Peuple algérien et démocratie
– Yâ ‘ammi [ô mon oncle], des politiciens, des intellectuels, des universitaires, des «politologues» et autres «experts» affirment que nous, le peuple, plus exactement notre Mouvement populaire, nous ne devons absolument pas nous auto-organiser.
– Par quel motif ces gens justifient leur opinion ?
– Que le DRS nous infiltrerait totalement, que nos divisions idéologiques nous opposeraient.
– De par le monde et depuis toujours, as-tu vu un Mouvement populaire refuser de s’auto-organiser par peur d’infiltrations ou de divisions internes ?
– Jamais ! Les deux motifs présentés par ces gens sont contraires non seulement à l’histoire mondiale, mais également à la logique et à la raison. Cependant, d’autres personnes invoquent un troisième motif : l’obscurantisme religieux dominerait tellement nos esprits que nous sommes incapables de démocratie, parce que nous comptons uniquement sur Allah pour changer les choses, d’une part, et, d’autre part, parce que la religion est contraire à la démocratie.
– En ce qui concerne le premier point, Allah n’a-t-il pas dit «Aide-toi, le ciel t’aidera» ? Et, en ce qui concerne le second point, comment la religion pourrait-elle être contraire à la démocratie, puisque, à l’époque de son apparition, les peuples de la région ignoraient ce qu’était la démocratie, et donc les livres saints ne la mentionnaient pas ?
– D’accord, mais entre-temps, je suis troublé, perplexe, désorienté.
– Pourquoi ?
«Volonté supérieure»
– Les islamistes me déclarent que c’est Allah qui parle par leur bouche, qu’il faut donc que j’exécute ce qu’ils disent sous peine d’être un «kafer» (mécréant).
– De quel droit ces islamistes parlent au nom d’Allah ? Leur a-t-il conféré cette qualité ?
– Evidemment pas. Pourtant, ces gens, dans les années 1990, affirmaient que la démocratie est «kofr» (blasphème), tandis qu’aujourd’hui, en 2019, ils déclarent vouloir la démocratie en Algérie. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
– C’en est une, en effet. Mais rappelle-toi les années 1990. Ces gens-là, qu’ont-ils fait ?
– Ils avaient dit publiquement qu’ils utilisaient la démocratie avec le but, une fois vainqueurs, d’éliminer la démocratie pour installer la Charia.
– Que s’est-il, alors, passé ?
– Ce projet eut comme résultat dix années de guerre avec environ 200 000 Algériens tués, et l’échec militaire de ces gens-là.
– Mais est-ce que, néanmoins, la démocratie fut sauvée ?
– Pas vraiment.
– Qu’en tires-tu comme conclusion ?
– Que ceux qui furent vainqueurs militairement de ce conflit ne trouvaient pas leur intérêt à établir la réelle démocratie.
– Comment se sont-ils arrangés ?
– Par des élections truquées.
«Savoir supérieur»
– Mais, ‘ammi, il y a aussi des gens, se déclarant laïques et démocrates, qui affirment que nous sommes incapables de démocratie, est-ce vrai ?
– Au nom de quoi ces gens osent-ils leurs allégations ?
– Au nom de leur savoir, attesté par leurs diplômes universitaires.
– Pourquoi s’arrangent-ils pour exhiber leurs titres d’études ?
– Pour me faire croire que je suis un ignorant.
– Et la conséquence ?
– Que je dois me limiter à écouter ce que ces gens déclarent puis à exécuter selon leurs déclarations.
– Et si tu ne leur obéis pas ?
– Ils me traitent de naïf, d’idiot, de complice de la «issaba» (bande) des généraux corrompus.
– Avec quels arguments ?
– Aucun. Ils se contentent de me lancer les adjectifs que je t’ai dit.
– Est-ce là, selon toi, de vrais intellectuels, autrement dit des gens qui se limitent à présenter des arguments et des preuves concrètes, sans clore le débat par des insultes ?
– Non.
«Ethnie supérieure»
– Et, ‘ammi, que dis-tu de ceux qui affirment que nous sommes incapables de démocratie, parce que Arabes et musulmans ?
– Qui l’affirment ?
– Ceux qui se proclament non algériens mais uniquement amazighes, plus précisément kabyles.
– Ne sommes-nous donc pas une seule espèce humaine sur cette planète ? Et, en Algérie, ne sommes-nous pas tous le résultat de plusieurs peuples qui ont envahi ce territoire puis se sont mélangés par des mariages, jusqu’à constituer le peuple algérien, avec ses diverses et enrichissantes composantes ?
Point commun.
– A présent, ya w’lidi [ô mon enfant], à propos de ces gens, dis-moi quelle est leur méthode d’action ?
– Les premiers me dénient la capacité de pratiquer la démocratie, donc de m’auto-organiser avec mes semblables, parce qu’ils déclarent qu’ils parlent au nom d’Allah ; les deuxièmes, parce qu’ils parlent au nom de leur Savoir ; les troisièmes, parce qu’ils sont d’une race pure.
– Et comment ces gens agissent avec toi ?
– Connaissant ma religiosité sincère, plus ou moins bien assimilée par moi, les prétendus religieux utilisent la religion, présentée à leur manière ; connaissant les carences de mon savoir, les prétendus savants utilisent ce qu’ils ont appris à l’université, présenté à leur manière ; connaissant mes carences historiques, les prétendus de «pure race» utilisent l’histoire, présentée à leur manière.
