Contribution de Kaddour Naïmi – Où va le Mouvement populaire ?
Par Kaddour Naïmi – Suite à la contribution précédente(1), reste à approfondir et préciser le problème de l’auto-structuration du Mouvement populaire et, d’une certaine manière, considérer la question de ce qu’on appelle la transition démocratique et le processus constituant.
Lisons l’histoire de tous les mouvements populaires contestataires d’une oligarchie dominante, quels que soient l’époque et le pays. On constatera que tous les militants-théoriciens (représentant réellement les intérêts du peuple, et formant une toute petite minorité), ayant participé au Mouvement populaire et réfléchi sur son action, ces militants-théoriciens sont unanimes pour tirer un identique bilan. Le Mouvement populaire a échoué parce qu’il a manqué de deux éléments stratégiques décisifs : 1) une organisation démocratique et efficace, 2) un encadrement intellectuel suffisamment formé et respectueux de la volonté populaire.
Tous les autres facteurs (divergences internes au Mouvement, interventions étrangères, opposition étatique, infiltrations, manipulations, arrestations, etc.) eurent un rôle secondaire, seulement tactique. Ce fut le cas, notamment, de la «Commune de Paris» de 1870, de la Révolution des Soviets en Russie (1921-1922), des «Collectividad» en Espagne (1936-1969), de l’autogestion agricole et industrielle en Algérie (1962-1965).
Le premier cas fut écrasé par l’alliance de la bourgeoisie française avec l’impérialisme prussien ; le deuxième cas, par l’Armée «rouge» dirigée par Trotski sous la direction politique de Lénine ; le troisième cas, par l’action conjointe, d’une part, de l’armée fasciste espagnole, augmentée par ses harkis marocains et des brigades fascistes italiennes, le tout appuyé par l’aviation nazie et, d’autre part, par la répression des staliniens du parti «communiste» espagnol et des agents du Komintern. Quant à l’autogestion algérienne, elle fut bureaucratiquement étouffée.
Mais combien d’intellectuels algériens (mais également dans le monde) connaissent les ouvrages relatant ces histoires ? Certes, ces livres sont très peu, en outre généralement occultés. Mais est-ce là une excuse quand on se prétend chercheur, universitaire, expert, politicien, intellectuel, notamment démocrate ou progressiste ?
Voici ces livres : respectivement Histoire de la commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray, La Révolution inconnue de Voline, L’Espagne libertaire 1936-1939 de Gaston Leval(2) et, concernant l’autogestion algérienne, David Porter(3) ?… Avoir lu ces textes aurait, comme l’auteur de ces lignes, permis de comprendre que le Mouvement populaire algérien devait, dès son surgissement, trouver le moyen de se doter d’une auto-organisation autonome, dotée d’un programme de revendications claires et de représentants sur mandat impératif, en sachant comment affronter tous les risques qui se présenteraient, tout en étant capable de présenter des interlocuteurs à l’adversaire déclarant vouloir négocier(4).
Pendant ces dix mois d’existence, le Mouvement populaire a su braver l’interdiction de manifestation publique, mais ne s’est pas auto-organisé. Précision importante : ce ne sont pas les détenteurs de l’Etat qui l’en ont dissuadé mais, hélas !, les prétendus «amis» du Mouvement populaire : intellectuels, politiciens, «experts», sans oublier les animateurs occultes du Mouvement(5).
Nous constatons le résultat. Dix mois de marches hebdomadaires pacifiques et joyeuses démontrent qu’un changement social radical au bénéfice du peuple n’a pas eu lieu. Une durée plus longue, avec une pression plus forte obtiendraient-elles le résultat escompté, comme l’estiment certains ? Au vu de la situation, considérée objectivement, le doute est plus que permis. Paraphrasons, alors, une fameuse expression : «Où va le Mouvement populaire ?» en proclamant vouloir la démocratie ?
Faut-il préciser que dans les cas mentionnés ci-dessus, il n’y eut pas création de parti politique, mais d’un mouvement social ? La différence est totale : l’un exclut l’autre. Tout parti politique (y compris les soi-disant «démocratiques» ou de «travailleurs») fonctionne sur la base d’une autorité hiérarchique, comprenant des décideurs et des exécutants ; au contraire, tout mouvement social authentique fonctionne sur base coopérative où l’autorité est exercée collectivement, de telle manière que décideurs et exécutants sont les mêmes. Mais il est probable, sinon certain que ceux qui pensent que la structuration d’un Mouvement populaire signifie uniquement sa constitution en parti politique, que ces personnes ignorent la différence fondamentale entre parti politique et mouvement social. D’où vient cette ignorance ? Du fait que les «élites» intellectuelles, de nature élitiste, s’intéressent uniquement aux institutions identiquement élitistes, – c’est le caractère des partis politiques –, et ne prêtent aucune attention aux institutions non élitistes, ce qu’est par nature un Mouvement populaire.
Il est vrai, cependant, que certains mouvements populaires dans le monde ont donné l’impression que des manifestations de masse, plus ou moins durables, étaient parvenus à chasser les détenteurs du pouvoir en place. Précisons ceci : dans ces cas, les preuves désormais existent que le mouvement était encadré de manière occulte par des agents étrangers (généralement états-uniens) en alliance avec des agents autochtones, d’une part ; d’autre part, le changement de régime n’a pas profité au peuple, mais à une nouvelle caste oligarchique.
Revenons au Mouvement populaire algérien actuel. Le changement social réellement au bénéfice du peuple a des exigences complémentaires aux marches pacifiques. Tel est l’enseignement des expériences historiques relatées précédemment, et d’abord, répétons-le, la nécessité vitale de l’organisation et de l’encadrement démocratiques et efficaces. Ces deux caractéristiques sont indispensables. Cependant, la pratique montre qu’elles peuvent se contredire : la démocratie entravant l’efficacité, ou l’inverse. Néanmoins, il faut trouver l’adéquate conciliation et complémentarité, autrement c’est l’échec.
Dans quelle mesure le Mouvement populaire algérien actuel pourrait-il satisfaire ces conditions ? Cela dépendra du degré de démocratie présent dans ce Mouvement. Certains objectent : le peuple algérien n’est pas apte à pratiquer la démocratie. Ce problème sera examiné dans la prochaine contribution.
K. N.
(1) Des solutions pour le Mouvement populaire, https://www.algeriepatriotique.com/2019/12/20/contribution-de-kaddour-naimi-des-solutions-pour-le-mouvement-populaire/#comments
(2) Tous librement disponibles sur internet.
(3) David Porter et l’autogestion algérienne in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/02/david-porter-et-l-autogestion-algerienne.html
(4) Voir Du cri à l’organisation in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/03/du-cri-a-l-organisation.html
(5) Voir Elites et peuple en Algérie : compléter l’inachevé in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/12/elites-et-peuple-en-algerie-completer-l-inacheve.html
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