Un magistrat : «Les injonctions ont eu un impact psychologique sur les juges»
Par Kamel M. – L’ancien juge Abdelhak Mellah a affirmé que «ce qu’il se passe aujourd’hui dans le milieu judiciaire est un fait inédit dans l’histoire de la justice algérienne et rare dans le monde, à savoir le débrayage collectif de tous les juges sur tout le territoire de la République. Pour cette raison, cela est un fait important qui revêt de nombreuses significations».
Pour cet ancien magistrat, qui s’exprimait sur les ondes de Radio M, «cela démontre qu’en réalité, nos juges – et ce sont eux-mêmes qui le disent – ne jouissent pas d’une indépendance judiciaire légale suffisante qui leur permette de mener à bien leur mission. Mieux, ils disent également qu’ils n’ont pas les garanties et la protection légales qui les protègent de toutes les injonctions et les interventions externes. Cela veut dire que les juges algériens ne sont pas comme leurs homologues de par le monde qui remplissent leur fonction sans crainte pour leur parcours professionnel et leurs droits légitimes».
S’agissant du caractère légal ou non du mouvement de grève des juges, Abdelhak Mellah a souligné que «cela n’est pas une question de loi». «Si, en effet, tout le monde s’accorde à dire que sur le plan du règlement, ce débrayage est contraire aux textes, il faut savoir, cependant, que l’esprit de la loi prime sur la loi elle-même. Et, avant cet esprit de la loi, il y a aussi la question de l’organisation de l’Etat, c’est-à-dire la séparation entre les pouvoirs, la non-interférence entre ces pouvoirs et la non-hégémonie d’un pouvoir sur l’autre», a-t-il fait remarquer.
«La révolte des juges, a encore relevé cet ancien magistrat devenu avocat, est essentiellement une réaction à la domination d’un pouvoir sur un autre et sa mainmise sur l’avancement dans la carrière du juge». «Les juges ne s’expriment pas car ils sont tenus par l’obligation de réserve, mais les derniers procès [qui leur ont été imposés] ont eu un effet psychologique extrêmement négatif sur eux», a-t-il confié, en précisant que «les raisons de cette colère sont anciennes» mais que «le facteur déclencheur de cette nouvelle révolte est le Mouvement populaire».
L’ancien magistrat s’est interrogé, dubitatif : «Comment des mutations d’une telle ampleur dans le corps des magistrats peuvent-elles être effectuées en une heure de temps ? Comment l’institution constitutionnelle qu’est le Conseil supérieur de la magistrature peut-elle être ainsi marginalisée ?». Pour lui, «le juge algérien ne sent pas que cette institution le protège dans l’exercice de ses fonctions et dans sa carrière professionnelle». «Au contraire, a-t-il dit, il sent que n’importe quel pouvoir peut le dominer».
«On voit clairement dans le dernier mouvement que, dans le cas de certains juges, cela correspond à une sanction car ils ont accompli leur travail conformément à la loi et ne se sont pas soumis aux injonctions, qu’elles soient explicites ou tacites», a relevé Maître Abdelhak Mellah, avant de conclure que «le problème de fond aujourd’hui est un problème d’Etat de droit, de séparation des pouvoirs et de réhabilitation du Conseil supérieur de la magistrature».
K. M.
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