– Et chacun de ces gens-là, dans quel but agit-il ainsi ?
– Pour m’impressionner dans le but de me convaincre à les croire et à les suivre.
– Comment appelle-t-on ce procédé ?
– Manipulation.
– En effet, une argumentation raisonnable, logique et au service du peuple a-t-elle besoin de se masquer par une autorité divine, universitaire ou ethnique ? La valeur des arguments ne se suffit-elle pas par le recours à la raison logique et à l’équité au bénéfice du peuple ?
– Oui, elle suffit.
– Selon toi, comment vivent tous ces gens ?
– Je constate facilement que tous ont une vie matériellement très confortable.
– Disent-ils d’où leur vient l’argent ?
– Non.
– Quoi en conclure ?
– Celui qui cache la provenance de son argent est louche.
– Est-il donc une personne fiable ?
– Jamais.
– Selon toi, quel est le but identique de tous ces gens ?
– Chacun d’eux prétend détenir la Vérité et que nous, peuple, on doit se contenter de l’écouter et de l’exécuter.
– Dans ce cas-là, ces gens peuvent-ils te dire qu’ils te croient capable de pratiquer la démocratie ?
– Evidemment non. Pourquoi ces gens agissent ainsi, quel est leur but réel ?
– Pour le savoir, dis-moi quel est leur statut ?
– Je t’ai déjà dit avoir constaté que leur vie matérielle est des plus confortables.
– Quel est donc leur statut ?
– Privilégié.
– Par conséquent, quel est le but d’un privilégié ?
– Conserver ses privilèges.
– Pour les conserver, peut-il accepter que toi et tes amis puissiez pratiquer la démocratie ?
– Pourquoi pas ?
– Qu’est-ce que la démocratie, au sens le plus authentique du terme ?
– Le peuple qui gère lui-même ses affaires.
– Si le peuple gère lui-même ses affaires, les privilégiés peuvent-ils servir à quelque chose ?
– A rien du tout ! Au contraire, il n’y aurait plus de privilégiés.
– Dès lors, ces privilégiés peuvent-ils être favorables à la démocratie telle que tu l’as définie ?
– Absolument pas.
– Quel est, alors, le but de ces privilégiés ?
– Rester des privilégiés.
– Comment y parviennent-ils ?
– En étant ou en parvenant à conquérir le pouvoir pour faire suer du burnous moi et mes semblables. Ne dois-je donc plus écouter ces gens ?
– Si tu ne les écoutes plus, comment apprendrais-tu leur processus de manipulation de ton esprit, puis démonter leur fausse argumentation et, ainsi, aider tes compagnons de misère à ne pas être manipulés ?
Démocratie et capacités populaires
– Alors, ‘ammi, que dois-je faire ?
– Ta raison ne te donne-t-elle pas la faculté de penser par toi-même ? Ensuite, n’as-tu pas la possibilité de découvrir des livres et autres textes pour te proposer des solutions ? Enfin, n’as-tu pas la possibilité de chercher et de trouver des personnes qui ont une expérience militante au service réel du peuple, pour apprendre à partir de leur expérience ? Revenons à ta question de départ : est-ce que le peuple algérien n’est pas capable de démocratie ? Considère la définition la plus simple et la plus claire du mot «démocratie». Qu’est-ce que c’est ?
– Pour moi, ‘ammi, c’est la capacité de s’écouter l’un l’autre, dans le respect de la différence de nos opinions, puis de raisonner en examinant les arguments de manière objective, enfin de prendre les décisions les plus logiques et dans l’intérêt du peuple.
– N’est-ce pas là ce que toi et tes amis, vous faites généralement dans votre vie quotidienne ?
– Oui !
– Et quand vous vous disputez, quels sont les motifs ?
– En général, à cause de trois motifs. D’abord, la religion : certains se prétendent plus musulmans que les autres. Ensuite, le savoir : certains se prétendent plus savants que d’autres. Enfin, l’ethnie : certains se prétendent d’une race pure (arabe, pour les uns, amazighe ou kabyle pour les autres).
– Qui est responsable de l’introduction de ces motifs qui créent chez vous des mésententes ?
– Les gens que nous avons évoqués ci-dessus.
– Donc, qui vous empêche de pratiquer la démocratie ?
– Ceux-là mêmes qui nous reprochent de ne pas être capables de démocratie. Que faut-il faire, alors ?
– Tant que toi et tes semblables ne vous auto-organisez pas, ces autres gens ne s’arrogent-ils pas le droit de proposer des recettes en votre nom ?
– Ils le font.
– Comment, donc, les neutraliser, sinon en vous rencontrant, toi et tes voisins, collègues d’études ou de travail, avec un objectif commun : précisément la pratique de la démocratie, pour démontrer à vos accusateurs qu’ils ont tort ?
– Mais, ‘ammi, on nous dit que la démocratie, ce sont les élections.
– Est-ce que le résultat est favorable au peuple ?
– Pas du tout !
– Dès lors, la démocratie n’a-t-elle pas besoin d’autres instruments ?
– Lesquels ?
– Est-ce que tu ne le saurais pas en créant avec tes semblables un comité citoyen démocratique de discussions ?
– Autrement dit, nous auto-organiser, c’est-à-dire faire ce que les gens que nous avons évoqués nous dénient de faire ?
– Ta question ne contient-elle pas sa réponse ?(1)
K. N.
(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/12/solutions-pour-le-mouvement-populaire-algerien.html
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