Zeghmati et les «inaptes» : la corruption du meilleur est ce qu’il y a de pire(*)
Par Mouanis Bekari – Donc, à entendre le ministre de la Justice, les magistrats formés à partir du milieu des années 1980 n’ont ni la formation technique ni la culture requise pour assumer leur office avec la qualification qu’il requiert. Qui oserait le contredire, étant donné la vertigineuse dépréciation du niveau de la formation en sciences sociales en Algérie ? Dépréciation qui n’est d’ailleurs pas circonscrite à ce seul domaine puisqu’elle est consécutive à l’effondrement du niveau des études générales. Mais il y a quelque chose de tragiquement ironique à énoncer une telle évidence devant un parterre de députés dont, c’est le moins que l’on puisse dire, les qualifications ne sont pas moins sujettes à caution que celles des magistrats qui n’ont pas eu l’heur de recevoir la bonne formation à la bonne époque. D’ailleurs, en assénant cette vérité d’évidence, le ministre était assuré de ne rencontrer aucun contredit de la part d’auditeurs bien incapables d’en apporter le moindre, sur quelque sujet que ce soit, tant ils sont domestiqués par la culture de l’unanimisme. La sortie du ministre n’en est pas moins instructive. D’abord pour les magistrats qui savent ainsi, pour autant qu’ils l’aient ignoré, le peu d’estime que leur porte leur ministre. Certes, les récents événements les avaient instruits à ce sujet, mais c’était là une confirmation bien venue pour ceux d’entre eux qui seraient tentés de croire que leur pitoyable reddition dans le bras de fer qui les a opposés au ministre était une manœuvre avisée.
Ensuite, pour les précédents ministres de la Justice qui, apparemment, ne s’étaient pas rendu compte de l’indigence de la formation dispensée aux futurs magistrats et ont donc continué à parrainer des cohortes d’incompétents à la tête de nos tribunaux. Mais peut-être ont-ils eux-mêmes reçu leur formation à la mauvaise époque ?
Enfin, pour les justiciables. Et c’est là que le bât blesse. Car si le ministre affirme, avec une conviction qu’on ne lui disputera pas, que trop de magistrats qui siègent dans nos tribunaux n’ont pas les compétences pour rendre la justice et moins encore au nom d’un peuple exemplaire, qui dédommagera les citoyens qui en ont fait la douloureuse expérience ? Combien de jeunes et de moins jeunes ont-ils souffert de l’inaptitude de trop de juges à dire le droit ? A distinguer un drapeau d’un emblème ? A discerner un citoyen exerçant pacifiquement ses prérogatives civiques d’un délinquant ? Qui rendra justice à tous ceux que des juges mal formés et hermétiques au cours de l’histoire ont jetés en prison ? Et comment expliquer qu’ils continuent de sévir sous couvert de leurs toges, alors qu’ils devraient être en session de remise à niveau ? C’est tout cela que le ministre n’a pas dit et qui sera réclamé le moment venu. Car, pour ce qui est de l’impéritie de certains juges et du discrédit qui retentit sur toute la justice, il suffisait d’interroger les Algériens pour en connaître l’ampleur.
M. B.
(*) Corruptio optimi pessima : formule de droit indiquant que plus une institution est essentielle à la République, plus sa corruption lui est funeste. Par extension, la corruption des meilleures choses est la plus néfaste.
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