Nouvelle chance pour les magistrats
Par Mouanis Bekari – Ainsi, le Syndicat national de la magistrature (SNM) découvre qu’il a été dupé, que les assurances qui lui avaient été prodiguées pour mettre un terme à la grève qu’il avait déclenchée pour le recouvrement des prérogatives de ses membres n’engageaient que ceux qui voulaient y croire, et que la liberté de juger en conscience n’est toujours pas d’actualité. Dur réveil pour un collectif à qui l’opinion publique ne passe rien parce qu’elle en attend beaucoup. D’autant que la protestation précédente avait suscité des espoirs pitoyablement dissipés, soulevant d’implacables réquisitoires et le sentiment qu’il n’y avait rien à attendre de la part d’une corporation définitivement soumise à un pouvoir qui mise sur la veulerie des contestataires.
Quel crédit consentir alors aux nouvelles sommations du SNM après les annonces du Conseil supérieur de la magistrature ? Comment croire que le communiqué indigné dénonçant sa trahison et la «légèreté» du traitement réservé aux attentes du SNM ne soient rien d’autre qu’une nouvelle coquetterie qui finira en piteuse dérobade comme la précédente ? Assurément, le communiqué du SNM suscitera davantage de haussements d’épaules que de considération et il est peu probable qu’il rencontre la sympathie du Hirak. Pourtant, il s’offre à lui une occasion inespérée de rejoindre le cours de l’histoire alors qu’il lui avait tourné le dos. Car, à n’en pas douter, ses nouvelles récriminations ne rencontreront aucun écho du côté du pouvoir, dont la feuille de route a été sèchement résumée au ministre de la Justice : «Il faut aller jusqu’au bout !». Sa détermination à briser toute velléité d’émancipation des magistrats n’est donc pas sujette à caution, contrairement à celle des magistrats de s’affranchir d’une subordination sans cesse plus avilissante.
Les condamnations prononcées par le tribunal de Sidi M’hamed, devenu le symbole de la complicité des juges dans la répression contre les citoyens exerçant leurs droits constitutionnels, ne laissent pas beaucoup de place à l’optimisme. Pourtant, d’autres juges, dans d’autres tribunaux, ont exercé leur office dignement et ont préservé, sinon l’honorabilité de la corporation, au moins la certitude qu’il existe en son sein des volontés désireuses de s’élever à la hauteur du miracle que les Algériens réalisent quotidiennement depuis neuf mois. Ce serait une erreur de les ignorer, plus encore, ce serait une faute. On se souvient que l’annonce de la capitulation du SNM avait été suivie par un communiqué cinglant du Club des magistrats libres fustigeant la dérobade du SNM et prédisant que rien ne serait réglé par l’allégeance. Les évènements n’ont pas tardé à lui donner raison, mais il arrive qu’avoir raison avant la multitude soit un tort. L’opprobre indifférencié qui frappe la magistrature ne rend pas justice à celles et ceux de ses membres qui ont refusé la vassalité pour s’appliquer à exercer leur office dignement. Les inclure dans la cohorte moutonnière n’est ni juste ni adroit, car ce que réclament les Algériens ce n’est pas un Etat sans justice, mais une justice servie par des officiants honorables. Et il s’en trouve beaucoup parmi celles et ceux qui, par ingénuité ou par impuissance, ont subi les accommodements de leur syndicat plus qu’ils ne les ont approuvés.
Ne pas le reconnaître c’est nier l’évidence et infliger aux autres ce que l’on dénonce pour soi. Car l’unanimité ne règne pas plus au sein de la magistrature qu’ailleurs. C’est pourquoi le message qui doit être envoyé à ceux qui avaient désavoué le renoncement de leurs représentants est qu’ils tiennent là l’occasion d’affermir leurs rangs en faisant valoir la thèse qu’ils avaient défendue en vain et qui est plus que jamais consacrée par les faits, à savoir que l’exercice de leur charge est indissociable du sceau de la dignité et que la seule voie qui y mène est celle du Hirak.
M. B.
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