Qui a «sifflé» le Parlement européen ?
Par Mourad Benachenhou – Une déclaration étrangère, non sollicitée, importune, inutile, si ce n’est nuisible à la cause même qu’elle prétend défendre et aux principes universels dont elle se pare, a donné l’occasion aux autorités de prendre l’offensive contre le Hirak et de se parer de l’habit du «patriotisme dur et pur» pour tenter de mobiliser l’opinion contre la «tentative grossière d’ingérence dans les affaires intérieures du pays» qui présagerait «une attitude belliqueuse de forces extérieures» ouvrant la voie à une «intervention armée étrangère».
Un positionnement national général et unanime contre toute ingérence
Il faut reconnaître que cette stratégie a forcé tout un chacun de ceux qui, de près ou de loin, ont montré leur sympathie envers le Hirak, à se démarquer de cette déclaration quelque peu ambigüe dans sa portée politique, car elle a été faite par un Parlement supranational qui n’engage donc directement aucun des pays membres de l’Union européenne ; bref, un «coup à blanc» dans lequel aucun gouvernement spécifique européen ne se mouille, un «pétard mouillé», en quelque sorte.
Les autorités publiques, à travers leurs institutions spécialisées, ont très bien saisi la nuance. Malgré la dureté des paroles de condamnation exprimées par les uns et les autres, leur réaction «officielle» a été d’une modération dans les actions effectives de riposte qui détone avec la féroce campagne médiatique qu’elles ont lancée à la suite de cette déclaration inattendue, inopportune et n’ajoutant rien de plus à ce que demandent les activistes politiques en Algérie qui , faut-il le souligner, et contrairement à d’autres mouvements populaires ailleurs dans le monde, n’ont pas sollicité une intervention étrangère et, à toutes les occasions qui leur ont été offertes de présenter leurs vues, ont rejeté toute implication étrangère, si sincère et si bien intentionnée soit-elle, dans la crise.
On peut, même au risque d’apparaître épouser la thèse de la «manipulation», se demander si, derrière cette intervention non sollicitée, il n’y a pas plutôt une tentative d’aider les autorités publiques à rebondir.
Une déclaration qui tombe à point pour secourir les autorités algériennes
En effet, la politique étrangère algérienne, au cours du long règne de Bouteflika, a eu pour objectif exclusif de servir, sans limites, les intérêts économiques de la «communauté internationale» en donnant à chacune des grandes puissances de monde sa part du gâteau de la rente pétrolière, et en encourageant l’émergence d’une classe de «prédateurs» qui, au nom de «la liberté d’entreprise», n’avait pour rôle que de donner une couverture de «rationalité économique» à cette entreprise de pillage dont les seules bénéficiaires sont ces puissances extérieures.
Il faut tout de même remarquer que, dans cette éruption d’indignation «patriotique», les autorités publiques se sont totalement abstenues de brandir la menace de ripostes concrètes contre les pays associés à cette déclaration. Ces autorités n’ont nullement fait allusion, par exemple, à la suspension de l’Accord d’association avec l’Union européenne, à l’annulation des licences d’exploitation données aux banques et sociétés d’assurance étrangères activant en Algérie ; bref, ces autorités ne sont pas allées jusqu’à menacer de frapper au portefeuille les pays «coupables».
Au contraire, une des autorités algériennes, qui a été la première à manifester son mécontentement, a seulement placé le problème sur le plan moral, en se plaignant de l’ingratitude des pays en cause. Sa déclaration efface, à bien la relire, toutes les proclamations de «patriotisme pur et dur» qui ont suivi le communiqué des parlementaires européens.
La réponse des autorités publiques a été donc «a minima» sur le plan extérieur, mais a atteint une intensité sans précédent sur le plan interne. Tout ce qui compte dans les médias «officiels» s’est mis de la partie et a même marginalisé la «campagne» visant à choisir un «nouveau conducteur» pour une voiture bonne à jeter à la ferraille.
A quand la fin de ce match truqué qu’est l’Accord d’association ?
