Boniface : «Ceux qui misent sur l’usure du Hirak en auront pour leurs frais»
Par Nabil D. – «Le général Gaïd-Salah a maintenu les élections [du 12 décembre] parce qu’il espérait qu’une fois qu’un Président allait être élu, il allait pouvoir passer à autre chose, il compte bien sûr sur l’épuisement, sur la lassitude des manifestants», a affirmé le politologue français Pascal Boniface. «Certains vont dire que le pouvoir n’est pas dans la rue, qu’il y a des élections et que ce sont les électeurs qui décident, mais on voit bien qu’il y a une abstention massive, 60% au bas mot, et peut-être même que les chiffres de participation étaient gonflés», a-t-il estimé.
Pour le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques, «il y a un divorce entre la population et le pouvoir». «On parlait auparavant d’un peuple sans Président lorsque Bouteflika a démissionné ; aujourd’hui, on parle d’un Président sans peuple parce que la population adresse, en fait, un message de défiance par rapport au nouveau Président», a-t-il dit, en soulignant que «le fait qu’il n’y ait pas d’observateurs internationaux ne suffit pas à invalider les élections – dans d’autres pays, cela est le cas.» «Ce qui invalide les élections [en Algérie], a-t-il fait remarquer, c’est la protestation massive de la population et, donc, il faudra bien que le nouveau Président trouve les moyens de se réconcilier avec sa propre population.»
«Ce qui est inquiétant dans la crise algérienne, a relevé Pascal Boniface, c’est que, s’il n’y a pas eu de violence de part et d’autre, la situation se crispe un peu du côté des forces de l’ordre, on assiste quand même à des arrestations arbitraires, à des arrestations politiques qui veulent venir affaiblir les membres de cette contestation et il va falloir espérer que le chef d’état-major ne va pas vouloir utiliser la force et amplifier la répression puisque, de toute évidence, les manifestants continuent de vouloir ouvrir une toute nouvelle page de l’histoire de l’Algérie, alors que le chef d’état-major, lui, voudrait écrire sur la même page.»
«L’Algérie est dans une impasse. Par-delà les arguments juridiques qui tendent à conférer un caractère légal à cette élection, c’est l’argument politique qui compte», a affirmé le coauteur de l’Atlas des crises et des conflits, selon lequel «le fait de condamner quelques dignitaires du régime à des peines de prison, qui était certainement dans l’esprit de Gaïd-Salah une façon de faire taire l’opposition, de lui donner un os à ronger pour que tout rentre dans l’ordre, ne suffit pas». «On voit bien, a-t-il argué, qu’il y a une tactique qui consiste à des lourdes peines des tenants du régime mais que, néanmoins, la population ne se lasse pas et est toujours déterminée».
«Ceux qui comptent sur l’usure du Mouvement de contestation risquent d’en être pour leurs frais car on ne voit pas d’usure», a conclu Pascal Boniface.
N. D.
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