Réponse à l’appel ambigu de Lahouari Addi et Djamel Zenati
Par Youcef Benzatat – Lahouari Addi et Djamel Zenati ont cosigné, ce mardi 26 novembre, un appel aux consciences «pour construire les convergences nécessaires à l’élaboration d’une alternative démocratique à un chaos programmé». Cependant, ils ne précisent ni les contours de cette alternative démocratique, ni la nature de ce chaos programmé, ni les parties qui en seraient les belligérants. Ils précisent néanmoins que «rien ne pourra désormais arrêter les citoyennes et les citoyens dans leur marche pour la liberté et le progrès». Là non plus sans donner d’indications sur l’étendue de cette liberté, ni la portée de ce progrès. Cette ambigüité assumée s’éclaircit peu à peu lorsque les auteurs de cet appel tentent d’esquisser la nature de ce qu’ils entendent par conscience collective : «La mobilisation unitaire a réussi à faire émerger une nouvelle conscience collective […] qui a constitué un rempart solide contre toutes tentatives de division» et dont «l’évolution qualitative survenue dans l’opinion est porteuse d’une ambition nationale».
Certes, une mobilisation unitaire produit inéluctablement une conscience collective porteuse d’une ambition nationale. Or, dans notre cas, ni la mobilisation n’est unitaire ni la conscience collective n’est singulière, et encore moins porteuse d’une ambition nationale. Le régionalisme, le clivage ethniciste, le clivage théocratique-laïc, la misogynie sont des facteurs qui témoignent d’une mobilisation unitaire précaire et très vulnérable, dont la seule convergence est l’exigence de la fin de la domination militaire. Dans ce cas, l’alternative démocratique souhaitée dans cet appel apparaît d’emblée comme une chimère, et le chaos dont il est fait allusion serait plutôt inscrit dans les structures mentales patriarcales prédominant dans la société et l’imaginaire mythologique religieux dans lequel elle est en majorité aliénée plutôt que d’être programmée par la conjoncture.
Pour qu’une alternative démocratique portée par une conscience collective puisse réellement consacrer la liberté et le progrès dans un projet national, il serait inévitable qu’elle soit compatible avec un Etat souverain, désaliéné de l’intrusion du religieux et de l’identitaire. Pour son aliénation par l’intrusion du militaire, cette condition est déjà considérée comme acquise avec l’aboutissement de l’exigence principale du Hirak d’un Etat civil.
Dans ce cas, pour pouvoir réaliser une transition vers la liberté, le progrès et la démocratie, il faudra au préalable opérer une révolution ayant pour objectif ces trois souverainetés. A ce propos, la Guerre de libération nationale, qui avait permis l’émergence d’une conscience collective ayant amené la société à s’émanciper de l’emprise coloniale, ne peut être considérée comme une révolution car l’ordre traditionnel qui lui a permis de s’émanciper de la domination coloniale a été reconduit intégralement après l’indépendance, en maintenant, voire en aggravant, par endroits les structures mentales patriarcales et l’imaginaire mythologique religieux et en exacerbant, par ailleurs, les clivages identitaires.
D’un côté, la revendication de l’identité amazighe a été pervertie en nationalisme ethnique au détriment de l’Etat nation, du métissage de sa population et de l’aspect transculturel de sa culture et, de l’autre, la revendication religieuse musulmane est devenue un projet théocratique pour la société dans sa totalité et en s’inscrivant dans une idéologie transnationale. Le choix de la langue arabe à l’école, qui s’est opéré sans le souci de traduction du patrimoine culturel universel, a précipité le reflux vers l’imaginaire mythologique religieux. De ce fait, ni l’un ni l’autre de ces clivages ne sont compatibles avec un Etat démocratique.
Tout appel aux consciences pour la construction d’une convergence vers une quelconque alternative démocratique pour un projet national ne pourra faire l’économie de la consécration d’un Etat souverain désaliéné de tous ces clivages qui hypothèquent par leur incongruité la qualité de citoyenneté à tout Algérien et à toute Algérienne. Seule alternative sérieuse pour faire barrage à toute potentialité de chaos programmé ou structurel.
Y. B.
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