Pour que le message transmis par cette mobilisation médiatique ne soit pas mal interprété par le destinataire et qu’il n’en prenne pas ombrage, parce qu’il aurait pu croire à une ouverture d’hostilité visant ses intérêts économiques et financiers en Algérie, voici que les autorités publiques débloquent, en faveur d’un de ces prédateurs, qui ont «dans leur ADN» le mensonge, l’instinct de pillage, le double langage et le bluff, des kits importés d’une usine implantée à l’étranger qu’il a acquise à l’aide de capitaux illicitement exportés d’Algérie, sans doute au vu et au su de l’institution monétaire centrale algérienne.
Cette décision annule la portée des rodomontades dirigées vers les «puissances extérieures» autour desquelles on veut mobiliser le peuple algérien qui, sans doute aucun, n’est pas dupe.
Donc, nos autorités n’ont nullement en projet de mettre fin à ce match de football truqué qu’est l’Accord d’association avec l’Union européenne, où celle-ci se donne le droit de marquer, autant qu’elle le veut, tout le nombre de buts qu’elle veut, tandis que l’équipe adverse ne marque que le nombre de buts qui lui sont autorisés par son «partenaire» et quand celui-ci le décide parce que c’est dans son intérêt.
Quel idiot de village a négocié et ratifié ce marché de dupes ? Avait-il réellement les intérêts économiques de l’Algérie dans l’esprit ? Ou son objectif était-il seulement d’intéresser l’Union européenne au maintien d’un mode de gouvernance qui rend ses citoyens plus prospères en accroissant la dépendance et la misère du peuple algérien ?
Et, comme de juste, les autorités publiques algériennes ont passé sous silence cette situation ubuesque où le plus pauvre donne l’aumône au plus riche. Jusqu’à quand pourra-t-on accepter que les «relations stratégiques» de l’Algérie avec l’Union européenne se fassent exclusivement à l’avantage de cette dernière ? Les autorités publiques algériennes ont raté l’occasion de se mettre à la hauteur de leurs déclarations de patriotisme.
Criminalisation du système colonial : un inutile acte d’imbécilité politique
Quant à la riposte par la ridicule tentative de remettre sur le tapis la question coloniale, elle fera plus de bien que de mal à l’ex-puissance coloniale. Celle-ci sait que, dans le contexte actuel, les autorités publiques algériennes n’ont pas intérêt à relancer cette question, car elles n’atteindraient pour autre résultat que de justifier la dérive d’extrême-droite xénophobe qu’a adopté le gouvernement de cette ex-métropole coloniale qui veut mordre dans l’électorat raciste et islamophobe dominant l’opinion publique de cette «patrie autoproclamée des droits de l’Homme».
Il est vrai que le contentieux historique entre l’Algérie et la France est loin d’être totalement réglé. Mais, il faut le souligner, avec l’assistance passive ou active, si ce n’est la complicité des autorités algériennes qui ont adopté une approche opportuniste dans ce lourd contentieux qu’elles ont utilisé à des fins strictement intérieures, les autorités de l’ex-puissance coloniale ont su se «laver plus blanc que blanc» de leurs crimes sur lesquels ni les preuves ni les témoignages ne manquent des deux côtés de la Méditerranée, et s’en sont sorties en renforçant l’image d’un pays «acquis historiquement aux droits de l’Homme». Elles sont arrivées au point de faire croire à une bonne partie de leur opinion publique que leur pays a été la victime d’une violence non provoquée de la part d’une peuple algérien «adepte de la violence», encouragé par «une religion particulièrement belliqueuse», violence à laquelle elles ont pourtant répondu par une politique «d’émigration généreuse».
Subtilement, le Mouvement de libération nationale algérien est délégitimé et replacé sur le banc des accusés. Face à cette stratégie d’auto-pardon qu’ont suivie systématiquement les gouvernements français, toutes tendances incluses, la position algérienne a fluctué de manière opportuniste au gré des circonstances, tandis que la France a finalement réussi à reprendre sa place prépondérante dans la vie politique, culturelle, économique et diplomatique algérienne, intégrant définitivement notre pays dans sa zone d’influence connue sous le nom de «Françafrique».
