à se mettre sous le commandement de l’autorité civile légitime dès que les différentes élections auront lieu et que le pays aura définitivement été remis sur les rails de la démocratie et du progrès.
La question qui demeure d’actualité aujourd’hui est comment un général presque centenaire, inculte et à la moralité plus que douteuse a réussi à arriver à ce grade ainsi qu’à ce niveau de responsabilité sans que les filtres devant empêcher pareilles situations n’aient été actionnés. L’autre interrogation est comment tous les rouages de l’Etat et ses cadres les plus aguerris se sont-ils automatiquement mis à son service en dépit de son manque total de légitimité, de charisme et de probité ? Au titre de ces derniers, je citerai principalement les diplomates qui ont vendu une image déformée de l’Algérie, les magistrats qui n’ont pas suffisamment protégé le citoyen durant cette période et qui ont servi d’instrument au service d’une autorité illégale ainsi que les imams qui ont relayé les messages de propagande du pouvoir au lieu de se mettre aux côtés de la vérité et du peuple.
R. A.
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