Divergences idéologiques et structuration de l’intifadha populaire (I)
Par Kaddour Naïmi – Vu l’intérêt suscité par le problème de la structuration du Mouvement populaire (1), poursuivons le débat. Cette fois-ci concentrons-nous sur un thème et une hypothèse particuliers : au sein de la présente intifadha, les divergences idéologiques sont telles que vouloir structurer ce Mouvement en vue d’une élection de représentants aurait comme conséquence l’éclatement de ce Mouvement, sa division et, finalement, sa disparition.
Certes, le Mouvement populaire contient diverses conceptions idéologiques : islamistes, laïcs, communistes, «libéraux», sociaux-démocrates, etc. Toutefois, tous sont unis par un objectif commun : «Yatnahaw gaâ !» (Qu’ils dégagent tous !), c’est-à-dire l’élimination de l’oligarchie dominante dans ses diverses composantes. Cet objectif s’exprime par d’autres slogans : «Dawla madaniya machi ‘askariya !» (Etat civil et non militaire), «Etat de droit», «justice indépendante», etc.
Par conséquent, la question se pose : comment ces gens-là pourraient-ils s’entendre pour désigner des mandataires qui les représentent tous ? Réponse. Tous les slogans se ramènent à une revendication fondamentale : l’instauration d’un système social démocratique… Et celui-ci fonctionne sur la règle d’une majorité, tout en respectant la position minoritaire.
Par conséquent, en se réunissant, les citoyens discutent et prennent des décisions en pratiquant la démocratie. A présent, voici ce qui devient clair : soit les participants au Mouvement populaire désirent réellement la démocratie et, alors, qu’ils se structurent de manière démocratique et pratiquent la démocratie pour affronter leurs divergences ; soit ils pensent que leurs divergences idéologiques entraînent la désunion entre eux et, par conséquent, ces citoyens sont incapables de pratiquer la démocratie. Il s’ensuivrait que leur revendication pour la démocratie est, de leur part, un simple slogan démagogique, inconsistant, illusoire. De cette observation, voici la déduction logique : ceux qui craignent que les divergences idéologiques entre les composantes du Mouvement populaire risquent de le désintégrer, impliquent nécessairement que les membres de ce Mouvement sont incapables de résoudre leurs divergences de manière démocratique. Dès lors, comment croire à leur slogan revendiquant la démocratie de la part des autorités étatiques, alors qu’eux-mêmes sont incapables de la mettre en action ?
Thèmes de discussion
Supposons, maintenant, que les membres du Mouvement populaire soient cohérents avec eux-mêmes en revendiquant la démocratie. Alors, ils se rencontreront, d’une manière ou d’une autre, et examineront les problèmes qui leur semblent indispensables à éclaircir.
Le premier est celui de savoir si le Mouvement populaire doit ou non se doter de structures organisationnelles avec le but de disposer de représentants. Car, est-il normal que ce problème soit examiné uniquement par des «experts», des «personnalités» politiques, des contributeurs dans la presse ou les réseaux sociaux ? N’est-il pas plus normal que ce soit les citoyens eux-mêmes qui se rencontrent et en débattent entre eux ? Ne serait-ce que pour examiner ce problème, n’est-il pas nécessaire que les marcheurs hebdomadaires se rencontrent, donc se dotent d’un minimum de structures ?
Si, par la suite, la majorité opte pour la structuration du Mouvement, les autres problèmes à examiner seront les slogans principaux, proclamés pendant les marches. Ils furent évoqués plus haut. A titre d’exemple, examinons brièvement les plus répandus, pour exposer la manière de les discuter.
«Yatnahaw gaâ !» (Qu’ils dégagent tous !)
Faut-il attendre cet événement avant de procéder à la construction d’institutions nouvelles ? Prenons un exemple banal, mais significatif. Faut-il attendre que les mauvais gestionnaires dégagent tous pour enlever les ordures qui salissent et infectent les espaces publics ainsi que les espaces collectifs dans les immeubles d’habitation ? Pourquoi les marcheurs se limitent à enlever les détritus lors des manifestations hebdomadaires, et pas dans tous les espaces publics, et cela quotidiennement ou une fois par semaine ? Encore une fois, faut-il attendre tout des services de l’Etat et en déclarant «Allah ghâlab !» (Dieu est plus puissant) ? Comment ne pas se rendre compte de l’impact très stimulant que ce genre de banale et élémentaire action de nettoyage collectif et autonome aurait sur l’ensemble de la population, et notamment sur la partie indifférente ou hostile du Mouvement populaire ?
Ajoutons ceci. Exiger le dégagement de «tous», qu’est-ce qui garantit que ce slogan ne signifie pas, pour certains, la création du fameux «chaos créatif» ? Rappelons que cette expression fut théorisée par Condoleeza Rice, représentante de l’impérialisme US, lors de l’agression de l’armée coloniale israélienne contre le Liban. Ce même «chaos créatif» est la méthode pratiquée par les organisations dites «islamistes» pour détruire un Etat et sa nation à majorité musulmane afin d’établir le Califat soit ottoman (prôné par l’oligarchie turque), soit wahhabite (prôné par l’oligarchie saoudienne) ? Que l’on voit avec l’attention requise les interventions vidéo d’un Mohamed Larbi Zitout ou d’un Mourad Dhina, en les comparant avec celles de leur critique, Rafaa156 JZR, et cela sans diaboliser personne mais uniquement en examinant les arguments présentés et comment s’effectuent les occultations de faits gênants, mais révélant des manipulations.
Encore une fois, ne serait-ce que pour éclaircir ce slogan «Qu’ils dégagent tous !», et cela de manière démocratique, les citoyens ne gagneraient-ils pas à consacrer une partie de leur temps et de leur énergie à se rencontrer et à discuter, au lieu se contenter de voir les «experts» et autres parler en leur nom ?
«Dawla madaniya machi ‘askariya !» (Etat civil et non militaire)
L’examen de ce slogan permettrait d’éclaircir un autre slogan : «Chaâb djaïch, khawa khawa !» (peuple, armée, frères !). Comment concilier ces deux revendications ? Ensuite, concernant le premier slogan, comment distinguer entre ceux qui visent uniquement la partie du commandement militaire qu’ils jugent contraires au Mouvement populaire et ceux qui, au contraire, recherchent la destruction de l’armée en tant que telle ? (2) En outre, comment s’y prendre afin qu’un système social géré par des civils ne soit pas une simple manipulation de ces derniers par des militaires ? Et, encore : comment éviter que des dirigeants civils ne forment pas une nouvelle «issâba» (oligarchie), aux intérêts contraires à ceux du peuple ? Faudrait-il attendre l’avènement de ce risque pour le combattre en reprenant les marches hebdomadaires ?
K. N.
(Suivra)
(1) Voir «Structure ou pas de l’intifadha populaire ?» in https://www.algeriepatriotique.com/2019/11/23/structure-ou-pas-de-lintifadha-populaire/
(2) Voir note 1.
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