Aussi, les acquis de la lutte de libération nationale, menée dans les circonstances que l’on sait, ont-ils été réduits à ceux dont jouissent les pays qui ont obtenu leur indépendance grâce au sang versé par le peuple algérien.
L’Algérie n’est rien d’autre maintenant qu’une «Côte d’Ivoire», seulement différente par sa source de devises.
Ce n’est pas une loi criminalisant le colonialisme qui va changer cette situation de sous-indépendance dans laquelle les autorités algériennes ont placé délibérément l’Algérie. Une des missions des futures autorités algériennes, une fois le pays débarrassé de ce système de gouvernance, qui ne se souvient du patriotisme que quand ça l’arrange, sera de définir ce qu’il est entendu par «décolonisation» et «indépendance nationale».
On ne saurait reprocher aux différents gouvernements français d’avoir géré de manière cohérente le contentieux historique avec le peuple algérien, avec pour objectif d’effacer la terrible image que donnait – de plus – le passé de barbarie coloniale de leur Etat.
Cesser d’exploiter le contentieux avec l’ancienne puissance coloniale
Il ne s’agit nullement ici de relancer le débat sur la «repentance» ou la «reconnaissance des crimes coloniaux» dont les «opérations de maintien de l’ordre» menées entre 1954 et 1962 donnent des centaines de milliers d’exemples, mais seulement de souligner que l’ex-puissance coloniale, malgré la multiplicité de ses gouvernements depuis 1962, a traité son histoire peu glorieuse avec un sens élevé de l’Etat, sans céder aux pressions des circonstances politiques, alors que, de l’autre côté, le gouvernement algérien, qui n’a changé que dans les petits détails depuis l’indépendance, a fait preuve d’inconstance, passant des déclarations d’amour parfait aux invectives, selon les besoins du moment.
Ou les autorités algériennes estiment que la France a des obligations morales envers le peuple algérien, qu’elle a tant maltraités, et elles doivent adopter une démarche cohérente qui inclut tous les aspects de nos relations avec ce pays, de la langue en passant par la culture, sans oublier les relations économiques et financières, démarche à travers laquelle ces autorités algériennes exprimeraient leur insatisfaction quant à la façon dont cet ancienne puissance coloniale a traité notre peuple, ou ces mêmes autorités, qui ont été jusqu’à imposer pendant plus de deux décennies un embargo sur l’histoire nationale, estiment qu’il est temps de «passer l’éponge» sur les crimes coloniaux qui doivent, cependant, demeurer internalisés dans les mémoires des Algériennes et des Algériens, dont beaucoup ignorent tout de la «nuit coloniale».
Les souffrances qu’a subies le peuple algérien, les sacrifices qu’il a consentis pour se libérer du joug colonial, sont trop intenses et trop lourds pour faire l’objet d’un traitement de type «commercial» circonstanciel et opportuniste en direction essentiellement de l’opinion publique algérienne.
Le débat sur les crimes du colonialisme est d’abord et avant tout un débat interne algérien, la France ayant déjà trouvé la bonne voie pour effacer son passé colonial et n’ayant aucune motivation pour changer de voie dans ce domaine.
C’est aux autorités algériennes à savoir quelle place elles veulent donner, dans leur rapport, tous détails inclus, avec la France, à ces cent trente-deux ans d’esclavage colonial.
Nos chouhada, quel que soit par ailleurs leur nombre réel, méritent mieux que d’être «déterrés» puis oubliés au gré des besoins politiques du moment. Les marques de reconnaissance pour leur sacrifice suprême ne s’accommodent pas de son exploitation à des fins politiques fluctuantes et essentiellement pour permettre aux autorités de cacher leurs compromissions permanentes avec l’ex-puissance coloniale, dont l’influence n’a jamais été aussi forte dans notre pays.
Pour conclure, le patriotisme est un sentiment trop noble pour être manipulé à des fins électoralistes et pour justifier le statu quo politique visé à travers ces élections présidentielles du 12 décembre, pourtant largement rejetées.
M. B.
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