La débâcle des magistrats est la preuve que les incrédules avaient bien raison
Par Mouanis Bekari – La capitulation en rase campagne des magistrats face à la détermination du ministre de la Justice, fort du soutien du chef d’état-major de l’armée, est appelée à entrer dans la conscience nationale comme un marqueur de leur positionnement vis-à-vis du pouvoir en Algérie. Alors que leur révolte avait été accueillie avec scepticisme par beaucoup, l’épisode d’Oran, symptomatique du mépris du pouvoir pour la magistrature, avait laissé entrevoir une prise de conscience à cet égard, en même temps que la volonté de réhabiliter les prérogatives des magistrats, telles qu’énoncées par la Constitution. Et, d’abord, au regard de l’indépendance des juges.
L’appel pathétique du président du Syndicat national des magistrats (SNM) demandant à la «société» de se «détourner des futilités», et son exposé des motivations qui ont conduit au mouvement de protestation, rejoignaient ce qu’il affirmait quelques jours auparavant, à savoir que les magistrats avaient pris une part active dans le refus du cinquième mandat et le déclenchement du Hirak. Plus encore, le ton adopté après la bastonnade d’Oran, avec l’exigence du départ du ministre de la Justice, laissait croire que le SNM était fermement décidé à rejoindre le Hirak. Ce ralliement aurait fait écho aux soutiens exprimés, aussi bien en Algérie qu’ailleurs, envers un mouvement qui, assurément, aurait été un renfort bienvenu dans la lutte contre la dictature insidieuse qui s’enracine. Dans ces conditions, la consternante reddition annoncée le 5 novembre, dans un communiqué penaud et maladroit, est tout à fois une débâcle pour le SNM, une désillusion pour le Hirak et la confirmation que les incrédules avaient raison.
Une débâcle pour le SNM, car les conditions de principe posées à la reprise du dialogue ou de la médiation après Oran, se sont révélé des propos de circonstances qu’il convenait de borner à cet usage. Les assurances qui devaient être apportées à l’indépendance de la Justice se réduisent à des «ateliers» où, on l’espère, les participants trouveront à s’occuper avec entrain. Les affectations, dont les modalités avaient été jugées intolérables et – accessoirement – illégales, sont dorénavant recevables et, sinon légales, au moins envisageables. Seule l’amélioration des conditions salariales, dont on clamait qu’elles n’entraient pour rien dans la protestation, semblent avoir été satisfaites. En définitive, le sentiment qui prévaut est que les proclamations ferventes n’étaient que des rodomontades et les appels au Hirak un moment de faiblesse passagère. Dans ces conditions, on peut être sceptique sur la valeur de l’appui que le SNM promet d’accorder aux magistrats qui subiraient la vindicte du ministère de la Justice.
Une désillusion pour le Hirak car, passé le scepticisme initial, beaucoup ont voulu croire que le spectacle de la nation revigorée insufflerait aux plus timorés l’énergie qui leur manque pour participer à son émancipation. De ce point de vue, le désenchantement à l’égard des magistrats sera profond et durable, au moins autant que le discrédit qu’ils se sont infligé. Quant aux incrédules, leur conviction que les promesses du SNM n’engagent que ceux qui y croient s’est révélé une cuisante vérité. Il faut donc s’attendre que leurs rangs s’étoffent abondamment.
Pourtant, dans cette piteuse dérobade gisent des enseignements dont le Hirak pourra faire bon usage. D’abord, que les forces de la coercition trouveront toujours à s’accorder. Ensuite, que, contrairement aux apparences, les magistrats ne se présentent pas en rangs serrés et qu’il existe en leur sein une frange, certes minoritaire pour l’instant, dont les positions à l’égard du Hirak n’ont pas varié. Regroupés dans le «Club des magistrats libres», elle semble en mesure de reprendre le flambeau de la lutte engagée en 2003 par la section de Constantine du SNM, qui, malgré la coalition des adversités qui ont fini par la terrasser, a légué un précédent exemplaire.
M. B.
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