Le deuxième coup d’Etat de Gaïd-Salah
Par Dr Arab Kennouche – Gaïd-Salah aura marqué l’histoire de l’Algérie contemporaine par un double coup d’Etat en l’espace d’une année dont peu d’anciens dictateurs peuvent s’enorgueillir ailleurs dans le monde. En installant Abdelmajid Tebboune comme président de la République à l’âge de 74 ans et pour cinq ans, il est vrai que le chef de l’armée ne prend pas beaucoup de risques. Fidèle parmi les fidèles, Tebboune est le candidat idéal qui fait charnière entre le bouteflikisme et la nouvelle donne à l’état-major. Cette nouvelle alliance à la Présidence a pour objectif majeur de briser le Hirak dont le combat politique heurte les intérêts de l’oligarchie mondiale et ceux de la bourgeoisie compradore actuellement au pouvoir en Algérie. En éjectant Bouteflika puis en le remplaçant par Tebboune, Gaïd-Salah inscrit sa présence dans le long terme, avec un retour forcé à la normale de la contestation populaire. Une sorte de bis repetita avec, très probablement, un durcissement de la répression, d’une junte prête à tout pour conserver son monopole.
Une hirondelle ne fait pas le printemps
En effet, il ne faut pas se méprendre sur le baiser de Judas que prépare Tebboune. La Junte militaire divisée en son sein et épurée pour les besoins de la cause, opérera un traitement répressif de la cause juste du Hirak. En ce sens, les déclarations optimistes de certains hommes politiques qui croient pouvoir vérifier le bien-fondé de la démarche de Tebboune, en auront pour leurs frais. Tebboune ne pourra jamais donner quelque gage de garanties démocratiques sans, en même temps, renforcer la junte militaire au pouvoir. Or, ces deux objectifs sont par essence inconciliables. Tebboune n’a pas été coulé dans le moule psychologique de la compréhension et de la concession. Il n’a pas non plus l’envergure intellectuelle pour transformer et construire l’Algérie sur le long terme. Ce n’est pas un grand architecte visionnaire et au fait des enjeux institutionnels du futur. Ses dernières déclarations sur l’âge de ses ministres, «26-27 ans», sur la fin des «sachets en plastique» et sur le gaspillage du pain dénotent l’envergure du personnage qui, en bon épicier, s’assure de la tranquillité de son quartier. L’Algérie n’ira pas loin avec Tebboune et ce sera encore d’autres années de perdues et autant de gagnées pour l’Europe. De quoi réjouir toute la galerie occidentale friande en Présidents sans pouvoir réel et qui raffole des piques prétendument nationalistes de ces fantômes de l’histoire. Que doit alors espérer le Hirak ?
Structurer et ne rien négocier
L’action politique du Hirak est largement positive, s’il fallait en dresser le bilan. Surtout, les motifs de la contestation sont indéniables, irréprochables : Bouteflika et consorts, c’est 20 années de sous-développement et d’absence de liberté d’expression. Le bilan économique et social ne plaide pas en faveur de Tebboune qui ne peut nier la catastrophe économique vers laquelle se dirige l’Algérie. Le pillage des ressources du pays et l’ostracisme économique d’une grande partie de la nation proviennent des choix de politique gouvernementale que le nouveau Président avait appuyés sous l’ère Bouteflika. L’Algérie en 2019, malgré ses richesses naturelles et son potentiel de développement, est un pays sous-développé et très largement dépendant de l’extérieur. Cependant, il existe des points d’amélioration possibles et incontournables pour le recouvrement des richesses du pays.
Le Hirak doit d’abord monter en puissance et en qualité en se structurant définitivement en deuxième Front de libération nationale. L’horizontalité tant vantée par ses représentants ne doit pas cesser de produire ses effets pour autant, à condition de créer les conditions d’une verticalité plus efficiente et vitale pour la survie du Mouvement. Dans un premier temps, le Hirak ne saurait se considérer comme un parti politique pour la simple et bonne raison que la nature de sa lutte ne correspond en rien à une joute politique dans le cadre d’un Etat de droit. L’exemple du FLN historique est patent : il rassemblait tous les courants idéologiques les plus divers dans le but ultime d’obtenir uniquement l’indépendance nationale. L’erreur fut de le conserver comme «parti politique» jusqu’au jour où le peuple en vit les imperfections les plus viles. Un front n’est pas un parti politique. Or, le Hirak est un front avant tout.
Par conséquent, les voix démocratiques du Hirak doivent prendre conscience qu’une telle masse de contestataires à l’échelle nationale ne peuvent être représentés dans un seul courant idéologique qui formerait un parti politique. Il s’agit bien d’un front qui doit impérativement construire une structure de pouvoir afin d’obtenir, dans un premier temps, l’essentiel : l’instauration d’un Etat de droit en Algérie régi par des principes démocratiques et le retour des militaires dans leurs casernes. C’est la condition sine qua non au développement futur de l’Algérie. Ceux qui prônent l’horizontalité contre la verticalité qui pourtant ne l’exclue pas, font le jeu du pouvoir qui, à l’occasion de l’élection factice du 12 décembre, a su profiter de ce temps de «silmia».
La structuration par wilaya du Hirak doit propulser le Mouvement dans sa forme politique naturelle, celle de l’Etat algérien qui, aujourd’hui, est squatté par une junte militaire alliée aux grandes multinationales du pétrole et du gaz. Le combat politique doit être pacifique mais sans concessions sur l’objectif final : la restauration de l’ordre juridique en Algérie contre cet Etat de fait construit sur l’arbitraire, la force illégale et l’injustice. Il ne faut pas oublier que les richesses de l’Algérie ne profitent pas à son peuple qui voit ses institutions se réduire en peau de chagrin à chaque gouvernement de la gabegie qui passe, alors que sans refondation étatique, sans épuration du clan et de toutes ses ramifications internes et externes, sans renflouement des caisses de l’Etat des deniers placés à l’étranger, l’Algérie ne pourra pas se relever.
En d’autres termes, seul le Hirak peut amorcer un processus de renaissance institutionnelle qui donnera un nouveau souffle à l’Algérie. Tebboune qui entreprend un maillage ciblé de la société, en traitant la question de fond de la mort des institutions de l’Etat algérien comme un nouveau problème de personne, dont la nature est l’allégeance à l’ancien système, sème les germes de la dissidence et de la dissolution des derniers liens de cohésion nationale. C’est au Hirak de prendre en charge le destin de l’Algérie que le système a mis en jachère, attendant le pourrissement terminal.
A. K.
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